Tous avidement
C’était avant
Profitaient sans en apprécier
Comme il eût fallu
La saveur du temps qui passe
L’éclosion fugace d’une fleur
L’envol d’un papillon
Le regard d’une femme aimée
Le nuage fugitif
La clarté du jour les étoiles
Le sourire d’un enfant
L’eau pure bondissante
Leur préférant
Le confortable avoir
Le traître rutilant
L’imbécilité crasse
La courageuse lâcheté
Le débile moutonnement
L’indignité du soi.
C’était avant
Ignorant ce qu’ils devaient
A ceux d’avant
Défendant le pré carré
De leurs futiles possessions
S’accommodant de l’oubli
Du meilleur des autres
Ils marchaient aveugles
Vers le néant
C’était avant
Avant
Il y avait toujours eu un avant
Avant la clarté immense
Folie des hommes
Qui définitivement a gommé
L’après
PLANÈTE SOLAIRE L’INSTANT S’ÉGOUTTE, JEANNE CHAMPEL GRENIER, ILLUSTRATIONS DE L’AUTEUR, ÉD. FRANCE LIBRIS, 107 P., ORTHEZ, 2021
“Moi j’aime tant tout ce que j’aime! Si tu savais comme j’embellis tout ce que j’aime ! Et quel plaisir je me donne en aimant ! Si tu pouvais comprendre de quelle force et de quelle défaillance m’emplit ce que j’aime…C’est cela que je nomme le frôlement du bonheur ». Extrait des Vrilles de la vigne de Colette.
C’est à ces phrases de Colette que j’ai pensé en refermant Planète solaire, L’instant s’égoutte de Jeanne Champel Grenier.
J’y ai lu la même énergie du vivre :
« Alors je décidai de saisir, partout sur ma route, le verre à demi plein et de le brandir afin qu’il se remplisse de cette lumière, de ce cru céleste qui éclaire loin et longtemps ».
Le même talent et la même avidité du vivre aussi qui consiste à appréhender le monde dans ses moindres joies et ses plus petits mystères pour les faire immédiatement siens :
« Messages subliminaux à la fois mystérieux et familiers » dont la poétesse ne doute pas un instant qu’ils lui soient « personnellement adressés ».
Dès lors tout devient le lieu d’une communion avec la nature pour qui désire être :
« Un miroir vivant qui se laisse traverser
Absorber par la Beauté palpitante de l’Univers. ».
L’arbre d’abord, cet être majuscule entre branches et bronches que Jeanne inscrit à la cime de son arbre généalogique,
Les fleurs dont elle possède une connaissance parfaite et dont on lira deçà delà les noms savants comme Le Rosa Rugosa ( le rosier pourpre de ma mère) et avec lesquelles elle joue d’une langue savoureuse : Des Vies…Des Violes…Des Violettes. (Elle évoque d’ailleurs Colette dans ce texte.)
Et tant d’évocations de l’enfance... Ah ces longues briques (lombrics) qui me renvoient une fois encore à l’escargot presbytère de Colette !
Et puis cette voix tutélaire, toujours féminine, qui rappelle à l’ordre l’enfant trop libre avec beaucoup de dérision et d’amour :
-« Alors ? Tu es encore allée traîner tes guêtres chez les De Montreynaud ? Méfie-toi, un jour le garde te prendra pour un renard et te fera empailler ! »
Sous ses pépites de bonheur pourtant se glisse en filigrane une véritable réflexion sur la vie, sur le motif de l’instant qu’il faut saisir. Ce questionnement existentiel passe souvent par le biais de la peinture. Car faut-il le rappeler chacun de ces textes est illustré d’une aquarelle originale de la peintre poétesse.
Et même si la mort plane aussi ( Je pense en particulier aux deux très beaux textes dédiés à Miloud Keddar, peintre, poète et ami de Jeanne Champel Grenier, parti « célébrer le silence le 20 janvier 2021 » il n’en reste pas moins que ce recueil est un Feu de joie.
La poétesse conclut :
« je convoquerai mes amis les plus chers, ceux qui sont tout en bas, ceux qui sont tout en haut, pas un ne manquera à la ronde d’hiver, et on se tiendra chaud, chacun avec ses mots d’amour et d’amitié »
« Ah, qu’elle sera courte l’Eternité, courte et renouvelable à satiété ».
Permettez, Madame, que je m’y glisse aussi un instant !
Grouillent et s’accumulent ses paroles, remplissant chaque silence, chaque parcelle d’espace. Dissertant sans cesse à propos de tout, mais essentiellement sur elles-mêmes. Comme pour se rassurer encore un peu davantage. Inépuisable caléidoscope du verbe qui s’effrite et se délite, pour finalement ne rien dire, ou si peu.
J’ai trop de musique dans la tête
Au creux des yeux trop de vols furtifs
D’oiseaux-mouches à robe de moire
Trop d’éclairs
Papillonnants métallisés
Zébrant le ciel argenté
De ma mémoire
Pour que tu germes
Poème
Fleur vierge
Etoile du silence
Dans la forêt dense
De mes souvenirs
Et puis surtout
Il y a Toi
Ombre parmi les ombres
Long poème pétri d’ébène
Inviolable et secret
TOI
Perpétré à longueur de temps
A langueur de mots
Dans l’emphase creuse
De mes phrases
En haut des cimes
Une étoile scintillante
Vient d’apparaitre
Au sommet du sapin
Captive le regard de l’enfant.
Ses yeux émerveillés
Reflet de l’âme
Restent fixes.
Dans sa bouche entre-ouverte,
Aucun son
Sur son visage
Coulent des larmes de lumière.
Un souffle de zéphir
Caresse le sapin
Est-ce un signe du bonheur.
Rescapés d’une époque révolue, presque chimérique, où allons-nous ?
Quelle farce nous fait-on croire aujourd’hui avec ce passe-partout et ces moult doses d’un venin dont on ne saura la véritable histoire seulement dans dix ans.
A entendre tous ces donneurs de leçons, nous n’aurions même plus le droit de « voir sous les jupes des filles ».
Quelle chance d’échapper à ce foutoir alors que, derrière le verrou, murmure un frou-frou, un bijou d’amour.
Avec les premières lueurs de l’an neuf, je veux m’enfuir vers l’ailleurs, retrouver les promesses de l’aube, la grâce des matins vêtus de bleu.
Pas de lyrisme larmoyant, mais simplement recevoir le jour qui se lève comme un sourire :
Espérer, s’étonner, s’émerveiller, inaugurer sans cesse les lendemains
Chercher la lumière partout où l’ombre surgit
Raconter le mystère des choses inutiles
Vivre avec ma Muse une aventure où les rêves les plus fous voyageront sur un cahier ou sur une toile
Avoir foi en la poésie, celle qui ouvre la porte d’un lever de soleil où s’embrasseront couleurs et lumières.
Oui, accueillir ces premières lueurs telle une offrande, et les heures se peupleront d’abeilles sur des prairies en fleurs.
« L’arbre, c’est cette puissance qui lentement épouse le ciel » SAINT-EXUPERY
Tu as recueilli une graine de mot
Au creux de tes mains
Et déjà l’arbre poème s’élève lentement.
Effleurées par le soliste de la nature
Ses feuilles frissonnantes murmurent
À l’ancêtre qui veille
Leur espoir insensé de caresser le ciel.
Le chêne au tronc séculaire
Ridé tel un vieux sage
Happe la lumière de la pleine lune
À son périgée,
Mêlant aux nuages ses essences bleues de vie.
C’est la prière aux dryades
Gardiennes des signes secrets
Qui cascadent cette manne céleste
De lettres et vocables
En une rosée salutaire.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...