Quand Ève n’a plus envie
de se détacher de la côte d’Adam,
de le dominer, quand elle revient
comme partie absente de son corps
ne faisant qu’un avec lui en tout,
Adam n’est plus divisé,
il trouve la paix chez sa femme,
il la trouve en lui et en dehors de lui,
dans le visage épanoui dans le miroir
de la femme qui n’est donnée qu’à lui,
il la cherche toute sa vie comme un mystère,
aucune autre ne peut le combler,
seule l’âme de l’homme peut la reconnaître
et la contenir dans son corps.
Sur le rivage de la mer, troublée par un rayon
de soleil, par le toucher soyeux d’une vague,
sur le sable mouillé par la tempête, parmi des coquillages
étonnants comme la crête d’un arc-en-ciel,
sur la ligne verdâtre d’algues qui sépare
l’eau et la plage, le silence et moi,
l’immensité de la mer et mon regard,
l’attente d’entre les rivages, l’œil du ciel,
un doux crépuscule sur nous, on n’est pas
encore sortis des brouillards de nos tourments,
de la carapace trouble du monde,
la lumière quand même nous éclaire au carrefour.
Il n’y a pas de lieu, pas de temps sans amour,
la vie coule dans tout désert,
il ne fleurit qu’une seule fois dans la vie
comme Echméa, Agava ou le lys bleu des montagnes
Nilgiri, les enveloppant d’une brume bleuâtre,
on peut ne jamais le trouver, on attend une vie
son miracle, le goût de la floraison, certaines fleurs
ne s’ouvrent qu’une fois tous les cents ans,
quand l’âme qui voyage rencontre sa paire,
les couleurs d’un monde diaphane s’ouvrent
pour t’élever tel le lys blanc des sommets de l’Himalaya,
on peut fleurir une nuit où l’on attend le lever du soleil,
le calice, le parfum, le miracle, dans une île,
au bout du monde, dans la solitude,
on attend toute la vie la fleur miracle,
le fleurissement de chaque désert.
Sa maison, réelle ou rêvée,
avec le soleil glissant à travers tous les murs,
habillée dans les nuances de l’arc-en-ciel
de l’aube blanche aux flammes du crépuscule,
émaillée de bleuets et de pavots,
au parfum d’azur, sur son vert de mer,
des vagues de mouettes emportent
sous les ailes des vers de tous les coins du monde,
des chaînes de poèmes s’élèvent au ciel
dans la danse rituelle du soleil,
un bleu collier d’étranges perles,
comme on peut en voir seulement en peinture ou en poésie,
une maison bleue, une île dans la mer,
un arrêt pour tous les voyageurs téméraires,
prêts à affronter la tempête pour une rencontre rare
avec l’étrange esseulé de la terre,
orange dans le crépuscule qui se pose silencieux
et serein sur la plaine et sur les crêtes des montagnes,
sur la plage, le vent nuageux ne la traverse pas,
seulement les brises de la mer et l’azur,
une maison dans la plaine, le ciel dedans,
sous la voûte de la vigne, un pain
et un verre de vin pour les pèlerins.
5 sens éditions, Rue de la Cité 1 - 1204 Genève , Suisse, 2023.
L’exil et l’identité sont des motifs récurrents dans l’œuvre de Denis Emorine, en poésie, prose, théâtre.Ils reviennent dans ses deux romans,La mort en berne et Identités brisées, focalisés sur une errance sentimentale embrouillée qui entraîne le personnage principal, l’écrivain Dominique Valarcher, à se culpabiliser.
La trame narrative du premier roman se prolonge dans le deuxième : mari dévoué depuis longtemps à sa femme Laetitia qu’il aime, il tombe amoureux - sans le révéler à la jeune fille -d’une étudiante hongroise, Nóra, qui fait un master sur son œuvre. Pour avoir le temps d’y réfléchir, il se réfugie dans la résidence secondaire de ses amis italiens, dans le sud de la France.
La structure romanesque tripartite, L’Exil, Fatalités, Fractures, annonce une fracturation existentielle. En effet, Dominique ressent la contradiction entre son côté latin et l’atavisme slave, russe, très éloigné,par les aïeuls de sa mère.Il semble partagé entre l’Ouest et l’Est, entre l’amour de sa femme et l’attraction exercée sur lui par tout ce qui vient de l’Est, la grande culture russe et la femme slave aussi. À cela s’ajoute un secret de famille qui le bouleverse depuis son enfance : le premier mari de sa mère, un juif polonais, mort très jeune pendant la guerre dans un camp d’extermination. C’est pourquoi l’une de ses obsessions est la mort. On comprend ainsi son déchirement entre l’amour de sa femme à l’Ouest et le souffle de la mort qui le hante, de l’Est.
L’ amour pour la jeune hongroise Nóra le trouble à tel point qu’il prend la fuite, disparaît de chez lui sans aucune explication pour sa femme Laetitia, qui connaît son côté slave déconcertant. Elle l’aime follement,sa disparition la met en proie à une souffrance affreuse. Elle ne connaît pas les raisons de sa fuite, se culpabilise et comprend qu’elle ne pourrait pas vivre sans lui. Pianiste, ayant renoncé à une carrière d’artiste, elle ne joue que pour son mari, dans l’ intimité, disposée à satisfaire ses fantasmes par amour.
La jeune étudiante Nóra l’aime aussi et s’inquiète de ne pas avoir de ses nouvelles, car elle veut venir en France, le rencontrer, présenter une communication sur son œuvre lors d’une conférence internationale.
Exilé par sa volonté, Dominique coupe toute communication avec les deux femmes, rendu à la solitude, en proie à la souffrance et à ses cauchemars. Il comprend qu’il n’est pas un séducteur, qu’il aime sa femme et qu’il ne pourrait longtemps se passer d’elle et la faire souffrir. Déchiré entre plusieurs identités et entre deux amours, le personnage ne sait pas comment s’en tirer.Si la question amoureuse sera résolue à la fin, celle de l’identité brisée restera toute la vie comme une blessure que ni thérapie, ni amour ne guérissent. Il y a toujours un conflit entre l’identité première, héritée de sa famille, et l’identité acquise par l’écrivain dans sa vie, entre identité et altérité.
Le romancier organise son récit selon la technique du contrepoint, avec un narrateur hétérodiégétique qui suit les troubles des trois personnages alternant les plans. Il dévoile ainsi la psychologie féminine et masculine, celle de l’écrivain piégé entre deux femmes et sa création en cours de traduction en italien. Son isolement est brisé par l’intervention de son éditeur. Il renonce alors au mutisme, reprend le contact téléphonique avec sa femme, lui déclarant son amour, la rassurant de son retour, mais sans renoncer à rencontrer Nóra à Nice, lors de sa conférence, à passer quelques jours avec elle.
Au premier plan du récit est Dominique, ses cauchemars terribles dûs à la hantise de la mort, de la guerre avec ses horreurs et la souffrance de sa mère, auxquels se mêle le complexe oedipien, l’amour obsessif pour sa mère. Aucune thérapie ne parvient à l’en délivrer, seul l’amour pour sa femme à le faire oublier parfois.
Le roman s’achève par un poème d’amour adressé par Dominique à sa femme, ce qui suggère la manière dont l’écrivain résout son conflit intérieur.
Identités brisées est un roman agréable à la lecture, témoignant des obsessions de son auteur que l’on découvre par des motifs récurrents dans toute son œuvre.
Si je pouvais prendre dans les mains
un morceau d’argile, le casser, le pétrir,
te donner un visage comme je te sens,
saurais-je réunir miette par miette que tu sois
aussi entier et fort que la terre d’où tu viens,
tumultueux et doux comme la mer,
orageux tel le vent sur les sommets des montagnes,
tendre et pur comme les neiges immaculées,
limpide et froid pareil à l’eau des fjords scandinaves,
infini comme la Mer Egée,
lumineux et rapide tel l’éclair,
brillant comme le lever du soleil sur les vagues,
parfumé tel un champ fleuri,
fructueux comme un verger de pommiers,
si je pouvais faire un corps de mes paumes,
saurais-je le modeler pour charmer le monde
tout autour telle la lyre d’Orphée,
enchanter l’oeil comme autrefois les dieux grecs,
mais je ne suis pas le potier merveilleux
qui fait chanter et danser l’argile dans ses mains,
je ne suis qu’un morceau d’argile,
brisé et refait par ton chant,
je peux te reconnaître, mais je ne peux
te donner ni corps, ni visage,
tu es la mer qui à tout instant fait frémir ses eaux,
troubles ou limpides comme le ciel,
métallique, sombre, de l’argent fondu,
orange, transparente, bleuâtre, turquoise,
jusqu'à ce qu’elle s’éclaircisse dans le cristal bleu et se taise.
Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits
* * *
Infinito come il mare
Se io potessi prendere tra le mani
un pezzo di argilla, romperlo, impastarlo,
plasmarti una faccia come ti percepisco,
saprei ricostruirti, briciola per briciola, per renderti
integro e forte come la terra da cui provieni,
turbolento e dolce come il mare,
tempestoso come il vento sulle cime delle montagne,
tenero e puro come le nevi immacolate,
limpido e freddo come l'acqua dei fiordi scandinavi,
infinito come il Mar Egeo,
luminoso e veloce come un fulmine,
brillante come l'alba sulle onde,
profumato come un campo in fiore,
fecondo come un frutteto di meli,
se potessi fare un corpo con i miei palmi,
potrei modellarlo per affascinare il mondo
tutto intorno come la lira di Orfeo,
incantare l'occhio come un tempo le divinità greche,
ma non sono il meraviglioso vasaio
che fa cantare e danzare l'argilla tra le mani,
sono solo un pezzo d’argilla,
rotto e rifatto dal tuo canto,
posso riconoscerti, ma non posso
donarti né un corpo né un volto,
sei il mare che da un momento all'altro fa fremere le acque,
torbide o limpide come il cielo,
metallico, scuro, di argento fuso,
arancione, trasparente, bluastro, turchese,
finché non si schiarisce nel cristallino blu e tace.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...