Nos répulsions et nos délices
croisent la même mise à feu
dans les jardins du paroxysme
Nos errements nos certitudes
ont cette morsure identique
au talon de leurs équipées
Les victoires et les défaites
se disputent les mêmes jeux
les mêmes torrents galvaniques
leurs cris de foule et leurs outrances
leur même tanière abyssale
Fourches caudines Sous le joug
de votre impériale jactance
nous vivons à jamais l’hiver
les sombres promesses du soir
et l’été de nos résiliences
matutinales
Pierre Jakéz Helias est né à Pouldreuzic (Finistère) en 1914 d’un père qui est à la guerre : élevé en breton, l’enfant deviendra un élève du Lycée de Quimper et finira par enseigner méritoirement le français en divers coins de l’Hexagone. En 1945, il est rédac’chef de « Vent d’Ouest » du Mouvement de libération nationale, anime des émissions en breton sur radio Quimerc’h et devient président d’Ar Falz qui incarne la culture bretonne des enseignants laïques. Il collabore aussi aux Fêtes de Cornouaille.
Tous ces titres de gloire rencontreront cependant, par la parution de son livre, une farouche mobilisation de la part de militants bretons dont le plus mordant sera donc Xavier Grall, fraîchement rentré de la capitale et lassé d’y être apostrophé pour sa « gueule de breton ». Sa conscience militante ne s’en trouve-t-elle pas suraiguisée au point de lui faire déverser sa bile, quelquefois sans nuance, sur le « folklorisme fossilisant » de l’auteur désormais « à succès » : Helias. L’épisode a immanquablement marqué les esprits ! C’est que la réponse cinglante de Grall donnera lieu, nous le disions, à un livre-réponse sous le titre « Le Cheval couché » qui a valeur d’un blâme à l’égard du côté rétrograde et carpetteux de son désormais célèbre confrère : sauf que son plaidoyer revêt tous les attributs du dépit amoureux face à l’irrésistible ascension de ce Jackez l’ancien, comme il se plaît à le qualifier irrévérencieusement. Et, pour le lecteur du temps présent et étranger à la géopolitique de cette querelle, le portrait-charge finit par lasser, suscitant comme un malaise face à la disproportion entre le reproche et le corps du délit, si délit il y eut jamais.
Précisons néanmoins que Xavier Grall, à qui nous devons de belles évocations de destins exceptionnels (James Dean, François Mauriac, Arthur Rimbaud et, sans doute Le plus beau : Lamennais), avouera tardivement regretter tout bonnement ce livre.
Il ne nous revient nullement, comme observateur extérieur, de juger du bien-fondé quasi politique de ces réactions dont nous ne partageons – et moins encore ne partagions – pas le contexte. Simplement, il peut sembler légitime de reprendre quelques critiques adressées à l’auteur-cible comme de relever, ensuite, les illogismes dont le temps paraît avoir constellé la diatribe. Les mots sont forts de la part de Grall quant à ses reproches dont certains sont quelque peu décoiffants, comme celui d’en vouloir à Helias d’avoir enseigné le français et de participer à l’extinction de la langue bretonne !
Cette appartenance même à la collection « Terre humaine » de Malaurie devait bientôt faire bondir maints contradicteurs, dont le plus virulent, Xavier Grall, étalera ses reproches au long d’un « droit de réponse » qu’il s’arrogera sous le titre « le Cheval couché » : « la civilisation bretonne est-elle réellement morte au point qu’on dût lui ériger ce monumental tombeau ? » (Le cheval couché, p. 45).
Mais revenons au premier ouvrage et à son auteur Pierre Jakez Helias. Le succès de son « Cheval d’orgueil » se concrétisera par des millions d’exemplaires vendus et près de vingt traductions de par le monde. Tardivement, la presse escortera ce qui s’impose dès lors comme une évidence éclatante au départ d’un récit autobiographique et ethnologique : c’est que la langue en est imagée et savoureuse et sent bon la communion avec la terre et, Bretagne oblige, la mer. Et c’est vrai que ses histoires ont un charme fou !
Un certain art de vivre surgit en outre de ces pages dont l’auteur dira, bien plus tard : « je trouve que la société dans laquelle j’ai vécu avait atteint un degré de civilisation considérable ». En même temps, le trop heureux élu de ces choix populaires écrira : « Je ne suis fier de rien. Mon plaisir c’est d’écrire, de mettre au point quelque chose que je sens en moi. Je le fais de mon mieux. Je me fais plaisir avant tout. Je suis un égoïste ». Il conclura encore, plusieurs années plus tard, la suite de son autobiographie sous le titre « le Quêteur de mémoire » (1990), par cette affirmation : « Je me sens parfaitement bilingue et biculturé, doublement acclimaté ». Il rejoint en somme son grand devancier qu’est Anatole Le Braz (1859-1926) qui lutta pour des cours publics de breton et présida l’Union régionaliste bretonne, et qui temporisait ses élans en concédant : « Le Breton que je suis doit trop à la France ». Il anticipe en somme un courant d’idées plus récent, comme celui d’Amin Maalouf, qu’il eût sans doute adoré quand il affirme : « je n’ai pas plusieurs identités, je n’en ai qu’une, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un « dosage particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre ».
Est-il bien utile d’exhumer tel ou tel cas de rivalité entre artistes dès lors qu’il en existe depuis la plus haute antiquité ? Cibler, comme ici, deux épisodes précis relevant, en outre, d’une même époque et d’un contexte culturel identique pourrait à la rigueur paraître indélicat dans la mesure où ces deux dimensions – la seconde principalement – pourraient se voir et surtout se croire spécifiquement visées. Notons dès à présent que les escarmouches évoquées plus loin ne donnèrent pas lieu à d’interminables échanges d’aménités mais se sont soldées par des essais tangibles d’apaisement : les acteurs de ces deux conflits se sont révélés beaux joueurs, en définitive ! Notons surtout que les principaux intéressés ont fini par faire de leur confrontation l’objet d’épanchements littéraires et qu’il ne saurait être question d’aucune violation de faits confidentiels, de ce fait.
La vraie question ne devient-elle pas de savoir si, pour les auteurs concernés, leurs querelles ont pu se révéler bénéfiques – ou l’inverse - pour leur œuvre ou leur évolution ; de savoir ensuite si, au niveau des lecteurs cette fois, ces jalousies conservent le moindre intérêt à long terme : pour l’édification « morale », pour l’intérêt historique ou artistique, par exemple.
° ° °
En 1975 paraît chez Plon le livre « Le Cheval d’orgueil » d’un auteur jusque là assez peu inconnu : Pierre Jakez Helias. Cet ouvrage de quelque 550 pages, sous-titré Mémoires d’un Breton du pays bigouden, est tout entier consacré à l’évocation d’un monde rural presque révolu ; il va connaître en quelques mois un succès rare et inattendu, même aux yeux de l’auteur et de son instigateur, Jean Malaurie, ce visionnaire qui éditera les plus prestigieux ethnologues : Claude Levi-Strauss, René Dumont, Margaret Mead, Victor Segalen … (*)
C’était plaisir
ambassadrice du grand siècle
pensive effeuilleuse du temps
te voir jouer du luth
en ta robe de porcelaine
sous les vivats des chandeliers
et le velours des sarabandes
C’était plaisir
John Dowland (*) rougissait je te jure
quand s’accordait la révérence
aux tranquilles modulations
des contrechants de Ludivine
C’était plaisir
plus encore en ces temps funestes
soudain muets quand la torsade
des guirlandes et des guipures
frémissait sous tes doigts volages
et les incises de la strette
Ce fut plaisir
mais quand le reverrait-on ?
Il fallut bien rendre les armes
au soir de bleus ressourcements
Adieu romance et virelais
adieu gavottes et rondeaux
Demain ce sera l’indigence
faute d’un luth
assurément
pour Ludivine
Les hortensias ont une excuse
d’être bleus s’ils sont de Bretagne
s’ils sont moutonnants et prospères
et s’ils imitent sobrement
le bleuté des maisons côtières
Pareillement s’ils sont bretons
les camélias demandent grâce
de fleurir un temps éphémère
et de tacher d’un jeune sang
les promenoirs du Finistère
La mer affine ses efforts
d’être un peu plus bleue chaque jour
de ce bleu de noble lignage
sur des fonds marins Véronèse
que guignent les oiseaux sauvages
La mer s’invente des remords
Ils sont de toutes les flambées
entre raison et déraison
couleur d’acier, couleur de feu
pourvu qu’au soir l’astre se noie
messianique
à l’horizon
J’ai le plaisir d’accueillir ce nouvel auteur belge présenté et soutenu par Gérard Gautier qui me dit qu’il aime tellement la Bretagne qu’il s’est choisi comme pseudo : Pierre Guérande ! Bienvenue à lui et avec joie ! (Jean Dornac)
Figée pour mieux mourir en vestale éternelle
la roche en Cornouaille est trouée de vertiges
sans fin renouvelés par la vague cogneuse
et les vents goudronneux sur la piste du large
Le rivage ne tient que par la grâce ultime
des mouettes filant sous l’averse d’argent
et par le lit d’écume au fond des phalanstères
où nichent les embruns dans l’agonie des vagues
La falaise fractale ébranle les assauts
furibonds et bientôt l’escarmouche ruineuse
Toutes ont pareillement droit de cité pérenne
en leurs enclos minés de palanques bravaches
Les sentiers sont noueux dans la jeune bruyère
Il suffirait d’un pas de trop dans l’herbe vierge
pour retrouver l’errance ailée du visionnaire Icare
vouée au rêve fou d’un pur égarement
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...