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27 octobre 2023 5 27 /10 /octobre /2023 06:34

à Robert Simonnet, ingénieur et psychologue breton,

                                                                                 dans le souvenir de Denise Simonnet-Guyot

                                                                            psychologue et  grande résistante 1940 - 1945

 

 

Charles Lindbergh et la naissance d’une collaboration

                                   

C’est en 1930 que Carrel est approché par Charles Lindbergh, le célébrissime aviateur de la première traversée de l’Atlantique, les 20 et 21 mai 1927. C’est que le héros du ciel est marié depuis l’année précédente avec Anne-Spencer Morrow, la fille de l’ambassadeur US au Mexique, dont la sœur souffre d’une pathologie cardiaque sans issue et pour laquelle Lindbergh espère avoir trouvé le sauveur potentiel. La démarche est donc généreuse envers celle, brillante aînée, qu’avait apparemment supplanté sa cadette Anne, poétesse à ses heures et bientôt pilote affranchie à son tour. Cette belle-sœur de l’aviateur décèdera finalement en 1943.

Quand Lindbergh constata combien rudimentaire était le modèle de pompe à perfusion de Carrel, qu’on assimila un peu vite à un cœur artificiel, il s’offrit à en perfectionner le prototype. La collaboration proprement dite deviendra effective en 1931 : une association improbable, comme l’ont qualifiée bien des commentateurs, en oubliant trop souvent d’y ajouter féconde et profondément humaine.

Car on connaît la terrible épreuve morale traversée par les Lindbergh en mars 1932 lorsque leur premier fils, âgé d’à peine quelques mois, se fera kidnapper par un sinistre personnage s’en prenant à la fortune (dans toutes les acceptions de ce mot) du héros de l’aviation ! L’enfant sera retrouvé mort deux mois plus tard. Cet épisode laisse le couple désemparé et écoeuré au point de les pousser à quitter l’Amérique pour Londres. C’est de cette façon que les Lindbergh seront accueillis, dès la fin de l’année, à Saint-Gildas, en recherche d’estime et d’objectifs réparateurs. Ils y seront reçus encore bien des fois, en 1936 et 1937, alors qu’une collaboration scientifique étroite se sera instaurée, aboutissant à la fameuse « pompe à perfusion » de Nième génération, qui était une étape dans la perspective de possibles transplantations d’organes ; aboutissant en outre à la publication plus tardive du livre, écrit en commun, La culture des organes (1938). Difficile, par conséquent, de complètement séparer l’évocation des protagonistes en présence, tant leurs liens en Bretagne et aux USA se confondent désormais. C’est en 1938 également que Lindbergh acquiert à son tour la petite île d’Illiec, toute voisine de Saint-Gildas, à dix minutes de bateau (**).                                                  

A la veille de l’entrée en Guerre des Etats-Unis, Lindbergh défend âprement le maintien hors conflit de son pays en tant que leader du comité « America first », un slogan bien antérieur à Donald Trump comme on le voit.

Il s’impose, à ce stade, de citer quelques rétroactes pour éclairer certaines prises de position.

Invité par son gouvernement à se rendre en Allemagne pour rendre compte de la puissance de la Luftwaffe, Lindbergh avait rencontré Willy Messerschmitt et son âme de pilote s’en trouva fascinée au point de prendre le pas sur son sens critique et sa moralité politiques. Ayant été décoré par Göring en personne en 1936, il refusera, cinq ans plus tard, de renvoyer, comme l’ordonnait Roosevelt, cette « médaille de la honte », en fait celle de l’Ordre de l’Aigle allemand. Pour comble, Lindbergh préféra renoncer à son grade de colonel de l’US Army.

Toutefois, à la suite de l’attaque de Pearl Harbor, Il modifiera totalement son point de vue en accomplissant en six mois, mais à titre civil, une cinquantaine de missions.  Les pilotes de l’USAF (United States Air Force) et des US Marines saluent dès lors son engagement au combat et son patriotisme ; il se voit réhabilité dans l’armée comme général de brigade. Sa visite, en juin 1945, du camp de concentration de Dora qui recèle en souterrain les ateliers de fabrication des V2, aura achevé de remodeler ses convictions à propos d’Hitler qu’il avait qualifié de « grand homme ». A présent, il dira tout haut son dégoût de voir une humanité atteindre un tel degré d’abaissement.

Après la guerre, il sera consultant auprès des constructeurs aéronautiques mais prendra à nouveau ses distances par rapport aux vols supersoniques, jugés trop destructeurs. Il en viendra même à douter de l’utilité de l’aviation face au devoir de conservation de la nature et des populations primitives pour laquelle il milite toujours davantage. Il connaîtra, en 1968, le lancement d’Apollo 8 depuis le cap Kennedy, toujours aussi passionné de techniques de pointe bien comprises.

Lindbergh achèvera sa destinée tumultueuse, et qui le fut aussi au plan affectif, en choisissant à nouveau une île, celle de Maui (Hawaï), pour sa résidence qui sera aussi sa dernière, en 1974.

 

Des conceptions socio-politiques partagées

 

Autant l’idéologie de l’Arcouest pouvait être gauchisante, athée, antiraciste, dreyfusarde, autant l’entente entre les deux collaborateurs présents régulièrement au large (si large il y a !) de Penvénan les aura dirigés vers des conceptions de droite et même d’extrême droite, teintée parfois de convictions héritées d’une foi austère insufflée dans l’enfance, et très comparable pour nos deux bretons d’adoption.

L’orientation politique commune mènera sans doute à un renforcement de l’amitié mais donc aussi à quelques outrances dont les traces ont, malheureusement, entaché les deux carrières en dépit du redressement héroïque mais tardif des attitudes de chacun face aux thèses nationales-socialistes. Ce sujet demande une analyse approfondie mais nous n’en citons que d’infimes éléments en vue de profiler les sources de la mésestime radicale qui s’est attachée peu à peu aux noms des deux personnalités.

Ces deux figures majeures du XXe siècle, déjà si exceptionnellement réunies malgré des compétences à première vue très éloignées, se retrouvèrent ainsi de par leurs conceptions philosophiques hasardeuses mais heureusement reniées au gré de leurs errements et des souffrances de fin de vie. Il serait bienvenu, à cet égard, d’adopter à notre tour le regard bienveillant qui est celui du Père, pour lequel on ne tombe jamais si bas qu’on ne puisse se relever de ses écarts, et ceux-ci furent à l’image de leur gloire, intense et semeuse d’indignation. Or, Carrel fut pour Lindbergh ce père, cette fois sans majuscule, dont la disparition le laissa dévasté et dont il se jura de rétablir les mérites aussi longtemps qu’il lui survivrait ; sans doute ce combat avait-il valeur de rédemption pour lui-même, mais on ne saurait pour autant déprécier cette croisade pour l’absent qui motiva ce héros si différent de son Mentor. L’avenir emboîtera-t-il généreusement le pas à cette double réhabilitation, en se souvenant de ne pas piétiner le bon grain qui demeure sous l’ivraie ?

                                                    

Un passé définitivement révolu ?

 

Pour fugitifs qu’aient été les séjours passés par tous ces Prix Nobel et autres savants en Bretagne, ils furent en soi révélateurs des pages essentielles de l’histoire du début du XXe siècle. Certes, ce fait-divers n’impressionne plus beaucoup les foules, à bien des années de distance, et ne rivalisera pas avec l’aura des héros, réels ou fictifs, que campe notre actualité à grand renfort de scoops assourdissants. C’est que la côte bretonne offrait précisément cette retraite hautement bénéfique, voire mystique, à la méditation et à la contemplation que nous appelons désormais tous de nos vœux pour la planète et ses survivants: et à cet égard comme à tant d’autres, ces résidents d’un genre unique furent en avance, ô combien, sur notre temps.

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 (*) A propos de religion, d’ailleurs, on ne saurait passer sous silence l’épisode du voyage à Lourdes (1902) où le Dr Carrel accompagne un contingent de pélerins en tant que médecin, nullement en tant que croyant : il a renoncé à la foi depuis des années. Il est frappé par le cas d’une malade condamnée, scientifiquement parlant, par une péritonite tuberculeuse, et en phase terminale. Devant sa guérison qui interviendra cependant, le jeune médecin reconnaît devoir s’incliner comme il s’y était engagé face à l’hypothèse de ce qu’il fallait bien appeler un miracle : ce sera le retour à la foi.

(**) un « caillou » qui avait appartenu au musicien Ambroise Thomas, l’auteur de Mignon, l’opéra qui fut composé en ces lieux, que les nouveaux occupants écoutaient, dit-on, avec ravissement.

(***) L’article très fouillé d’Etienne Lepicard (Histoire des Sciences médicales, XLVI, n° 1, 1912) attribue une bonne part du succès de l’ouvrage au contexte historique déterminant au fond la lecture et la réceptivité d’un écrit : il souhaite que soient reconstitués les horizons d’attente qui ont vu naître une œuvre aux fins d’en évaluer la conformité ou l’écart par rapport aux normes instituées. Citant pour référence la théorie de la réception appelée « response theory » de H. R. Jauss, il préconise la comparaison de diverses lectures. De fait, la perception que nous avons actuellement peut différer très sensiblement de celle prévalant dans certains milieux de l’époque. Cette analyse permet de proposer de voir dans l’Homme, cet inconnu, « une réponse élitiste, savante, à la crise économique » des années 1930. Or, pareil essai d’objectivation des jugements émane méritoirement d’un membre (médecin, historien) du comité de bioéthique de l’Université hébraïque de Jérusalem, quand on sait les tendances antisémites dont a fait preuve le Dr Carrel.

Un article bien antérieur, écrit peu après le décès de Carrel, par le Dr Spaey dans la Revue Nouvelle, indique sagement « nous ne jugerons pas les raisons qui ont poussé un homme de Science à sortir du cadre qu’il s’était tracé, pour jouer, à une époque troublée, un rôle dans la vie publique ; néanmoins, il est plus qu’étonnant de lire qu’ « il attend d’une eugénique, hélas très matérielle, la rénovation morale et sociale de nos sociétés » et de passer sous silence le souhait d’élimination pure et simple des criminels, voire des individus susceptibles de nuisance du fait de déséquilibre mental.

 

Références

Drouard A., Alexis Carrel (1873-1944). De la mémoire à l’histoire. L’Harmattan, Paris, 1995.

Hertog S., Anne Morrow Lindbergh - her life First Anchor Books Ed., nov 2000

Jauss H.R., Pour une Esthétique de la réception, Gallimard, Paris 1990.https://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/12/22/21752-longue-marche-lassistance-cardiaque

Launet Ed., Sorbonne Plage, Ed. Stock, Paris 2016

Lepicard E., Une réponse bio-médicale à la crise des années 1930 : La construction de L’homme, cet  Inconnu d’Alexis Carrel. Thèse de Ph. D. Université hébraïque de Jérusalem, 2002 (en hébreu).

Lepicard E., La première réception de L’homme, cet inconnu, d’Alexis Carrel, Histoire des Sciences médicales, XLVI, n° 1, 1912.

Mallinin T.I., Remembering Alexis Carrel and Charles Lindbergh, Texas Heart Inst. J., 23 (1), 1996

Marck B., Lindbergh l’ange noir, L’Archipel, 2006

Soupault R., Alexis Carrel, 1873-1944, Les sept Couleurs, Paris, 1972

 


©Pierre Guérande


       
 
             

 

 

 

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