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26 juillet 2023 3 26 /07 /juillet /2023 06:52

Claude Roy, Paris, 1986

 

 

 


Claude Roy n’est certes pas le plus connu, notamment hors frontières françaises, des auteurs francophones du XXe siècle : en revanche, il a lui-même connu tout le monde au sein des grands noms de ce siècle et cela bien au-delà des limites de son pays. Sa passion d’écrire s’est traduite par une bibliographie impressionnante mais aussi une diversité peu commune des genres abordés : la poésie, que lui-même aurait placée en tête, mais aussi le roman, l’essai, les carnets de voyage et les carnets intimes, et tout cela réparti sans faille au long de ce siècle si bousculé dont il aura connu la quasi-totalité en naissant en 1915, à l’aube de la grande guerre, et en décédant en 1997, invariablement à Paris.


Ce n’est pas, pour autant, que Paris ait été son séjour permanent, tant il a pu visiter de contrées lointaines et tant la géopolitique a pu lui inspirer d’ouvrages : mais procédons peut-être par tranches de vie, comme il a pu lui-même le faire à travers ses écrits, car sa biographie explique grandement sa physionomie littéraire et n’est vraiment pas ici sans intérêt.


Il semble avoir été très tôt voué à côtoyer de futures gloires, et cela commence, entre Jarnac et Angoulême, par ses études en compagnie de François Mitterand.  Bientôt étudiant en droit à Paris, il milite dans les rangs de L’Action Française et publie dans l’organe de la presse maurassienne, L’Etudiant français, et la revue Combat, animée notamment par Thierry Maulnier. Il se lie d’amitié avec Robert Brasillach qu’il rencontre chez Jules Supervielle. En même temps, il se désolidarise du ton xénophobe de plus en plus affiché par les organes comme Je suis Partout, où lui-même n’aborde que des sujets littéraires.


Mobilisé au 503ème régiment des chars de combat, il participe à de violents échanges de tirs dans la Meuse peu avant l’armistice. Faut prisonnier dans la zone de Verdun combien évocatrice, il s’évade et rompt avec le journal Je suis Partout et passe en zone libre grâce à de faux-papiers obtenus de Jean Paulhan et d’Adrienne Monnier, libraire et grande protectrice des arts.


Même en exil forcé à Marseille, il ne renonce pas à sa vocation artistique en intégrant le groupe Jeune France, créé par Pierre Schaeffer, le futur découvreur de la musique concrète, où il anime des émissions à la radiodiffusion nationale. Patriote jusque dans sa vocation poétique, il multiplie les contacts avec la jeunesse littéraire et notamment avec Aragon qui l’achemine vers le Parti communiste en 1943. Ensuite c’est de Paul Eluard qu’il fait la connaissance, une amitié qui ne les quittera plus.


Il participe alors à la libération de Paris, d’où il tire un livre-reportage qui fit sensation (Les yeux ouverts dans Paris insurgé). Ce passionnant témoignage vaut tous les films d’époque et figurera dans la second tome de sa trilogie autobiographique (Moi Je, Nous et Somme toute) ultérieurement. Suivant, en tant que correspondant de guerre, l’avancée des alliés en Allemagne, il vit une autre libération, celle du camp de Bergen-Belsen qui le foudroie littéralement pendant des mois. S’ensuit l’affreuse période de l’épuration où il aurait rétracté sa signature, sous la pression du parti, visant à gracier son ami Brasillach, dont on sait les dérives collaborationnistes avec le Troisième Reich. Bien d’autres artistes de ses connaissances signent la pétition que rejettera finalement de Gaulle.


La vie intellectuelle reprend ses droits avec de nouvelles et d’anciennes figures du Parti comme Eluard, Picasso, Aragon mais aussi Marguerite Duras, Edgard Morin parmi d’autres figures françaises moins familières à des yeux étrangers. S’engage dans ce contexte hyperactif une vraie vie consacrée aux voyages et aux lettres qui n’est pas sans rappeler l’existence de Max-Pol Fouchet, son strict contemporain. Ses livres les plus remarqués (Clefs pour l’Amérique, Clefs pour la Chine) autorisent ses prises de position viriles, aux côtés de Jean-Paul Sartre, son idole, mais aussi de Roger Vailland, Jacques Prévert ou Vercors, contre l’insurrection hongroise en 1956. Passons sur ses relations tumultueuses avec le Parti communiste dont il se détourne, comme tant d’élites de son temps, et revenons davantage sur son constat désabusé du stalinisme ou sa tardive opposition à la guerre d’Algérie, quand il co-signe le Manifeste des 121. Son horreur du totalitarisme, de la torture, de toute répression devient le leit-motiv de ses interventions dans la presse. C’est dans les colonnes du Nouvel Observateur qu’il commentera désormais des ouvrages comme La révolution introuvable de Raymond Aron ou du Premier Cercle de Soljénitsyne. Il n’est pas à Paris lors des événements de mai 1968, où sa place semblait toute faite, peut-être, mais sa croisade continue à propos d’autres chapitres internationaux.


En 1958 encore, il se remarie avec Loleh Bellon, comédienne et dramaturge, elle-même divorcée de Jorge Semprun (2): cette union sera le « bonheur d’aimer », contrairement au titre de l’un des romans de ses débuts et alors qu’un certain échangisme, pris dans une acception plus qu’honorable d’ailleurs, prend place dans les rangs des artistes, comme pour Gala devenant Madame Salvador Dali après avoir été l’épouse d’Eluard.


Or, entre Claude et Loleh, ce sera cet « amour de diamant », comme elle le décrira finement, et c’est elle qui escortera sans faiblesse un mari qui se sait cancéreux de longue date, et auquel elle ne survivra que quelques mois, à la veille du XXIème siècle.
 
Le style en poche
 
Il est pour le moins étonnant de voir coexister chez Claude Roy, comme aussi chez Apollinaire avant lui, des odes des plus sublimes à côté de textes nettement plus quotidiens dont le langage autant que l’intention semblent tomber sous le sens. Or, ce n’est nullement une question d’âge : le sublime peut avoir été conçu très jeune, et le quotidien bien plus tard ! Mais commençons donc par évoquer telle page irrésistiblement inspirée, écrite en 1984 :
                                                
                                           Tant je l’ai regardée           caressée           merveillée
                                           et tant j’ai dit son nom à voix haute et silence
                                           le chuchotant au vent          le confiant au sommeil
                                           tant ma pensée sur elle s’est posée           reposée
                                           mouette sur la voile au grand large de mer
                                           que même si la route où nous marchons l’amble    
                                           ne fut et ne sera qu’un battement de cil du temps
                                           qui oubliera bientôt qu’il nous a vus ensemble
                                           je lui dis chaque jour merci d’être là
                                           et même séparés                son ombre sur un mur
                                           s’étonne de sentir mon ombre qui l’effleure

                                                                                                            (A la lisière du temps)


Par contraste, voici la conclusion mignonne et cependant plus tardive (1990-1991) de Souvenir de l’île de Ré :
                                                             Quand ma préférence sera de retour
                                                              nous éplucherons tous deux les pommes de terre
                                                              puis nous irons nager avant le déjeûner
                                                              sur la plage où la mer est de si bonne humeur

                                                                                                          (Le Rivage des jours)
 
Quelquefois, cette poésie confine à la simplicité des ritournelles d’antan, bien apte à rappeler que notre auteur fut un inégalable conteur de textes pour enfants :
                                                                A Réaumur-Sébastopol
                                                               J’ai rencontré mon ami Paul
                                                               À Saint-Maur et Ménilmontant
                                                               J’ai dû quitter mon ami Jean

                                                                                                       (Un seul poème)
 
On le voit, la poésie de Roy s’assimile résolument à une déclaration d’amour à la vie, non sans comporter presque perpétuellement une inquiétude sous-jacente qui est, elle aussi, bien palpable en  d’autres pages.


Un trait particulièrement présent ici sera l’expression d’une hésitation subie ou voulue entre les deux pôles d’une alternative vécue ou à vivre : serait-ce un simple procédé de style qu’on ne le découvrirait pas aussi intensément : ainsi, cette phrase qui conclut significativement Le Rivage des jours :


                                                             Quelqu’un m’attend. Je ne sais pas où. Il ne sait pas qui,
                                                              Nous ne savons pas quand.
                                
Cette tendance à l’indécision témoigne, à n’en pas douter, d’une fragilité ressentie face à l’exigence de choix que requiert invariablement toute existence, or les allusions en sont légion chez notre auteur : bien plus, c’est même l’hésitation quant à être soi ou autrui, ou encore quant à exister « pour de vrai » qui taraude par moments l’écrivain (4).


Un texte intitulé Le portrait modèle illustre particulièrement cette tendance au nihilisme, voire à la dépersonnalisation, comme il faut bien la nommer :
                                                                J’entre et je sors de vrais miroirs
                                                                Ils n’auront rien gardé de moi
                                                                La nuit efface au tableau noir
                                                                L’apparence qui se croit moi.

                                                                                                   (Un seul poème)

 

 

Références
 
Cingal Grégory, https://maitron.fr/spip.php?article172057.
Fonds Claude Roy (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet)

©Pierre Guérande        
 

 

       
 
 
 

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commentaires

J
MERCI VRAIMENT à Pierre Guérande pour ce rappel si émouvant. <br /> Qui à part lui, et d'aussi élégante façon, nous inviterait à faire un tour gagnant dans le Fonds Claude ROY?<br /> ''Le rivage des jours''...''Un seul poème''... Et nous voilà en train de relativiser...Qui sommes-nous? Et pour qui nous prenons-nous?...En lisant Claude ROY, nos prétentions les plus anodines s'effacent devant la Vérité de l'homme:<br /> Fugacité...Fugacité...Fugacité<br /> <br /> Merci Pierre<br /> <br /> Jeanne Champel Grenier
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