Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 juin 2022 1 20 /06 /juin /2022 06:41


LIMINAIRE

Dessiner la parole.

 

D’abord peindre. Sur les parois d’une caverne. À pleines mains.
L’auroch, le mammouth laineux, le gibier: qui dansent au gré des
torches, là, à portée de regard, de prière, peut-être. Silhouettes de la
faim, meutes et troupeaux courant sur la roche. La proie est rougeâtre
ou anthracite, le trait, déjà sûr. Presque toujours, des profils : car la vie
est fuyante. L’art pariétal ou rupestre a figuré le désir. Dans le dessin
s’est nidifiée la pensée.

Passent les millénaires. On se met martel en tête, on grave son
empreinte cunéiforme: le roi a besoin de compter ses récoltes, ses sujets,
ses soldats. Pour inscrire son code, sa loi d’Hammourabi. De l’autre
côté du désert, on grave jusqu’à bout de souffle l’homme et la femme,
l’âme et les dieux. Juste pour ne pas se diluer tout à fait dans les tombes:
passer plus loin, prendre la barque de l’Éternel, se confronter à Osiris.

Colloque singulier où la parole s’est faite écriture: mettre son
geste au service de Râ. Être astrolâtre, peindre le Soleil. Ne pas mourir
tout à fait dans les sables. Les idéogrammes fixent la voix humaine.
Pouvoir compter, figer son urgence sur le sarcophage, pierre qui mange
la chair.

Viennent en procession solennelle, tablettes d’argile puis de
cire, papyrus puis peaux de bêtes devenues imputrescibles, volumes où
s’enroulent et se déroulent les signes sacrés. Bibliothèque d’Alexandrie.

Tremblent par la suite les pinceaux des moines tout au bout de
leurs bures. Enluminures, plumes au service d’un Plus-Haut.

Déjà se profilent avec fracas les presses de Gutenberg, la liberté
de pensée, Montaigne, Descartes, les Lumières.

S’affolent les rotatives : on écrit chaque jour davantage que tout
ce que l’humanité a produit jusqu’à nos pères. L’art s’est déstructuré.
Taches informes que des robots tentent de reproduire. Courriels, twitters,
fake news prolifèrent tels des criquets. Des anglicismes en pagaille ont
gavé un langage immédiat, mondialisé, sans foi ni loi.

Les dessins des cavernes ou ceux des pyramides ont survécu du-
rant des millénaires, les volumes et codex, quelques siècles. Alors que
les électrons de nos ordinateurs ne seront peut-être plus lisibles dans
une vingtaine d’années. Évanescence de nos supports, dématérialisa-
tion de la pensée dans un monde où règne désormais la nanoseconde en
dictature subtile.

Prendre l’homo sapiens par le regard. De mes yeux, lire sa main.
Sa main qui, une fois première, a peint cette parole que je n’entendrai jamais.

©Claude Luezior 


Extrait : Sur les franges de l’essentiel - Editions Traversées, Belgique     

 

 

 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
11 juin 2022 6 11 /06 /juin /2022 06:44
Manifestons contre l'interdiction de manifester


 


Pour une bonne manif, il vous faudra, dans votre sac à pain :
-   du personnel qualifié avec une moustache à la Staline,
-   un cabas de revendications ; pas besoin qu’elles soient fraîches,
une poignée de syndicalistes de tout poil, prêts à battre le pavé,
des affiches, banderoles, ballons et calicots recyclés (pour ceux d’il y a trente ans, on prévoira une coup de peinture),
- quelques tambours, trompettes de nouvel-an et autres casseroles comme orchestre symphonique
-    une confrérie de brailleurs à défaut des pleureuses qui sont en grève,
beaucoup de rouge qui tache

 

©Claude Luezior  

 

Extrait du recueil « Emeutes - Vol au-dessus d’un nid de pavés », éditions « Cactus inébranlable éditions »
 
 
 
 
 

 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
6 mai 2022 5 06 /05 /mai /2022 06:39


 

 

que disions-nous
à la marge de nos danses
quand nos brindilles défaillantes
frissonnèrent en une seule plainte

que disait-tu
à la marge du naufrage
quand rugissaient tes fibres
arquées d’incessantes bourrasques

que me disais-tu
à la marge de l’abîme
quand je braconnais le plaisir
sur tes vagues en abondance

que disions-nous
quand les ciels déposèrent
en provisoire offrande
leurs naufragés exaucés ?

©Claude Luezior
 
Extrait du recueil « Prêtresse » aux éditions L’Harmattan

 

 

 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
3 avril 2022 7 03 /04 /avril /2022 06:35
MichelAnge - barthelemy


 


 
avec leurs rites
de la pensée
les souvenirs barbares
rugissent en moi
d'inépuisables courbes
telles des blessures
ne cessant leur agonie
 
me voilà confronté
au vivre qui s’épuise
à cet appel trépignant
ses impatiences
aux indicibles aveux
quand chuinte encore
le va-et-vient du tourment
 
pour avoir donné le feu
Prométhée souffre l’aigle
qui lacère son ventre
et savoure ses entrailles
pour avoir trop aimé
le voici proie
de l’implacable loi

être la plaie furieuse
qui enfle, machinale
au souvenir du temps
façonner le gouffre
s’y couler, s’y noyer
une nuit dernière
en résines d’éternité
 
l’épaisseur du noir
monte et m’envahit
suis-je encore homme
au parapet des vertiges
ou châle que l’on jette
quand s’inscrivent
d’autres passages ?

 
©Claude Luezior


 
 
 
 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
14 février 2022 1 14 /02 /février /2022 07:40

 

            Grouillent et s’accumulent ses paroles, remplissant chaque silence, chaque parcelle d’espace. Dissertant sans cesse à propos de tout, mais essentiellement sur elles-mêmes. Comme pour se rassurer encore un peu davantage. Inépuisable caléidoscope du verbe qui s’effrite et se délite, pour finalement ne rien dire, ou si peu.

 

©Claude Luezior

in : Jusqu'à la cendre, Ed. Librairie-Galerie Racine, Paris, 2018
https://editions-lgr.fr/claude-luezior/                          
 
 
 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
7 décembre 2021 2 07 /12 /décembre /2021 07:36
"Persiennes vertes" Albert Marquet - 1944/1946


 


A ses persiennes tout juste entrouvertes, nos souvenirs de défroqués, une étreinte qui s’effiloche comme un drapeau usé par les vaines révérences du vent, deux-trois mouchoirs pendus sur une corde à l’italienne, une nuisette désormais inutile, quelques orgasmes, quelques serments, ses paradoxes devenus chauves-souris, bien des caresses que les heures ont momifiées, une poignée d’attentes, un encore trop futile, des silences, beaucoup de silences tels des miettes que même les étourneaux dédaignent, un tout dernier espoir évanoui, des ombres, beaucoup d’ombres sécrétées à la va-vite par un soleil en vadrouille, toute une vie : la mienne, la sienne, sur ce rebord de fenêtre à jamais desséché.

©Claude Luezior

in : Jusqu'à la cendre, Ed. Librairie-Galerie Racine, Paris, 2018

https://editions-lgr.fr/claude-luezior/                        
 
 

 

 


 
Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
28 octobre 2021 4 28 /10 /octobre /2021 06:23


 


         Au cadastre de la pluie, un escargot toutes
antennes déployées, consciencieusement étale ses
transparences.
         Les salades semblent alignées pour l’inspec-
tion.
         Parade ou défilé de mode ?
         Seule la première semble l’élue, sur ces terres
vierges du potager.
         Frileuse caresse : là, l’escargot et son désir
pour une feuille.
         Juste pour elle, un baiser vernissé.
         Pour elle seule : une toute petite morsure
d’amour.

©Claude Luezior
in : Jusqu'à la cendre, Ed. Librairie-Galerie Racine, Paris, 2018 https://editions-lgr.fr/claude-luezior/                    
 
 

 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
25 septembre 2021 6 25 /09 /septembre /2021 06:35

 

Authentique aventure de l’esprit : la poésie
m’habite et me quitte : comme ma chienne,
elle s’enfuit, hume quelque herbe folle et
revient à pattes de mamours, tout museau
gorgé de senteurs, se câliner de moi…


©Claude Luezior
 

in : Jusqu'à la cendre, Ed. Librairie-Galerie Racine, Paris, 2018
https://editions-lgr.fr/claude-luezior/      
   
 
 
 
 
 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
20 août 2021 5 20 /08 /août /2021 06:42

 

 

    Au revers de la mémoire, ces tranches de vie
défilant sur écran : la mienne, la leur, comme s’il y
avait vraiment différence.
    
    Vendanges inachevées ou pérégrinent
quelques finitudes.

 

    N’y a-t-il enfin d’histoire commune à tous ces
êtres ?

 

    Quand nous faisons partie d’un même miroir.


©Claude Luezior
 

in : Jusqu'à la cendre, Ed. Librairie-Galerie Racine, Paris, 2018

https://editions-lgr.fr/claude-luezior/          

 

 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2021 5 16 /07 /juillet /2021 06:55
 
 
 
 
Mettre sous les verrous
les rumeurs féroces
qui rôdent et flottent
sans quille
 
sous les verrous, la faconde
celle d’un ténébreux tribun
qui bûcheronne son verbe
sans éloquence
 
Mettre sour pli
le brin subtil
d’un parfum
sans âge
 
le pli incertain
qui habite le murmure
de lèvres
sans péché
 
Mettre la main
à la pâte humaine
pour la soulager
sans merci
 
à la pâte qui lève
même sur les sables
d’un désert
sans ressource
 
Mettre le blé
en gerbes
pour honorer un soleil
sans détour
 
le blé en rayons de paille
furieusement dressés
hallebardes nourricières
sans effroi
 
Mettre le feu
aux parcelles du rêve
qui habitent nos cervelles
sans sommeil
 
le feu à ces urgences
que l’on croit si vitales
et qui nous dévorent
sans coup férir
 
Mettre la couleur
à ce caléidoscope
qui nous traverse
non sans peine
 
les couleurs qu’un infini
transfuse dans nos veines
et nos chairs attentives
sans que mort s’en suive
 
©Claude Luezior
 
Extrait du recueil « Clames » aux éditions Tituli
 
 
 
 

 
 
Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits
Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Couleurs Poésies 2
  • : Ce blog est dédié à la poésie actuelle, aux poètes connus ou inconnus et vivants.
  • Contact

  • jdor
  • Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...
  • Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...

Recherche