... Un petit papillon vagabond, trublion,
s’élance et volette,
se lance à la volette
en faisant des bonds et rebonds
d’un bouton floribond
à une fleur rose-bonbon...
Traduit du roumain et préfacé par Dana Shishmanian, 4e trim. 2021
Éd. L'Harmattan, Paris, 96 p., ISBN : 978-2-343-24323-8
Nul doute qu'Ara Alexandre Shishmanian a une plume de poète, bien que celle-ci puisse paraître, au prime abord, acérée, voire vertigineuse. En effet, comme le note justement sa préfacière, il faut entrer dans cette écriture comme dans un monde inconnu, où tout est à découvrir : ne pas reculer devant l'insolite des connexions, ou s'obstiner à chercher le sens dans le seul plan du discours, mais se laisser plutôt porter par le souffle, tantôt syncopé tantôt continu, des mots et des images, tels qu'ils viennent dans leur bousculade en rupture des conventions sémantico-syntaxiques (...)
L'on serait même tenté d'aller plus loin : le propos de l'auteur, que l'on pourrait qualifier de carrément débridé ou, du moins, d'idées verbales en fuite, semble justifier son équilibre virtuel dans le rêve, le cauchemar, voire le mythe sous-jacent.
le poète traîne ses haillons parmi des nids de limites*
ses yeux crient à travers le sang de ses paumes-
des explosions flétries de crépuscules *
personne se croise songeur-
méconnu de lui-même*
Ses mots, telles des éclaboussures issues de leurs cavernes, prennent forme en de surprenants jaillissements. Puissance d'images cristallines et contresens naturels s'intriquent dans des mêlées où s'étranglent, pêle-mêle, des vocables rares et des expressions aux limes de la syncope.
Y renaissent et s'y bousculent incantations aux aguets, néant pavé de solitude, clameurs et sirènes.
À noter de curieuses astérisques en fin de lignes, comme s'il s'agissait là d'une ponctuation nouvelle ou d'un code suintant du fond des âges.
Avec un lyrisme hors du commun et que d'aucuns qualifient de post-romantique, Shishmanian évoque, tel un fil rouge, l'amour indicible d'Orphée, l'enfer d'Eurydice, l'inénarrable lien et les failles entre les êtres, au-delà des contingences.
Et l'auteur de conclure : je scrute -tenant personne par la main-
des amnésies qui dépassent l'anamnèse-
je la vide des pas et de la substance de l'ouïe
où elle s'était incrustée- jusqu'à ce que j'oublie
toutes les différences qui me crucifiaient *
La poésie, est-elle, quelque part, un espace privilégié pour une fusion inachevée du réel et de l'irréel : lunaisons singulières, prières et vibrations laïques, entrelacs chamaniques de mots et d'absolu en quête de transcendance ?
au milieu de la fenêtre, l’oiseau et moi,
immobile, il n’est pas conscient de sa beauté,
il est assis sur l’immobilité et se balance dans un air bleu,
je le regarde comme si je regardais la naissance
j'en suis éblouie ;
je t’écris du cœur de son immobilité,
j’ai peur que l’ombre du mot écrit le trouble,
rien ne peut troubler le silence
peut-être l’ombre du mot écrit sur la page blanche…
j’ai appris l’écriture qui ne fait pas des blessures aux doigts,
c’est comme dans une étreinte parfaite
nos doigts sont porteurs de sentiments,
des émissaires du silence,
ils portent en eux-mêmes le fluide de la vie jusqu'au loin, au bout du corps.
je regarde l’oiseau et je me demande :
comment sait-il le bon moment de bouger,
où regarder ?
j’ai envoyé le silence aux quatre coins du monde pour te chercher
et l’oiseau est toujours resté immobile,
mes questions n’ont rien bougé dans son ventre d’oiseau qui reste assis sur les interrogations du monde,
c’est seulement dans mon ventre que le silence prenait corps de plus en plus grandissant
jusqu’ à ce que je l’aie senti bouger et j' ai de nouveau touché au ventre,
cette fois-ci je savais que j’allais devenir porteuse de questions,
toujours absconses, toujours muettes…
entre moi et l’oiseau juste un fluide bleu,
tous les deux, nous sommes assis dans cette immobilité parfaite
où les sentiments coulent ou se dissipent,
c’est toujours pareil,
il suffit qu’on se regarde l’un l’autre,
au moment connu par nous seuls,
nous nous lèverons et partirons,
derrière nous, un nid désert.
Nous n’irons jamais ensemble
Dans la maison tutélaire
Car je suis l’étrangère,
Le fruit de tes amours traversières.
Pourtant je fais partie de toi
Autant que cette terre
Qui bat dans ton sang
Au rythme des saisons.
Je voudrai respirer
L’air que tu respires,
Vibrer de la même lumière
Emplir mon âme
Des paysages que tu aimes
Parcourus d’invisibles présences.
Et le soir devant l’âtre
Où murmure la flamme
Je m’endormirai
Dans le berceau de tes bras.
11 mars
Je préfère arpenter le promenoir des brumes
Sur la scène de l’aube au translucide éclat.
J’y dépose en marchant mon fardeau d’amertumes,
Toute difficulté remise alors à plat.
12 mars
Si la difficulté demeure horizontale,
Elle est changée en route où fleurit mon trajet.
Elle n’a plus sur moi son emprise fatale
Mais devient à la fois la voie et le projet.
13 mars
Chaque voie est en somme ordinaire ou royale
Suivant notre façon de la considérer.
Selon le premier pas, l’influence initiale
Rétrécit la vision ou permet d’espérer.
14 mars
La vision se fait large à ma gauche, à ma droite.
Au-dehors, au-dedans mon espace vital
S’intensifie et croît, quitte la vue étroite.
Le monde en même temps perd son attrait brutal.
Le matin verse aux vertes cimes. La forêt prend visage. Coiffe d’Iroise, chevelure d’algues, glauque est sa robe. La brume murmure blanche de nuit. Le feuillage brille de mille écumes.
Sur l’ailleurs, trouble réel, le poème porte visage.
Une lune en bouton perle sur la nuit. Telle l’aube, elle éclos pâle de senteur. Le silence est plein du déchirement des bourgeons qui éclatent mûris d’astres. Le vin doux de la vie court sous l’écorce et l’arbre étourdi de sève rêve à ses fruits
Nuit d’odeurs, la floraison soupire.
Le verger appelle. La forêt espère.
Aux branches de l’ombre le poème mûrit.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...