Avec la candeur de l'orpailleur sur le point de séparer le sable de l'or, Gérard Le Goff fouille, dans sa mémoire et quelques albums de photographies sépia, ses souvenirs de famille et d'enfance, éprouvant la déférence que l'on porte aux tables sacrées. Cheminement au gré d'archives rendues presque secrètes par le passage du temps et la rencontre, à la manière d'une madeleine de Proust, dans le prisme puissant d'un vécu subjectif et enchanteur.
Sans emphase et avec une pudeur toute bretonne, Gérard Le Goff nous confie les clés de mon (son) enfance, comme l'écrit en toute simplicité René Guy Cadou qui est cité au tout début de cet opuscule. Lequel, sans prétention, amadoue rapidement notre rétine.
L'auteur se passionne pour l'épaisseur humaine, l'infime détail, la jungle du rêve, les personnages telle son aînée : Que virent ses yeux gris, de la bonté ? / Sinon celle des bêtes / Qui flairaient l'indulgence des fleurs. Ce, dans un écrin, Au bord d'un village, agrippé autour de sa croix, / Fait de maisons en glèbe et roc, / Qu'un unique carrefour écartelait. Car il faut de suite mentionner que cette prose, au demeurant savoureuse, est entrecoupée de superbes poèmes, ce qui donne à l'ensemble légèreté mais aussi profondeur d'âme :
Mère, que crains-tu ?
La cécité du cœur.
Mère, qu'aimes-tu ?
Que l'on m'aime un peu.
Mère, où vas-tu ?
Juste à côté du silence.
Ainsi s'égrainent des pages précieuses, trop peu de pages, il est vrai. Sachant que ce qui est écrit a, finalement, moins d'importance que la manière dont c'est décrit. À l'instar d'un tableau de van Gogh : ce qui compte, ce n'est pas le semeur mais bien la façon, sur plusieurs toiles successives, avec laquelle il est traité. L'atmosphère de cette enfance modeste, si riche en interactions humaines du chroniqueur mais surtout du poète Le Goff, nous fait penser au Château de ma mère de Marcel Pagnol. Les forgerons des mots Louis Delorme, Jean Desmeuzes ainsi que le prosateur, peintre et sculpteur Henri Vincenot, tous viscéralement attachés à la terre, ne sont pas loin...
Hélas, ces territoires sacrés sont peu à peu saccagés, non seulement par les années mais aussi et surtout par une modernité qui se pourlèche de béton et de profits : ils se sont acharnés sur le moindre recoin de mes territoires de songes (...)
La mémoire s'estompe
Dans une buée
Qui s'efface gris à gris
(...)
Sous mes paupières closes
Glissent les bois flottés des heures
Et l'auteur quelque peu désabusé de dessiner sur la page, pour solde de tout compte, l'esquisse d'un sourire valant promesse.
En vérité, comme le dit le titre de cet opuscule, l'oubli qui infiltre et magnifie la mémoire telle une encre au cœur du buvard, n'est pas nécessairement triste: il lui donne de l'élégance. C'est la manière de voir du philosophe et du poète.
Ce recueil a été magistralement organisé par Sonia Elvireanu, elle-même femme de lettres et critique littéraire. Jean Dornac est non seulement poète, mais également photographe et esthète : il a fondé le site Couleurs Poésies 2 où il accueille nombre d’écrivains contemporains dont il illustre les textes avec goût et de manière originale.
La présente démarche se situe hors les murs, puisqu’elle est élégamment publiée en Roumanie. Elle touche à l’universel. Le premier poème commence en effet par une ode à un pays aimé. Non celui de ses origines, mais celui du cœur, à savoir la Bretagne. De fait, cette recherche d’identité passe les frontières et se cristallise à travers l’écriture.
Sur les ressacs de l’amour (souvent avec un grand “A”), la vie ressemble à un bateau ivre, dans les roulis de l’inaccessible : parfum du désir / rêves insensés. L’être aimé est femme-terre, Gaïa, vol de goélands aux accents baudelairiens.
On l’a compris, Dornac élargit une vision qui, bien que sensuelle, dépasse l’attirance physique. Il parcourt les sentes humaines, s’engage sur les voies de la fraternité qui s’effiloche, de la paix constamment malmenée à nos portes, des Lumières qu’engloutit la violence omniprésente. Ses propos adossés à l’Histoire sont également contemporains face aux troubles sociaux, au virus avec sa couronne mortelle, à l’indifférence ambiante tout autant qu’au racisme endémique qui ronge les uns et les autres, à ces océans de souffrance. Entre les deux rives d’une même humanité, il nous fait penser au poète Louis Delorme dont les vers furent autant de véhémences contre les injustices et d’appels à la beauté qui cicatrise.
Et le poète de s’exclamer avec des allures bibliques (mais également laïques) : Heureux les cœurssimples / Émus par le charme des fleurs (non celles que l’on met, au champ d’horreur, au bout d’un fusil, mais celles qui parsèment le val de Rimbaud…
Au carrefour des tristesses, mais également Au temps des solitudes, le poète doute, hésite, se rebelle, erre, se calfeutre dans les mots, véritables baumes face à la destinée. De manière poignante, il évoque les souvenirs émus de son frère, fibres et racines, tissage d’un propre soi-même.
Visions noires pour un monde où prolifèrent les scories. Mais au-delà des cendres, Jean Dornac perçoit, dans nos corps,des mémoires d’étoiles, pures étincelles. Rédemption où s’organise en intime communion le sens de nos vies.
Jean Dornac, Au carrefour des tristesses, Iasi, Ars Longa 2021
Formidable lettre de Claude Luezior qui dit la misère d'une époque affamant et méprisant les poètes !! Jean Dornac
À vos mots, citoyens ! Que l’on rassemble les volontaires, partons ! Que chacun prenne sa plume et tous ses encriers, sa passion en bandoulière, un quignon de verbes et la sabretache à ras le cœur. Fusillons adjectifs et virgules inutiles. Peu de majuscules et juste un brin d’emphase pour ne pas alourdir le paquetage.
Le temps n’est plus aux poètes maudits sous leur pont. À la rivière, morphines, fée verte et jérémiades ! Loin sur leur Olympe, laissons muses éthérées, Polymnie et autres sylphides. La moustache pouilleuse des faux génies et des bardes a vécu. Que les douairières gémissent en leur chaumière, que les tricoteuses de bonnes intentions fignolent leur chasuble ! Séchez vos larmes et vos roses sublimes, vos ciels bleus et vos extases. Marchons !
Que dix mille poètes prennent la parole chaque semaine, en famille, devant mère-grand, le petit morveux et quelques autres. Que nos cent mille enseignants de la langue nous montrent ce qu’ils ont appris ! Non pas avec une pseudo science linguistique mais avec leurs tripes. Forçons nos médias à reproduire quelques-unes de nos lignes. La poésie ne se vend pas mais elle se donne ? Donnons ! Les jeunes ne lisent plus ? Apprenons-leur les rêves et le partage, le mystère et l’immense liberté de l’écriture. Ils veulent des slams ? Scandons ! Et des textes pour la musique ? Mais chantez, Messieurs, chantez !
Vous qui avez en soupente des piles d’invendus, déchirez-en quelques pages et envoyez-les, une à une, à votre belle-mère, banquier ou percepteur. Affichez-les sur votre porte de garage et, jusqu’à plus soif, dans la cuisine où l’on tourne la béarnaise. Et si chacun épinglait un poème à sa place de travail, sur le couloir d’un métro ou la vitre d’un bus ?
Avec dix grammes d’écriture, mettons le feu au désert que l’on nous propose. La poésie n’est pas langue morte. Elle ne cesse de vivre au pays de Canaan. Mais pour cela, Poète, quitte ta tour d’ivoire : ensemble, il faut marcher !
Texte fort, texte juste, il est important, je crois, que je le publie ici au moment où se tient le procès des complices de ces monstres qui ont commis les attentats de 2015 à Paris. D’abord à Charlie Hebdo puis le 13 novembre dans Paris, ce jour-là, ville martyre. Comment oublier les innocents assassinés ?...J.Dornac
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Un peu plus loin, au-delà des Moyennes-Eaux, mais aussi sur nos terres, la liturgie d’une guerre que d’obscures criminels barbouillent de sainteté.
Au nom d’un obscurantisme que les Lumières avaient, pensait-on, définitivement effacé de très archaïques nuits.
Au nom d’un Dieu, certes exigeant et ambitieux, que je voyais pétri d’amour pour ses créatures. Au nom de prêches pyromanes et d’une démence dépourvue de toute tolérance.
Au nom d’un califat que l’Histoire a depuis des siècles déserté.
Avec une délicate féminité, l'auteure roumaine mais bilingue Sonia Elvireanu féconde ici, par la magie de ses mots, un voyage initiatique :
l'homme est le Ciel, la femme, la Terre
l'homme, l'aile d'azur, la femme, celle d'argile,
chacun peut être l'arc-en-ciel
le commencement de l'épanouissement (...)
dans l'embrassement du Ciel et de la Terre
moi, sur la ligne de l'horizon (pp 44-45)
Créativité de la langue sécrétant ses remous aurifères (l'éphémérité s'enterre jusqu'à la résurrection, p. 106), minime delta aux infimes reflets, tournures subtiles et accents d'une culture-sœur nous charment et nous maintiennent aux aguets. Tout au bout de cette ligne de vie, la solitude du poète, une pomme flétrie qui s'accroche à sa branche, une intériorité potentialisée par l'absence...
Mais pas seulement.
L'itinéraire est riche d'une spiritualité sous-jacente : Dieu est souvent en filigrane. Les mots baptême, prière, bénédiction, psaume de la vie se retrouvent avec constance, y-compris dans les titres des poèmes. Loin d'être un livre religieux, ce recueil est imprégné d'une spiritualité délicate. Elvireanu évoque même la reine de Saba, femme du Levant, / or, encens et myrrhe / sur mon chemin étoilé (p. 36), figure mythique de l'Ancien Testament, tout à la fois laïque et spirituelle, astrolâtre et charnelle, sur la longue route qui la mènera au redoutable roi Salomon, symbole du monothéisme.
Dieu,
donne de la sérénité à ma pensée
pour que sa limpidité ne tombe
nulle part en chemin,
que les pétales couverts de rosée
s'ouvrent doucement effleurés par Toi
dans le ciel de la paume (... p. 142)
Ces lignes ne sont pas sans nous évoquer l'écrivaine chrétienne Marie Noël ou même Thérèse de Lisieux... Frémissements de l'être devant l'icône, ondulation d'un horizon où s'entremêlent joie et doutes.
Même avec un caractère transcendantal, l'itinéraire de Sonia Elvireanu est avant tout celui de l'amour :
fais-moi découvrir que tu vis
quelque part dans un autre temps
que le paradis ne sèche pas en moi,
que je le ressente sur la terre (p. 87)
Mais ces caresses, cette présence-absence (une maladie qui se niche dans le cœur, p. 124), ces pulsions, sont parfois rudes, âpres, cousues de mélancolie (p. 129) :
la solitude traînant ses pieds nus
tel un mendiant dans les rues
et sur les trottoirs déserts
Certes, le tableau ressemble, par son camaïeu de pastels, à un Monet (p.62) : les mains deviennent soyeuses / et se métamorphosent en pétales / des nénuphars fleurissent dans mes cheveux) mais sans facilité ni guimauve. Oui, ce recueil a du souffle, a du ciel : tel un psaume, il se lit avec une joie gourmande, mais également beaucoup de retenue et une infinie pudeur.
Le poète est cet être qui lacère ses idées de mots étranges, conjuguant souvent verticalité, rimes et rythmes qui donnent à sa parole un air de prière ou de chanson.
Son allure est celle de l’orpailleur, courbé sur chaque goutte d’eau, traquant la plus folle paillette, fouillant de ses bras intuitifs les sables aurifères d’un merveilleux qui lui file entre les doigts.
Avec ses allures druidiques et son âme de marieuse, il confesse, furète et prospecte, présente un verbe à une élégante métaphore, élève les colombes d’un rêve.
Sous sa capuche, le voilà qui s’égare et partage, balise et ricoche
Le métier est rude, au petit matin des mots. Car son travail est celui d’un moine-laboureur. Mains dans la glaise du langage, le poète mesure sa solitude.
Se dévoiler à cœur ouvert : opération périlleuse, s'il en est. La poésie est-elle une circulation extracorporelle permettant, par la magie des mots, l'oxygénation de l'âme ?
Ce recueil montre tout d'abord des qualités de cœur, une sincérité à fleur de peau, une sorte de véracité sans fioritures, une pudeur qui voile la souffrance contenue tout au fond du thorax. Il est vrai que la poésie permet cette approche à la fois intimiste et artistique.
L'amour / n'est pas toujours / une robe blanche qui ondule (p.30) (...) Pourquoi ces amours-là / qui n'en sont pas ? (p.32) (...) Avant que se croisent nos regards / Me voici prise à ton sourire / Aussitôt je songe au départ / Maintenant tu me regardes / Moi la guerrière désarmée (p.34) : dans un texte dont le titre est Tango...
C'est bien dans ce corps à corps, dans cette danse de l'amour que s'inscrivent ces vers faits de remous, où alternent pulsions et retenue, désir et souffrance, abandon et manque : J'ai su la morsure du loup / Sous le doux baiser de l'amant (p.20). C'est le Je sens que je vais trop t'aimer (p.34) mais aussi le Je sens que tu vas trop m'aimer (p.35) comme finale du même poème.
Et l'auteur de se réfugier, quelque part, dans les souvenirs de son père décédé avant sa naissance (mes rêves ont façonné / un père à ma mesure / un héros sans reproche) (p.16) mais également dans les réminiscences d'une mère-courage dont l'image sacrée ricoche sur la page blanche : J'ai osé la poésie et elle m'a rendu ma mère / ma source (p.18).
Kathleen Hyden-David trouve également son oxygène dans la nature, dans une solitude fructifère, dans la peinture, dans la réflexion créatrice : Souvenirs, laissez-moi / Je vous aime trop / Pour ne pas vous fuir (p.48). Elle respire, elle assume et va de l'avant.
La plume est saine. S'établit d'emblée une connivence de bon aloi entre l'écrivain et le lecteur. Le préfacier Stephen Blanchard relève que Kathleen Hyden-David, est de facto (au-delà de ses propres sentiments) à l'écoute de l'autre. La photo de la couverture, prise par cette grande amatrice d'art, montre des arbres qui se penchent les uns vers les autres, en une sorte de complicité, de souffle partagé, de haie d'honneur sur chemin de l'existence.
Et circule en douce aisance le sang nouveau. Et battent des pulsations retrouvées.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...