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27 mars 2024 3 27 /03 /mars /2024 07:47


 

 
Ce corps enfin devenu mien
à force d’âge et de tendresse
tant j’y ai mis de savoir-faire
pour apparaître aussi humain
que l’espérait mon coeur inquiet
tant j’y ai mis de bon-vouloir
sur la corde raide du temps
 
Aujourd’hui je mesure
combien ils me ressemblent
ce visage et ce corps anciens
gardés ma foi de trop d’écarts
envers leur esquisse première
fidèles en somme à l’ABC d’alors
quand l’aube s’exerçait à quelque éternité


©Pierre Guérande                        
 
 

 

 

 

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6 février 2024 2 06 /02 /février /2024 08:20

Tristan CORBIERE Armor 1935 Illustrations JEAN MOULIN (Romanin)



 
Tristan Corbière est bien le moins connu des annonciateurs de la nouvelle vague en poésie, si l’on compare sa notoriété à celle de Baudelaire ou de Rimbaud. Il fut cependant découvert, après sa mort précoce, par Verlaine et ensuite adopté avec enthousiasme par les surréalistes ; il eut, bien plus tard, l’honneur de se voir illustré par un grand nom plutôt inattendu en pareil contexte, le futur héroïque Jean Moulin.


Or, souvent l’artiste ou le graphiste décident pour beaucoup de la diffusion d’une œuvre poétique ; c’est ainsi qu’un Pierre Reverdy put voir sa jeune popularité rehaussée des illustrations d’une pléiade de contemporains fameux, comme Derain, Matisse, Gris, Manolo, Picasso …


Avec Corbière, il en va très différemment puisque pareille rampe de lancement lui vint seulement à titre largement posthume et de la part d’un dessinateur « qu’on n’attendait pas », le célèbre Jean Moulin. Ambitieux certes, il n’accepta que tardivement sa relégation au statut d’artiste amateur, alors qu’il engrangeait jusque- là surtout des succès de presse en qualité de caricaturiste et d’humoriste. Or, c’est en 1935, qu’il devint possible au grand public d’acquérir des extraits des Amours Jaunes avec pour titre « Armor, poèmes de Tristan Corbière illustrés de huit eaux-fortes originales de Romanin », un « pseudo » du futur héros de la résistance.


Est-ce sa nomination de sous-préfet à Châteaulin – le plus jeune sous-préfet de France - qui amena Moulin à s’intéresser au poète de Morlaix ? Plus que probablement, car la fonction lui laissait du temps libre qu’il consacra surtout à visiter les sites bretons les plus prestigieux et à multiplier les rencontres avec les artistes du lieu, comme le céramiste Leonardi, le poète et peintre Max Jacob, et même le Dr Destouches qu’on n’appelait pas encore Céline.


Les voies du destin sont impénétrables, et c’est bien le cas pour Max Jacob et Jean Moulin qui, tous deux, mourront tragiquement des traitements cyniques des occupants allemands, mais qui, bien avant cela, connaîtront tous deux la douce séduction des textes de Corbière et ses dons de critique et pamphlétaire. Car la modernité n’exclut en rien une sorte de câlinerie du texte, fût-elle gentiment ironique, comme chez Paul-Jean Toulet des Contrerimes ou chez Henry J.-M.Levet et ses Cartes postales.


C’est le Musée des Beaux-Arts de Quimper qui détient non seulement les eaux-fortes illustrant les poèmes bretons de Corbière mais aussi les œuvres de céramiste de Jean Moulin, tous accusant un penchant pour la tragédie, très éloignée des esquisses premières  pour la presse quotidienne.


De quoi souligner une fois encore à quel point l’intérêt pour les arts et la poésie n’exclut en rien – comme le veut un certain sens commun particulièrement aveugle – une fermeté de caractère et un sens inébranlable de la défense des valeurs citoyennes incarnés ici par Jean Moulin et ailleurs par son contemporain René Char, par exemple ! Non, votre Honneur, les poètes ne sont pas que des rêveurs, la rime est riche mais tellement plus notre conviction !


Références :
B. Vergez-Chaignon, Jean Moulin l’affranchi, Grandes Biographies, Flammarion, 2018.
T. Corbière, Les Amours jaunes, (1873) présentation par J.P. Bertrand, Flammarion, 2018.

 

©Pierre Guérande            
 
 
 

 

 

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12 décembre 2023 2 12 /12 /décembre /2023 07:44

 

 

Anne était née à Bruxelles, le 20 juin 1917, et avait étudié à Bruxelles au Lycée Dachsbeck mais, comme pour Audrey Hepburn, ces premières années ont été largement oubliées de leurs contemporains ainsi que des nôtres. Celle qui s’appelait alors Nicole Navaux se détourna intensément de cette enfance pour rechercher un ailleurs avec non moins de passion.

Elle était journaliste et sinologue, ayant refait le voyage mythique de Marco Polo en traversant le Sin-Kiang à dos de mulet, à pied, en camion avec une caravane de marchands : une émule française de Neel Doff en quelque sorte ! Déjà à la base de la création du Comité du Film ethnographique, elle devient,  pour les Lettres Françaises, critique des films scientifiques et documentaires.

Elle croise un jour sur sa route « la beauté du diable », en ce sens qu’elle encourage un certain Gérard Philipe à accepter l’offre de René Clair pour ce rôle ! Et lui qui tiendra dans ses bras les actrices les plus fascinantes, de Maria Casarès à Michèle Morgan, d’Edwige Feuillère à Simone Signoret et tant d’autres icônes de ce temps, saisit très vite les multiples qualités de cette élue discrète et introvertie qui se révèle être une âme forte et fascinante : il avait besoin de cet amour tranquille, de cette volonté près de lui, qui se manifesta sans défaillance (M.Périsset), lui qui, de constitution fragile, nourrit comme elle un idéal d’exigence et de perfection.

Le destin n’accordera au couple que dix années de connivence et de tendresse puisque la mort de Gérard y mettra fin le 25 novembre 1959.

Une œuvre alors s’élabore peu à peu, dont le décès de l’être aimé semble bien le point de départ et d’arrivée : non que l’auteure ait voulu s’enchaîner aux grilles de la mort (P.G.) mais qu’elle ait, au contraire, cherché résolument à se placer du côté de la vie, sans rien perdre de l’expérience humaine engrangée dans la lumière du bonheur durant ces rares années de travail intense partagées. Elle ajoute à sa quête d’une transcendance strictement laïque la sérénité d’un regard de femme pour qui la maternité s’étend au règne des vivants autant que des disparus qu’elle porte dans sa ligne de vie : après la parution de « Le temps d’un soupir », dédié à l’évocation de sa vie avec Gérard, elle parlera dans plusieurs romans de l’inéluctable finitude de notre condition humaine en des termes d’une superbe exaltation, en revanche, des valeurs de vie. De quoi refouler bien loin l’angoisse en faveur de la « célébration du quotidien », selon un titre de Colette Nys-Masure.

L’écriture, à travers quelque six à huit romans, est apaisante s’il en est, et ne se détournera pas de cette nostalgie première, mais ramenée aux proportions d’un humanisme fait de tendresse et de conquête de la joie.

Autant que nous sachions, il n’y eut pas de recueil de poèmes sous la plume raffinée d’Anne Philipe : ce n’est que dans deux livres, « Spirale » et « Ici, là-bas, ailleurs » qu’elle se laisse aller à quelques odes à l’amour et à la maternité :

Perfection, Certitude.

Ainsi parfois après l’amour

Seul existe le présent

mais éternel et à jamais semble-t-il éloigné 

de la peur imposée ou ressentie

Attente calme de ce qui sera.

Silence d’espoir

Je suis fleur et rivage,

la nuit redevient lumineuse,

le désert cesse d’être solitude.

La douleur a germé

C’est une sorte de stoïcisme à visage humain :

Tu fus mon plus beau lien avec la vie. Tu es devenu ma connaissance de la mort. Quand elle viendra, je n’aurai pas l’impression de te rejoindre, mais celle de suivre une route familière, déjà connue de toi.

Est-ce Gérard, est-ce Lorenzaccio, qui finalement nous vaut ce cri abandonné, comme un précepte du Livre de la Sagesse, par une épouse marquée du signe de la cruauté autant que de l’enchantement d’être ?

 

Etre la flèche

son but et sa trajectoire

Parfois l’éclair

 

Sans doute Anne n’apparaîtra-t-elle jamais dans une anthologie poétique, mais son langage est, moins par ces rares incursions que par ses envolées intimistes en prose, vibrant de ces frémissements qui portent haut sa pensée poétique.

 

©Pierre Guérande      
 
 
 
 

 

 

 

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27 octobre 2023 5 27 /10 /octobre /2023 06:34

à Robert Simonnet, ingénieur et psychologue breton,

                                                                                 dans le souvenir de Denise Simonnet-Guyot

                                                                            psychologue et  grande résistante 1940 - 1945

 

 

Charles Lindbergh et la naissance d’une collaboration

                                   

C’est en 1930 que Carrel est approché par Charles Lindbergh, le célébrissime aviateur de la première traversée de l’Atlantique, les 20 et 21 mai 1927. C’est que le héros du ciel est marié depuis l’année précédente avec Anne-Spencer Morrow, la fille de l’ambassadeur US au Mexique, dont la sœur souffre d’une pathologie cardiaque sans issue et pour laquelle Lindbergh espère avoir trouvé le sauveur potentiel. La démarche est donc généreuse envers celle, brillante aînée, qu’avait apparemment supplanté sa cadette Anne, poétesse à ses heures et bientôt pilote affranchie à son tour. Cette belle-sœur de l’aviateur décèdera finalement en 1943.

Quand Lindbergh constata combien rudimentaire était le modèle de pompe à perfusion de Carrel, qu’on assimila un peu vite à un cœur artificiel, il s’offrit à en perfectionner le prototype. La collaboration proprement dite deviendra effective en 1931 : une association improbable, comme l’ont qualifiée bien des commentateurs, en oubliant trop souvent d’y ajouter féconde et profondément humaine.

Car on connaît la terrible épreuve morale traversée par les Lindbergh en mars 1932 lorsque leur premier fils, âgé d’à peine quelques mois, se fera kidnapper par un sinistre personnage s’en prenant à la fortune (dans toutes les acceptions de ce mot) du héros de l’aviation ! L’enfant sera retrouvé mort deux mois plus tard. Cet épisode laisse le couple désemparé et écoeuré au point de les pousser à quitter l’Amérique pour Londres. C’est de cette façon que les Lindbergh seront accueillis, dès la fin de l’année, à Saint-Gildas, en recherche d’estime et d’objectifs réparateurs. Ils y seront reçus encore bien des fois, en 1936 et 1937, alors qu’une collaboration scientifique étroite se sera instaurée, aboutissant à la fameuse « pompe à perfusion » de Nième génération, qui était une étape dans la perspective de possibles transplantations d’organes ; aboutissant en outre à la publication plus tardive du livre, écrit en commun, La culture des organes (1938). Difficile, par conséquent, de complètement séparer l’évocation des protagonistes en présence, tant leurs liens en Bretagne et aux USA se confondent désormais. C’est en 1938 également que Lindbergh acquiert à son tour la petite île d’Illiec, toute voisine de Saint-Gildas, à dix minutes de bateau (**).                                                  

A la veille de l’entrée en Guerre des Etats-Unis, Lindbergh défend âprement le maintien hors conflit de son pays en tant que leader du comité « America first », un slogan bien antérieur à Donald Trump comme on le voit.

Il s’impose, à ce stade, de citer quelques rétroactes pour éclairer certaines prises de position.

Invité par son gouvernement à se rendre en Allemagne pour rendre compte de la puissance de la Luftwaffe, Lindbergh avait rencontré Willy Messerschmitt et son âme de pilote s’en trouva fascinée au point de prendre le pas sur son sens critique et sa moralité politiques. Ayant été décoré par Göring en personne en 1936, il refusera, cinq ans plus tard, de renvoyer, comme l’ordonnait Roosevelt, cette « médaille de la honte », en fait celle de l’Ordre de l’Aigle allemand. Pour comble, Lindbergh préféra renoncer à son grade de colonel de l’US Army.

Toutefois, à la suite de l’attaque de Pearl Harbor, Il modifiera totalement son point de vue en accomplissant en six mois, mais à titre civil, une cinquantaine de missions.  Les pilotes de l’USAF (United States Air Force) et des US Marines saluent dès lors son engagement au combat et son patriotisme ; il se voit réhabilité dans l’armée comme général de brigade. Sa visite, en juin 1945, du camp de concentration de Dora qui recèle en souterrain les ateliers de fabrication des V2, aura achevé de remodeler ses convictions à propos d’Hitler qu’il avait qualifié de « grand homme ». A présent, il dira tout haut son dégoût de voir une humanité atteindre un tel degré d’abaissement.

Après la guerre, il sera consultant auprès des constructeurs aéronautiques mais prendra à nouveau ses distances par rapport aux vols supersoniques, jugés trop destructeurs. Il en viendra même à douter de l’utilité de l’aviation face au devoir de conservation de la nature et des populations primitives pour laquelle il milite toujours davantage. Il connaîtra, en 1968, le lancement d’Apollo 8 depuis le cap Kennedy, toujours aussi passionné de techniques de pointe bien comprises.

Lindbergh achèvera sa destinée tumultueuse, et qui le fut aussi au plan affectif, en choisissant à nouveau une île, celle de Maui (Hawaï), pour sa résidence qui sera aussi sa dernière, en 1974.

 

Des conceptions socio-politiques partagées

 

Autant l’idéologie de l’Arcouest pouvait être gauchisante, athée, antiraciste, dreyfusarde, autant l’entente entre les deux collaborateurs présents régulièrement au large (si large il y a !) de Penvénan les aura dirigés vers des conceptions de droite et même d’extrême droite, teintée parfois de convictions héritées d’une foi austère insufflée dans l’enfance, et très comparable pour nos deux bretons d’adoption.

L’orientation politique commune mènera sans doute à un renforcement de l’amitié mais donc aussi à quelques outrances dont les traces ont, malheureusement, entaché les deux carrières en dépit du redressement héroïque mais tardif des attitudes de chacun face aux thèses nationales-socialistes. Ce sujet demande une analyse approfondie mais nous n’en citons que d’infimes éléments en vue de profiler les sources de la mésestime radicale qui s’est attachée peu à peu aux noms des deux personnalités.

Ces deux figures majeures du XXe siècle, déjà si exceptionnellement réunies malgré des compétences à première vue très éloignées, se retrouvèrent ainsi de par leurs conceptions philosophiques hasardeuses mais heureusement reniées au gré de leurs errements et des souffrances de fin de vie. Il serait bienvenu, à cet égard, d’adopter à notre tour le regard bienveillant qui est celui du Père, pour lequel on ne tombe jamais si bas qu’on ne puisse se relever de ses écarts, et ceux-ci furent à l’image de leur gloire, intense et semeuse d’indignation. Or, Carrel fut pour Lindbergh ce père, cette fois sans majuscule, dont la disparition le laissa dévasté et dont il se jura de rétablir les mérites aussi longtemps qu’il lui survivrait ; sans doute ce combat avait-il valeur de rédemption pour lui-même, mais on ne saurait pour autant déprécier cette croisade pour l’absent qui motiva ce héros si différent de son Mentor. L’avenir emboîtera-t-il généreusement le pas à cette double réhabilitation, en se souvenant de ne pas piétiner le bon grain qui demeure sous l’ivraie ?

                                                    

Un passé définitivement révolu ?

 

Pour fugitifs qu’aient été les séjours passés par tous ces Prix Nobel et autres savants en Bretagne, ils furent en soi révélateurs des pages essentielles de l’histoire du début du XXe siècle. Certes, ce fait-divers n’impressionne plus beaucoup les foules, à bien des années de distance, et ne rivalisera pas avec l’aura des héros, réels ou fictifs, que campe notre actualité à grand renfort de scoops assourdissants. C’est que la côte bretonne offrait précisément cette retraite hautement bénéfique, voire mystique, à la méditation et à la contemplation que nous appelons désormais tous de nos vœux pour la planète et ses survivants: et à cet égard comme à tant d’autres, ces résidents d’un genre unique furent en avance, ô combien, sur notre temps.

                                              ------------------------  

 

 (*) A propos de religion, d’ailleurs, on ne saurait passer sous silence l’épisode du voyage à Lourdes (1902) où le Dr Carrel accompagne un contingent de pélerins en tant que médecin, nullement en tant que croyant : il a renoncé à la foi depuis des années. Il est frappé par le cas d’une malade condamnée, scientifiquement parlant, par une péritonite tuberculeuse, et en phase terminale. Devant sa guérison qui interviendra cependant, le jeune médecin reconnaît devoir s’incliner comme il s’y était engagé face à l’hypothèse de ce qu’il fallait bien appeler un miracle : ce sera le retour à la foi.

(**) un « caillou » qui avait appartenu au musicien Ambroise Thomas, l’auteur de Mignon, l’opéra qui fut composé en ces lieux, que les nouveaux occupants écoutaient, dit-on, avec ravissement.

(***) L’article très fouillé d’Etienne Lepicard (Histoire des Sciences médicales, XLVI, n° 1, 1912) attribue une bonne part du succès de l’ouvrage au contexte historique déterminant au fond la lecture et la réceptivité d’un écrit : il souhaite que soient reconstitués les horizons d’attente qui ont vu naître une œuvre aux fins d’en évaluer la conformité ou l’écart par rapport aux normes instituées. Citant pour référence la théorie de la réception appelée « response theory » de H. R. Jauss, il préconise la comparaison de diverses lectures. De fait, la perception que nous avons actuellement peut différer très sensiblement de celle prévalant dans certains milieux de l’époque. Cette analyse permet de proposer de voir dans l’Homme, cet inconnu, « une réponse élitiste, savante, à la crise économique » des années 1930. Or, pareil essai d’objectivation des jugements émane méritoirement d’un membre (médecin, historien) du comité de bioéthique de l’Université hébraïque de Jérusalem, quand on sait les tendances antisémites dont a fait preuve le Dr Carrel.

Un article bien antérieur, écrit peu après le décès de Carrel, par le Dr Spaey dans la Revue Nouvelle, indique sagement « nous ne jugerons pas les raisons qui ont poussé un homme de Science à sortir du cadre qu’il s’était tracé, pour jouer, à une époque troublée, un rôle dans la vie publique ; néanmoins, il est plus qu’étonnant de lire qu’ « il attend d’une eugénique, hélas très matérielle, la rénovation morale et sociale de nos sociétés » et de passer sous silence le souhait d’élimination pure et simple des criminels, voire des individus susceptibles de nuisance du fait de déséquilibre mental.

 

Références

Drouard A., Alexis Carrel (1873-1944). De la mémoire à l’histoire. L’Harmattan, Paris, 1995.

Hertog S., Anne Morrow Lindbergh - her life First Anchor Books Ed., nov 2000

Jauss H.R., Pour une Esthétique de la réception, Gallimard, Paris 1990.https://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/12/22/21752-longue-marche-lassistance-cardiaque

Launet Ed., Sorbonne Plage, Ed. Stock, Paris 2016

Lepicard E., Une réponse bio-médicale à la crise des années 1930 : La construction de L’homme, cet  Inconnu d’Alexis Carrel. Thèse de Ph. D. Université hébraïque de Jérusalem, 2002 (en hébreu).

Lepicard E., La première réception de L’homme, cet inconnu, d’Alexis Carrel, Histoire des Sciences médicales, XLVI, n° 1, 1912.

Mallinin T.I., Remembering Alexis Carrel and Charles Lindbergh, Texas Heart Inst. J., 23 (1), 1996

Marck B., Lindbergh l’ange noir, L’Archipel, 2006

Soupault R., Alexis Carrel, 1873-1944, Les sept Couleurs, Paris, 1972

 


©Pierre Guérande


       
 
             

 

 

 

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25 octobre 2023 3 25 /10 /octobre /2023 09:45

                                                                     à Robert Simonnet, ingénieur et psychologue breton,

                                                                                 dans le souvenir de Denise Simonnet-Guyot

                                                                            psychologue et  grande résistante 1940 - 1945

 

Noirs horizons et granit rose : les Prix Nobel en Côte d’Armor

Bien que la population locale semble l’avoir largement oublié, et bien que le tourisme n’y prête pas attention, il n’est pas indifférent d’évoquer le fait que les côtes bretonnes, et plus précisément la Côte de granit rose, furent au début du XXe siècle le lieu de rendez-vous des savants les plus éminents, en tête desquels ont figuré plusieurs prix Nobel. Leur choix ne se portait donc pas sur la Côte d’azur mais bien sur ce pays d’Armorique réputé pluvieux et peu équipé, pour lors, en fait d’accueil hôtelier ou résidentiel. Cette dernière considération paraissait sans doute attractive, au contraire, pour ces universitaires soucieux avant tout de calme et de discrétion durant leur séjour. La nature de la côte n’a pas, en ces endroits, le caractère sauvage et intimidant de la Pointe du Raz ou de la presqu’île de Crozon. La roche a ici cet aspect plus lisse et plus arrondi, doublé de cette coloration rare qui lui vaut son nom. Les amas rocheux sont comme groupés par troupeaux et laissent le paysage s’aérer de loin en loin sans véritable causalité géologique apparente. Cette roche se pervertit et se noircit à sa base sous l’influence des marées, et prend alors une gravité que le soleil a tôt fait d’amenuiser.

C’est ce décor qu’un nombre grandissant de professeurs, chercheurs et penseurs adoptèrent durant plusieurs années. Nous aurons plaisir à évoquer ici deux de ces résidences d’été, à l’est de ce Ploumanach devenu village préféré des français, preuve que la beauté et le côté typique de ces lieux ne fut pas sans attirer ces vacanciers d’un genre à la fois élitiste et anti-mondain, comme nous le verrons

Les convergences ne manquent guère entre ces deux choix de séjour, non plus que les contrastes entre leurs commanditaires. Parmi les épisodes les plus saillants, notons déjà la venue en ces lieux des prix Nobel de 1911, Marie Curie pour la chimie, et de 1912, le Dr Alexis Carrel pour la physiologie et la médecine. D’autres suivront ! Ces deux icônes ont aussi en commun d’avoir défrayé la chronique pour des raisons bien étrangères à leurs spécialités académiques. Leur humanisme incontestable revêtira, comme leur patriotisme, des expressions fort différentes : tout un programme, au fond, et tout un pan d’histoire.

 

Sorbonne Plage

 

Lorsque l’on quitte le chemin villageois qui traverse la localité de Ploubazlanec, bien conscient de l’imminence de rejoindre la côte, on s’étonne d’avoir à descendre une pente aussi raide, au point d’hésiter un court instant à y engager sa voiture : on se persuade presque de ne rencontrer qu’une ou deux habitations en contrebas, et de jouir bientôt d’un espace vierge en bord de la rade, « au bout de nulle part » !

C’est ce qu’ont dû éprouver, en leur temps, les universitaires qui avaient élu ce site comme terre – et mer - privilégiés de leurs vacances, voici un siècle. Mais ce premier étonnement, demeuré d’actualité, se double à présent d’un sentiment inverse : c’est que l’on découvre paradoxalement là de vastes parkings et des hôtels de luxe fort prisés, en bordure de l’embarcadère des vedettes menant de la pointe de L’Arcouest, où nous sommes, à l’île de Bréhat toute proche, soit à quinze minutes de bateau environ. Un horizon proche, par conséquent, qui peut revêtir un aspect austère et vaguement hostile sous la brume ou alors un attrait ensoleillé et irrésistible selon l’heure et surtout la saison où on l’aborde.

Mais ranimons peut-être le passé qui, en ce début de XXe siècle, vit débarquer ici une communauté de savants, bientôt l’élite des penseurs et chercheurs d’alors, pour de légitimes délassements en commun, fort éloignés cependant des formules organisées qui leur ont fait suite de nos jours.

C’est ce passé d’exception que révèle le titre Sorbonne plage si révélateur et dont traite subtilement un ouvrage passionnant sous la plume d’Edouard Launet, un ingénieur doublé d’un sens aigu de la scénarisation et d’une passion affichée pour l’écriture.

Tout commence au fond par une invitation chez un poète, Anatole Le Braz, artisan du maintien (ou de la restauration) de la langue bretonne en même temps que subtil versificateur pour la langue française. Ses hôtes, tout à la fin du XXe siècle, sont le neuro-physiologiste Louis Lapicque, découvreur de la chronaxie, et le brillant historien Charles Seignobos. Nous sommes alors à Port-Blanc et les flâneries séparées des deux couples de résidents les mènent à repérer la presqu’Ile de l’Arcouest qui d’emblée les fascine : la destinée plus que dramatique de Le Braz – il perdra huit membres de sa famille lors d’un naufrage en 1901 – conduit les deux familles à élire plus à l’est leurs ambitions futures. Coïncidence encore : c’est aussi à Port-Blanc que Marie Curie avait fait ses premiers pas en Bretagne, en 1897 ; elle aussi cinglera plus à l’est, quInze ans plus tard, forte de ses deux prix Nobel et de ses deux filles Irène et Eve que, sans allusion à la science atomique, nous qualifierons volontiers de fusionnelles. Par rapport à l’évocation, à laquelle nous arriverons en seconde partie, des figures controversées de Carrel et de Lindbergh, celle de l’arrivée de la très estimée veuve de Pierre Curie ne lui vaudra pas non plus que des éloges, étant donné les rumeurs de « love affair » qu’elle aurait connue avec le grand mathématicien Paul Langevin, marié et père de famille, ce qui, là aussi, fit scandale. Ah, ce plaisir de ravaler les destinées glorieuses trop éclatantes !

Le physicien Jean Perrin et le mathématicien Emile Borel viendront avec leurs dames compléter la compagnie d’érudits bientôt muée en navigateurs et nageurs plus ou moins aguerris. Nous ne citerons pas la totalité des « têtes » qui composeront bientôt cet aréopage, allant jusqu’à compter une cinquantaine de familles, vivant manifestement en vase clos mais avec tant de simplicité et de gentillesse que la localité ne s’en émouvra pas outre mesure. Un zeste de snobisme ne dérange personne, semble-t-il, quand Louis Lapicque baptise son bateau du nom d’Axone …

Toute cette société se mobilise à la déclaration de guerre et Marie Curie, déjà assistée d’Iréne toute jeune, créera des unités de radiologie mobile et soulignera par l’action tout l’apport des technologies en période de conflit. Les interventions de notre savante au plan véritablement diplomatique sont à mentionner en marge de son rôle technique et novateur.

L’après-guerre voit se confirmer en Arcouest un style de vie bon enfant en même temps que s’accroît le nombre des fervents de cette jeune république, le mot n’est pas immérité. En 1926 apparaît l’élu du cœur d’Irène avec lequel se prépare un nouveau prix Nobel partagé, comme en 1903 pour les parents, c’est Frédéric Joliot-Curie. Lui seul brisera quelque peu l’apartheid du groupe, un mot que tous auraient cependant banni, en fréquentant bien davantage Paimpol et ses habitants, et forcément le large et ses inquiétants nids rocheux. C’est ensuite l’installation à proximité de la « colonie » d’ouvriers du Faubourg Saint- Antoine qui consolidera pour le groupe sa foncière détermination d’aider les classes populaires à accéder aux loisirs et à la culture.

L’orientation politique de nos résidents est nettement progressiste : elle est sensible aux droits de l’homme, à la défense acharnée de Dreyfus et de l’antifascisme, à l’obtention de mandats gouvernementaux notamment pour garantir un soutien légitime à la recherche. Dame, quand on peut se prévaloir de tels lauriers de l’académie suédoise ! Mais les avancées de l’expérimentation mènent nos lauréats à s’inscrire en tête de liste, au moins pour un temps, dans la domestication de l’atome ; les pages finales du livre, mais aussi sa trame tout entière vous glacent le sang puisque les concepteurs de l’utilisation pacifique de la radioactivité seront pris, un moment, entre le goût d’être à la pointe des découvertes et celui de rejeter les développements terrifiants qu’elles laissent entrevoir. Le vieil adage « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » revêt toute sa valeur, notamment à l’annonce des bombardements sur le Japon qui vient perturber les principes et les codes.

Ces « scrupules », diront certains, toucheront également Oppenheimer, le père de la bombe, dont l’astucieux Edouard Launet ne manque pas de citer la présence à quelques encâblures de Sorbonne plage, vers 1925. Son passé d’étudiant à Harvard et à Cambridge ne laisse guère beaucoup à jalouser de la part des émules des laboratoires français. Le destin décide ainsi de croisements dans l’existence qui vont bien au-delà des hasards géographiques, comme l’a fort bien décrit Launet.

Le littoral se ressent-il encore de la présence durant un demi-siècle de ces cerveaux redevenant, le temps de l’été, des êtres libérés et détendus, aux prises avec la vie de chaque citoyen(ne) ordinaire et seulement formattés par leur esprit de caste académique, dont ils se départissent malaisément pour leurs loisirs ?

Launet conclut avec nostalgie : « L’Arcouest, désormais, ce n’est plus qu’un nom gravé dans l’émail, celui du panneau que l’automobiliste aperçoit sur sa droite en quittant Ploubazlanec pour se rendre à l’embarcadère de Bréhat » : « un mémorial réduit à un simple muret de granit rose sur lequel est apposée une plaque de marbre murmurant en lettres dorées : En hommage à Irène et Frédéric Joliot-Curie, vies consacrées à la science et à la paix. Leurs amis de Ploubazlanec, où ils aimaient séjourner. »       

                       

 Du côté de Port-Blanc

 

Le rassemblement de cerveaux qui eut lieu, avec à peine quelque décalage de temps et d’espace, près de Port-Blanc, concerne deux figures très différentes des personnalités précitées : leur humanisme, leur engagement politique, leurs débordements mêmes furent largement à l’opposé de la ligne suivie par les Arcouestiens. Nous voulons parler du Dr Alexis Carrel et de Charles Lindbergh.

Commençons comme il se doit par l’aîné, qui précéda son futur collaborateur en choisissant de s’installer en Bretagne lors de ses retours en France. Notre objectif n’est une fois de plus que de dépeindre et de ressusciter quelque peu la relation, certes très labile, entre biographie et lieu temporaire d’existence, et pas du tout de nous étendre sur la carrière scientifique qui dépasse tout  autant les limites de notre article que celles de notre entendement. Nous proposons tout au plus un rappel de ces carrières trop oubliées par ceux-là mêmes qui hantent encore actuellement l’ancien habitat armoricain de ces deux noms prestigieux.

 

Le Docteur Alexis Carrel

 

Carrel est de la région lyonnaise : il y est né en 1873 et y a étudié, mais il émigre, dès 1904, au Canada puis aux USA : entré comme boursier au tout jeune Institut Rockefeller pour la recherche médicale, il y dirigera la Division de chirurgie expérimentale jusqu’en 1939. C’est donc dès l’amorce de cette mission, déjà en soi, lourde de responsabilité, qu’il obtient le Prix Nobel « pour ses travaux sur les sutures vasculaires et les transplantations de vaisseaux sanguins et d’organes ».

Si les dates de naissance de Marie Curie et d’Alexis Carrel sont rapprochées, l’attribution à l’une et à l’autre du Nobel (le second pour Marie, cette fois à titre personnel) respectivement en 1911 et 1912, fait d’eux des contemporains tout à fait évidents. L’implication immédiate, dans les services et dans l’effort de guerre, de ces deux icônes de la science et de la médecine est tout à fait exemplaire, comme nous l’avons déjà évoqué pour Marie Curie. Carrel, quant à lui, officie comme Major au Corps médical français où il met au point des méthodes de traitement des blessures de guerre et notamment des brûlures. Pour reconnaissance de ses découvertes, il sera fait commandeur de la Légion d’honneur ; de ce temps datent ses liens avec Philippe Pétain.

L’Institut Rockefeller gardant toujours sa préférence, il repart aux USA après l’armistice et collectionnera les travaux et les honneurs ainsi que les publications, en son nom propre ou à titre partagé.

Le site qui accueillera le couple Carrel pour ses séjours en France sera la petite île Saint-Gildas, dont ils font l’acquisition en 1922 grâce au montant du prix de l’Académie suédoise. Cette affectation de la récompense des travaux scientifiques ne correspond nullement à un caprice, puisque le savant choisira de s’y faire inhumer et cèdera le domaine à un ordre religieux après son décès (* ).

Entretemps, la carrière l’aura orienté vers des domaines parfois contrastés mais toujours avec un même brio et un impact incontestable sur le grand public, ce qui culminera avec la parution, en 1935, de son livre L’Homme, cet inconnu, publié simultanément en France et aux Etats-Unis, avec d’emblée un succès considérable.

Toutefois, les thèses eugénistes contenues dans l’ouvrage tombaient au plus mauvais moment, inspirées par un désir réel de développement humain sélectif et socialement bénéfique, voire par une idéologie de dépassement de soi, mais arborant une préoccupation élitiste à laquelle même des commentateurs spiritualistes ne parurent pas lucidement sensibles et à quoi les écoles bien pensantes d’alors réservèrent même un écho enthousiaste (***).

Il faut savoir que dès 1930, le Dr Carrel avait participé aux travaux d’un parti fasciste, et que sa sympathie affichée pour Philippe Pétain, Henry Ford et même Mussolini n’arrangea nullement les choses. C’est lui cependant qui déclara que « le national- socialisme est totalement opposé aux principes fondamentaux de la civilisation occidentale ; il n’a pas construit un monde adapté à l’homme ». Des souvenirs pénibles de la première guerre mondiale ajoutaient, en outre, à la défiance vis-à-vis du nazisme au quotidien.

Revenu effectivement en France en 1940, deux mois avant l’entrée en guerre, Carrel conçoit pour le Ministère de la Santé un hôpital mobile, bientôt adopté par les troupes britanniques en Afrique du Nord, et met au point des techniques de conservation du sang. Il recevra à nouveau le concours d’un spécialiste inattendu en la personne de Le Corbusier. La popularité de Carrel en France et en Europe ayant néanmoins très fortement décliné, il bénéficiera par contre du soutien d’Eisenhower qui exigera « qu’on ne touche pas au Dr CarreL »

Traîné peu à peu dans la boue comme il avait pu être encensé par ailleurs, Carrel vit sa santé rapidement se détèriorer et des reproches cinglants le conduisirent, dès avant la fin de la guerre, à la dépression et au décès.


©Pierre Guérande
       
 
             

 

 

 

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6 septembre 2023 3 06 /09 /septembre /2023 06:31



 
La danse échevelée
de la fille allumeuse d’âmes
avec ce garçon d’outre-mer
sémillant d’arrogance ailée
 
Eh bien cette danse
la voit-on sexe et rebelle
parmi les tourbillons de gaze
et les élancements de feu ?
 
Le tournoiement des corps sans axe
surprend le doux éclairagiste
soucieux de suggestion nimbée
et d’hypnose en technicolor
 
C’est du grand style aérobique
quand ils prennent et puis rejettent
leurs corps en vive conjonction
sous la folle complicité des yeux
 
Au moins aurons-nous vu ce trouble
des corps lancés dans la bataille
à couteaux tirés des esclandres
dans l’intimité monstre du désir


©Pierre Guérande
       
 
             

 

 

 

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26 juillet 2023 3 26 /07 /juillet /2023 09:23

  11 mai 1979 - RTS                                                                                                        

Toutefois, le souci d’un sain communautarisme qui habite l’auteur depuis sa jeunesse incite à penser que c’est en conscience – en pleine conscience – qu’il cherche à déborder des frontières étroites de l’ ego pour incarner plutôt une subjectivité interpersonnelle.

De là à penser que l’écriture « bipolaire » de Claude Roy puisse être projective d’une attitude assez fondamentale, il n’y a évidemment pas un océan à franchir. Curieusement, le roman Le Malheur d’aimer qui date de 1958 traduit lui aussi cette indécision face à l’engagement profond et indéfectible, cette fois dans l’amour et quand bien même il apparaît totalement partagé. C’est vrai, aussi, que c’est donc l’année qui lui fera connaître enfin un amour sans équivoque.

Risquons un rapprochement avec le jugement -sur un tout autre plan - de Maria Van Rysselberghe (***) qui, dans ses Cahiers, relatait une rencontre de Claude avec Gide en octobre 1941 : « nettement de droite avant la guerre, il ne reconnaît plus son idéal depuis qu’on l’applique ; mal à l’aise partout, tâtant de tous les groupements, de toutes les directions sans pouvoir adhérer à aucune ». L’opinion toujours extra-lucide d’Edgard Morin ne dit pas autre chose : « Claude Roy, comme tout naïf stalinien, avait peur de lui-même … Le parti est notre garde-fou, me disait-il comme si nous étions des déments. Et sans doute son esprit un peu tout-fou, toujours prêt à adhérer à tout et à rien, trop léger de sa gentillesse universelle, avait besoin d’un centre de gravité, d’un tissu conjonctif, d’un squelette » (5).

Fort heureusement, l’auteur s’est largement ressaisi de ces atermoiements en s’affirmant aux plans politiques et philosophiques, mais également affectifs, pour ne garder ce trait (comme une coquetterie ? Comme une signature ?) que dans l’écriture. Sa fidélité en amour comme en amitié, même à l’égard d’un être d’un autre temps (L’ami qui venait de l’an mil) devint exceptionnelle. On ne saurait taire sa vénération pour le couple Anne et Gérard Philipe, elle comme sinologue avertie et lui comme idole du théâtre décédé tellement jeune et dont la génération actuelle imagine à peine le rayonnement dans toute la Francité. Mais un culte non moins grand est réservé par exemple à Octavio Paz, de passage à Paris en 1995, mais longtemps « courtisé » avant cette rencontre ultime.

 

 Au service de la droiture, le talent.

 

Nous avons longuement envisagé le style et bien plus sommairement les sujets de l’écriture de Roy ! Ne le quittons pas sans souligner encore son art de « camper » (le mot nous semble approprié) la physionomie et le profil psychologique de ses personnages : il y a là de la causticité, parfois, mais aussi de l’adoration (n’ayons pas peur du mot !) qui donneraient bien envie de troquer cette manière contre toutes les descriptions techniques de la biométrie et de la caractérologie ! Choisissons peut-être un échantillon de chaque tendance, la gentîment moqueuse et la finement admirative : On commence par laquelle ?

Le visage en triangle, front de proue, menton de brise-glace, et le double rond des lunettes-hublot il ressemblait à une lame de ressort qui fait dzing constamment. C’était un ressort d’acier à l’accent alsacien, et deux fois martelé : par l’énergie impérieuse et les accents toniques de l’allemand. (…). Il avait construit des maisons. Il allait reconstruire le monde. Il était, il est resté, pur comme un tire-ligne, modeste comme un fil à plomb et entêté comme une équerre (Nous, p. 43).

Mais voici pour illustrer la phase dévotion admirative, une évocation de Jean Paulhan, éminent représentant de la NRF dont il avait été évincé pendant la guerre :

Paulhan avait l’esprit biseauté, une malice parfois perverse, une ironie à étages, comme les fusées spatiales. Mais le désintéressement était fondamental chez lui. Il commençait ses journées en écrivant dis ou quinze lettres et billets, qui avaient comme dénominateur commun le souci des autres, le désir d’aider leur travail, de les encourager à accomplir leurs dons, de perfectionner leurs manuscrits, de découvrir des êtres humains intéressants (Le Rivage des jours, p. 167).

Honorer la figure d’honnête homme et d’écrivain de Claude Roy ne serait pas complet sans un écho final à sa carrière de chroniqueur dont la qualité vient se greffer avantageusement à toutes celles déjà évoquées ici : ce n’est effectivement pas négligeable que d’avoir donné, notamment, une vision fidèle de la Chine de son temps, lorsqu’on est soi-même entouré de fins sinologues comme Anne Philipe mais aussi Simon Leys qui rend hommage à sa clairvoyance.

Notre compatriote salue « le rare courage de Claude Roy, d’autant plus admirable que son activité journalistique s’est principalement exercée dans des endroits où la terreur de ne pas paraître suffisamment à gauche atteignit parfois des proportions paniques » (Essais sur la Chine, Bouquins, Laffont 1998).

Ainsi donc, notre auteur, parfois taxé d’hésitation voire d’aller-retour entre idéologies, se voit-il consacré par un commentateur hautement avisé pour sa fidélité jamais démentie envers ses idéaux de déconstruction de toute forme d’absolutisme, fût-ce au risque de se départir des sympathies d’une fraction de penseurs et de clans politiques infiniment proches.

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(1) nous reprenons là une expression de l’astronome Bernard Lyot, son ami, qui disait textuellement trouver chez Claude Roy une « lunette d’approche dans le cœur ».

(2) non encore devenu le futur témoin pathétique de Buchenwald.

(3) fille de M. Monnom, l’éditeur bruxellois de Verhaeren, et épouse du peintre Théo Van Rysselberghe, parfois dénommée la petite dame d’André Gide dont elle fut la confidente.

(4) Prenons à dessein quelques citations tirées de Un seul poème (1954) et de Le Rivage des jours (1992) : Un autre me répond, un autre ou bien personne (USP p. 96) Il semble qu’il vécut  II semble qu’il rêva Il semble qu’il aima (p. 93). Quelqu’un qui était moi sans l’être tout à fait (p. 94). J’entends quelqu’un un peut-être moi ou bien l’autre qui serait moi (p. 121). Il sent que quelque chose lui manque, mais il ne sait pas quoi (LRDJ p. 46) ; Dans cette nuit d’été qui n’a pas existé (p. 148).

(5) Il est toutefois piquant de lire, sous la plume de Claude Roy lui-même, l’attribution de cette  même attitude et d’une naïveté toute pareille à Jean-Paul Sartre, son Mentor, et ce des années plus tard. « Dans son horreur (non anti-communiste) du Parti communiste il conservait cependant une image un peu romantique, et je crois bien naïve, de ce qu’était « le Parti ». (…) Les « compagnons de route » respectaient trois fois le « le Parti » : parce qu’il était une force, parce qu’il s’appuyait sur eux, et parce qu’ils n’en étaient pas » (Le rivage des jours 1990-1991).

Références

 

Cingal Grégory, https://maitron.fr/spip.php?article172057.

Fonds Claude Roy (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet)

 

©Pierre Guérande

       
 

 

       
 
 
 

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26 juillet 2023 3 26 /07 /juillet /2023 06:52

Claude Roy, Paris, 1986

 

 

 


Claude Roy n’est certes pas le plus connu, notamment hors frontières françaises, des auteurs francophones du XXe siècle : en revanche, il a lui-même connu tout le monde au sein des grands noms de ce siècle et cela bien au-delà des limites de son pays. Sa passion d’écrire s’est traduite par une bibliographie impressionnante mais aussi une diversité peu commune des genres abordés : la poésie, que lui-même aurait placée en tête, mais aussi le roman, l’essai, les carnets de voyage et les carnets intimes, et tout cela réparti sans faille au long de ce siècle si bousculé dont il aura connu la quasi-totalité en naissant en 1915, à l’aube de la grande guerre, et en décédant en 1997, invariablement à Paris.


Ce n’est pas, pour autant, que Paris ait été son séjour permanent, tant il a pu visiter de contrées lointaines et tant la géopolitique a pu lui inspirer d’ouvrages : mais procédons peut-être par tranches de vie, comme il a pu lui-même le faire à travers ses écrits, car sa biographie explique grandement sa physionomie littéraire et n’est vraiment pas ici sans intérêt.


Il semble avoir été très tôt voué à côtoyer de futures gloires, et cela commence, entre Jarnac et Angoulême, par ses études en compagnie de François Mitterand.  Bientôt étudiant en droit à Paris, il milite dans les rangs de L’Action Française et publie dans l’organe de la presse maurassienne, L’Etudiant français, et la revue Combat, animée notamment par Thierry Maulnier. Il se lie d’amitié avec Robert Brasillach qu’il rencontre chez Jules Supervielle. En même temps, il se désolidarise du ton xénophobe de plus en plus affiché par les organes comme Je suis Partout, où lui-même n’aborde que des sujets littéraires.


Mobilisé au 503ème régiment des chars de combat, il participe à de violents échanges de tirs dans la Meuse peu avant l’armistice. Faut prisonnier dans la zone de Verdun combien évocatrice, il s’évade et rompt avec le journal Je suis Partout et passe en zone libre grâce à de faux-papiers obtenus de Jean Paulhan et d’Adrienne Monnier, libraire et grande protectrice des arts.


Même en exil forcé à Marseille, il ne renonce pas à sa vocation artistique en intégrant le groupe Jeune France, créé par Pierre Schaeffer, le futur découvreur de la musique concrète, où il anime des émissions à la radiodiffusion nationale. Patriote jusque dans sa vocation poétique, il multiplie les contacts avec la jeunesse littéraire et notamment avec Aragon qui l’achemine vers le Parti communiste en 1943. Ensuite c’est de Paul Eluard qu’il fait la connaissance, une amitié qui ne les quittera plus.


Il participe alors à la libération de Paris, d’où il tire un livre-reportage qui fit sensation (Les yeux ouverts dans Paris insurgé). Ce passionnant témoignage vaut tous les films d’époque et figurera dans la second tome de sa trilogie autobiographique (Moi Je, Nous et Somme toute) ultérieurement. Suivant, en tant que correspondant de guerre, l’avancée des alliés en Allemagne, il vit une autre libération, celle du camp de Bergen-Belsen qui le foudroie littéralement pendant des mois. S’ensuit l’affreuse période de l’épuration où il aurait rétracté sa signature, sous la pression du parti, visant à gracier son ami Brasillach, dont on sait les dérives collaborationnistes avec le Troisième Reich. Bien d’autres artistes de ses connaissances signent la pétition que rejettera finalement de Gaulle.


La vie intellectuelle reprend ses droits avec de nouvelles et d’anciennes figures du Parti comme Eluard, Picasso, Aragon mais aussi Marguerite Duras, Edgard Morin parmi d’autres figures françaises moins familières à des yeux étrangers. S’engage dans ce contexte hyperactif une vraie vie consacrée aux voyages et aux lettres qui n’est pas sans rappeler l’existence de Max-Pol Fouchet, son strict contemporain. Ses livres les plus remarqués (Clefs pour l’Amérique, Clefs pour la Chine) autorisent ses prises de position viriles, aux côtés de Jean-Paul Sartre, son idole, mais aussi de Roger Vailland, Jacques Prévert ou Vercors, contre l’insurrection hongroise en 1956. Passons sur ses relations tumultueuses avec le Parti communiste dont il se détourne, comme tant d’élites de son temps, et revenons davantage sur son constat désabusé du stalinisme ou sa tardive opposition à la guerre d’Algérie, quand il co-signe le Manifeste des 121. Son horreur du totalitarisme, de la torture, de toute répression devient le leit-motiv de ses interventions dans la presse. C’est dans les colonnes du Nouvel Observateur qu’il commentera désormais des ouvrages comme La révolution introuvable de Raymond Aron ou du Premier Cercle de Soljénitsyne. Il n’est pas à Paris lors des événements de mai 1968, où sa place semblait toute faite, peut-être, mais sa croisade continue à propos d’autres chapitres internationaux.


En 1958 encore, il se remarie avec Loleh Bellon, comédienne et dramaturge, elle-même divorcée de Jorge Semprun (2): cette union sera le « bonheur d’aimer », contrairement au titre de l’un des romans de ses débuts et alors qu’un certain échangisme, pris dans une acception plus qu’honorable d’ailleurs, prend place dans les rangs des artistes, comme pour Gala devenant Madame Salvador Dali après avoir été l’épouse d’Eluard.


Or, entre Claude et Loleh, ce sera cet « amour de diamant », comme elle le décrira finement, et c’est elle qui escortera sans faiblesse un mari qui se sait cancéreux de longue date, et auquel elle ne survivra que quelques mois, à la veille du XXIème siècle.
 
Le style en poche
 
Il est pour le moins étonnant de voir coexister chez Claude Roy, comme aussi chez Apollinaire avant lui, des odes des plus sublimes à côté de textes nettement plus quotidiens dont le langage autant que l’intention semblent tomber sous le sens. Or, ce n’est nullement une question d’âge : le sublime peut avoir été conçu très jeune, et le quotidien bien plus tard ! Mais commençons donc par évoquer telle page irrésistiblement inspirée, écrite en 1984 :
                                                
                                           Tant je l’ai regardée           caressée           merveillée
                                           et tant j’ai dit son nom à voix haute et silence
                                           le chuchotant au vent          le confiant au sommeil
                                           tant ma pensée sur elle s’est posée           reposée
                                           mouette sur la voile au grand large de mer
                                           que même si la route où nous marchons l’amble    
                                           ne fut et ne sera qu’un battement de cil du temps
                                           qui oubliera bientôt qu’il nous a vus ensemble
                                           je lui dis chaque jour merci d’être là
                                           et même séparés                son ombre sur un mur
                                           s’étonne de sentir mon ombre qui l’effleure

                                                                                                            (A la lisière du temps)


Par contraste, voici la conclusion mignonne et cependant plus tardive (1990-1991) de Souvenir de l’île de Ré :
                                                             Quand ma préférence sera de retour
                                                              nous éplucherons tous deux les pommes de terre
                                                              puis nous irons nager avant le déjeûner
                                                              sur la plage où la mer est de si bonne humeur

                                                                                                          (Le Rivage des jours)
 
Quelquefois, cette poésie confine à la simplicité des ritournelles d’antan, bien apte à rappeler que notre auteur fut un inégalable conteur de textes pour enfants :
                                                                A Réaumur-Sébastopol
                                                               J’ai rencontré mon ami Paul
                                                               À Saint-Maur et Ménilmontant
                                                               J’ai dû quitter mon ami Jean

                                                                                                       (Un seul poème)
 
On le voit, la poésie de Roy s’assimile résolument à une déclaration d’amour à la vie, non sans comporter presque perpétuellement une inquiétude sous-jacente qui est, elle aussi, bien palpable en  d’autres pages.


Un trait particulièrement présent ici sera l’expression d’une hésitation subie ou voulue entre les deux pôles d’une alternative vécue ou à vivre : serait-ce un simple procédé de style qu’on ne le découvrirait pas aussi intensément : ainsi, cette phrase qui conclut significativement Le Rivage des jours :


                                                             Quelqu’un m’attend. Je ne sais pas où. Il ne sait pas qui,
                                                              Nous ne savons pas quand.
                                
Cette tendance à l’indécision témoigne, à n’en pas douter, d’une fragilité ressentie face à l’exigence de choix que requiert invariablement toute existence, or les allusions en sont légion chez notre auteur : bien plus, c’est même l’hésitation quant à être soi ou autrui, ou encore quant à exister « pour de vrai » qui taraude par moments l’écrivain (4).


Un texte intitulé Le portrait modèle illustre particulièrement cette tendance au nihilisme, voire à la dépersonnalisation, comme il faut bien la nommer :
                                                                J’entre et je sors de vrais miroirs
                                                                Ils n’auront rien gardé de moi
                                                                La nuit efface au tableau noir
                                                                L’apparence qui se croit moi.

                                                                                                   (Un seul poème)

 

 

Références
 
Cingal Grégory, https://maitron.fr/spip.php?article172057.
Fonds Claude Roy (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet)

©Pierre Guérande        
 

 

       
 
 
 

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14 juin 2023 3 14 /06 /juin /2023 06:39


 

 


Vibratile l’instant
qui instaure l’amour
quand il s’éprend muet
d’une icône de chair

De chair, mais le sait-il ?
Il se suffit de digitales
il se suffit d’épervières
et d’un bout de robe échancré
dans les causses vampirisés
entre les rudes pieds de vigne

Le silence est troué d’abeilles
Jamais ne revivront les gages
déjà donnés par d’autres noeuds
Le pays perd de sa superbe
renonce devant ta splendeur
pour s’en aller plus loin enfin
régner en maître

Les mains s’enflent de plénitude
au jeu des caresses du vent
Ton corps enfin se désaltère
à la fraîcheur des arbousiers
et là soudain tu t’abandonnes
insoupçonnée charnelle
le visage à l’aune de gestes
de ta séminale beauté

©Pierre Guérande        


Extrait de : Baronnies de l'imaginaire-Poèmes- Editions Saint-Honoré-Paris - ISBN:978-2-407-01519-1        
 
 
 

 

 

 

 

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5 mai 2023 5 05 /05 /mai /2023 06:41

Salvador Dali

 

 

Le deux plain-chant de notre amour
quand viendra-t-il chanter matines
aux portes d’un naissant avril
et de ses noces incrédules ?

Il y avait eu ce destin
fêlure du dieu rassembleur
qui nous rendit sur d’autres rives
témoins de bonheurs désalliés

Il y avait bien ce passé
ténu, si gaiement illusoire
dont la douceur obstinément
lissait l’incantation des sources

Il y avait bien ces regrets
légers à force d’habitude
bientôt relégués sans merci
dans les sous-bois des remembrances

Ô Dieu des amours juvéniles
jamais ne perdent leur icône
les jours de secrète espérance
en des cheminements croisés

©Pierre Guérande        
Pierre GUÉRANDE-Baronnies de l'imaginaire-Poèmes- Editions Saint-Honoré-Paris - ISBN:978-2-407-01519-1        
 
 
 

 

 

 

 

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