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1 août 2023 2 01 /08 /août /2023 06:56

Les Poètes Français, 160 p.

 

     
       Peindre les mots. Ecrire les couleurs. Et par les uns et les autres, sceller le mariage du tableau et du poème, donner forme à l’intime(…) L’introduction de Hafid Gafaïti est superbe et invite à la contemplation de cet ouvrage à quatre mains.


      Au gré des turbulences du verbe et du pinceau non figuratif sous lequel émergent pourtant çà et là un visage, le Mont St-Michel, un soleil, une forêt des brumes, nous oscillons dans les frémissements de créations multiples. D’aucuns auraient attendu une relation davantage évidente entre le texte et les tableaux, mais il est vrai que les premiers ne sont pas là pour expliquer les seconds.  Il s’agit donc à mon sens, la plupart du temps, d’une potentialisation assumée par les auteurs, plutôt que d’une synergie. Cela dit, on est interloqué par la beauté qui fascine.


         Les toiles d’Eliane Hurtado ont ce quelque chose de mystérieux, sans artifice ni mièvrerie, tant le trait est vif, le sujet mouvementé, les fréquents camaïeux de bleus, aériens mais également profonds. Ils s’inscrivent, au deuxième degré, parfaitement dans la geste de Michel Bénard et constituent une manière de chorégraphie stellaire propice aux mirages et aux rêves. Ces élans graphiques et ces éclipses sans cesse nourrissent, peut-être sans même le vouloir, les textes de Bénard.  Notons que la peintre est également poète. En attestent sa biographie mais également les titres de ses œuvres : fulgurance acrylique, gestuelle, gouttes d’or, grisaille azurée…


       Se dégage de ce recueil, sous la plume confirmée de l’écrivain, un étirement du temps et du recueillement (La lettre en majuscule se pose / Sur un fond de silence ) : non pas dans la solitude mais en une sorte de sérénité ciselée, voire de transcendance créative :


Le souffle d’un recueillement m’effleure
Un silence contemplatif me transporte
Sur le seuil d’un autel d’extase


   Sachant que l’amour est un constant axe de vie dans la poésie de Michel Bénard :


Buvons les eaux lustrales
Jusqu’à l’ivresse extrême,
Consumons-nous lentement
Dans les feux de la passion


          Légendes et mythes s’embrasent au fil des pages, parfois en prières laïques. Errances d’enluminures en reflets de ces vers insondables.


          Talismans partagés.


       Ecriture maîtrisée, chaleureuse, qui rejoint crayons et pinceaux de l’artiste-peintre dans ses arabesques, ses tourbillons et ses harpes, pour un plus haut, pour un plus beau, avec une infinie minutie, un point rouge définissant l’horizon, l’inaccessible.


   Véritables miroirs mutuels : encre et pigments, comme l’éloquence d’un intemporel.

 

 

                                                              

©Claude Luezior  

 
 
 
 
 
 
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10 mai 2023 3 10 /05 /mai /2023 06:45

Le visage de la guerre, Salvador Dali

 

 
 
Se dénouent à mes yeux les pages
d’Histoire, à la fois exigeantes et cruelles.
 
Que l’on quémande l’humain, et voici
batailles, traîtrises et massacres. Que se décante
la civilisation et l’on bute sur quelque gloriole,
rapine ou soif insensée. Tant de dévoration,
tant de haches, piques et bombardes !
 
Surtout ne pas venir nous parler de l’art
de la guerre quand règnent en maîtres absolus
plaies et désespoirs. Surtout cesser de célébrer
le tombeau et la dépouille d’assassins. Et le soi-
disant génie militaire, alors que grouillent les
amputés. Avec l’avis cynique de grands clercs
évoquant le « contexte historique » et le « roman
national » : sous nos yeux gémissent affres et
tragédies.
 
Suis-je l’héritier de ces incandescences ?
 
©Claude Luezior  
Extrait du recueil « Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures, Claude Luezior » éditions Traversées, 2022      
 
 
 
 
 
 
 
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31 mars 2023 5 31 /03 /mars /2023 06:44


 

 


fleurir
    quand le fiel de leurs bavardages
    transmute mon génome

pourquoi fleurir ?

rugir
    ma révolte devant le troupeau de
    leurs inepties

pourquoi rugir ?

courir
    après ce destin où s’humilient mes
    espérances

pourquoi courir ?

souffrir
    face aux décrépitudes qui sonnent la
    charge dans mes viscères

pourquoi souffrir ?

vieillir
    en ces haillons d’existence
    alors que s’égarent les sourires

pourquoi vieillir ?

mourir
    pour rien : tant qu’à faire
    pourquoi ne pas vivre

pour ton Empire ?


©Claude Luezior  

Extrait du recueil « Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures, Claude Luezior » éditions Traversées, 2022      
 
 
 

 

 

 

 

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22 février 2023 3 22 /02 /février /2023 07:42


 


    Allaiter cette page comme le peintre
donne ses becquetées de couleurs au tableau.

    Obstination tendre, idée insensée :
que mes mots fassent un jour synapse avec la
rétine d’un hypothétique lecteur. Qu’ils soient
complices de ses émotions. De ses cicatrices. A
l’extrême fin de sa pensée.

    Que mes images deviennent siennes,
comme assimilées par une partie infinitésimale
de son être. Qu’elles fassent éclore, le temps
d’un parfum, les bourgeons de ses jardins.

    Terres communes, ancrages d’un instant.

    Microscopiques expérience de vie.


©Claude Luezior
 
Extrait du recueil « Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures, Claude Luezior » éditions Traversées, 2022
 
 
 
 

 

 

 

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23 janvier 2023 1 23 /01 /janvier /2023 07:45


J’aime Botticelli, mais élargissons… Les trois Grâces d’Antonio Canova (1799)
 

 

transparence
du geste profane
rire de passage
et pureté
où s’affine le mythe
d’âmes ailées


se profilent
des yeux-miroirs
et fleurissent
au-delà du réel
les allégeances
aux danses printanières

 

rêve d’un Botticelli
en l’esquisse d’un au-delà
quand s’incarne
le rayon premier
et triomphe
l’innocence
 

©Claude Luezior
 
Extrait du recueil « Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures, Claude Luezior » éditions Traversées, 2022
 
 
 
 

 

 

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11 janvier 2023 3 11 /01 /janvier /2023 08:50



de Sonia ELVIREANU. traduction de Giuliano LADOLFI
Éd. Ladolfi, 264 pages, couverture d'Irina Petraş, 2022, Italie, ISBN: 9788866446217

 

Peindre les mots : l'expression est connue et a été employée en particulier par l'écrivain suisse Jacques Chessex. De plus, celui qui sait exactement d'avance ce qu'il va peindre est-il vraiment un artiste ? Celui qui connaît précisément ce qu'il va écrire en renvoyant les muses accrochées à ses lignes est-il poète ?

 

Lire Elvireanu, c'est s'immerger dans un monde onirique qui nous fait penser à celui de Claude Monet, comme nous l'avons déjà noté dans notre recension de son recueil, Le souffle du ciel. Monde enchanté où l'on picore les miettes de la couleur, des ensoleillements où chantent espaces et quiétudes...

 

Ne t'en vas pas, Lecteur : prends la pause sur le pont japonais du génial impressionniste : écoute la poétesse, susurre, psalmodie ses lignes au goût de miel. En français qu'Elvireanu maîtrise avec une aisance déconcertante, mais ici également en italien, la langue des anges que nous propose avec élégance son traducteur, préfacier et éditeur Giuliano Ladolfi.

 

Idiomes peints par des créateurs, au-delà du descriptif, propres au rêve, tout à la fois profanes et sacrés, intimistes et fantastiques, dans un au-delà de la texture grammaticale, dans un dépassement de soi.

 

Dans le brouillard (p.56)

 

Une brume bleuâtre
enveloppe l'argile au crépuscule,


le murmure d'un bourgeon
meurtri,

 

sous l'écorce,
le frémissement du silence,


l'iris de l'épanouissement
esseulé.

 

 

Nella nebbia (p.57)

 

Una nebbia azzurrina
al crepuscolo avvolge l'argilla,


il mormorio di una gemma
straziata


sotto la corteccia,
il sussulto del silenzio,


l'iris della fioritura
solitaria.

 

Brouillard, teintes bleuâtres, murmures, sous l'écorce, touches verbales mais aussi fascination transculturelle d'une écrivaine roumaine nous prenant par la rétine, avec, en miroir, les sonorités transalpines si riches de leurs voyelles! Les nymphéas de Monet en frémissent d'aise... Déambulation délicate, sécrétions de pétales et de mots en un silence feutré...

 

La poésie, telle la peinture, est souvent faite de surprises, d'émotions, d'inconscient à la marge du narratif : j'ai l'impression d'être dans l'attente du mystère / avec son pouvoir de te prendre aux tréfonds / pour te faire sentir la vie, aux mille visages / s'émerveillant de ses mots, de ton image (p. 106).

 

On  se rapproche du passage entre le formel et le non-figuratif. L'académicien Henri Troyat ne disait-il que, même dans un roman, les personnages prennent le pouvoir ? Ici, c'est l'âme qui, dans l'éclat / de l'argile / céleste (p. 210), occupe toute la scène.

Peintre des mots : Sonia Elvireanu serait-elle un auteur impressionniste ?

                                
                            
Claude LUEZIOR

         
 
 
 
 

 

 

 

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14 décembre 2022 3 14 /12 /décembre /2022 07:32

Photo JDornac©

 

         Sans cesse, les mouettes crient leur urgence. Elles virevoltent et pourfendent les embruns, défient les turbulences, éparpillent le scandale au gré des falaises, comme si le ressac, ce matin, se résumait à l’unique nouvelle sur l’ardoise marbrée des flots.

 

       Une poignée de mouettes, c’est pas grand chose, mais il faut dire qu’une armée toute entière, une armada de mouettes au faîte de leur indignation coalise le respect. Convoquant d’étranges noces dans leur appareil presque immaculé, mêlant et démêlant des serments nomades aux rumeurs des flots, scandant quelque jacquerie à la face des bourrasques, toujours hautaines, toujours ivres de tempêtes, les voilà qui prennent possession de la crique toute entière.

 

         Indignation bien légitime : devant le phare dressé comme une croix, les mouettes crient la mort du poète…

 

©Claude Luezior

 

Extrait du recueil « Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures, Claude Luezior » éditions Traversées, 2022

 

 

 


 
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7 novembre 2022 1 07 /11 /novembre /2022 07:35


 

 

ineffable
surprise

sanguine
lie

puérile
comptine

affectueuse
nuance

angélique
subterfuge

redoutable
prophétie

onctueuse
mouvance

identique
à mes rêves


qui sait,
est-elle cela
tout à la fois ?

 

©Claude Luezior
 
Extrait du recueil « Mendiant d’utopie » aux éditions L’Harmattan

 


 

 

 

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29 septembre 2022 4 29 /09 /septembre /2022 06:43


 

tu me taraudes
avec la braise qui coagule,
une braise furieuse
qui dissout mes litanies
tu morcelles, tu effrites
mes certitudes en jachère
quand se lève le jour
d’une paisible oraison

 

Prêtresse

 

tu détournes
les ascendances que je chuchote
tu t’empares de ma paille
pour bouter la flamme
à mon humide caverne
et mes frasques d’ermite
d’un coup s’embrasent
pour goûter aux rouges
de nos démences

 

©Claude Luezior  

Extrait du recueil « Prêtresse » aux éditions L’Harmattan
 
 
 
 
 
 

 

 

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17 août 2022 3 17 /08 /août /2022 06:48
Le rêve de Dickens par Robert W. Buss


 

Gérard Le Goff : La cité chimérique, Encres Vives, Collection Encres Blanches, janv. 2022  et Brisées, Encres Vives no 516, nov.-dec. 2021, 16 p. chacun, 6,20 Euros

 

La cité chimérique est une nouvelle commise par une plume trempée dans un style hors du commun, fait de précision, d'images, de rythmes. Preuve, s'il en fallait encore, que la poésie peut se terrer dans la prose...  Parfois, la ville ouvre ses portes sur la limpidité de l'évidence. Sans un bruit. Parfois, elle les maintient closes sur l'oubli. Je sais qu'elles ont toujours été là, dans le reste de ces jours qui sable mes paupières, dans le peu de ces nuits qui s'égoutte au fond de mes yeux. Il m'appartient de vérifier leur disponibilité. La phrase est taillée au couteau. Elle annonce un cauchemar...


Peu à peu, nous avons l'impression d'être dans une toile de Dali. La peinture est extrêmement bien dessinée mais thèmes et personnages s'entrelacent, se bousculent, se fondent dans une cité mystérieuse puis dans une jungle. Zeste d'érotisme pour évoquer des sirènes égarées. Décrits avec une sorte de froideur chirurgicale, des peuples étranges tel celui des Financiers, prennent vie dans des décors byzantins plus vrais que nature. L'observateur passe d'un palais à une cathédrale, d'une échoppe à une rue insensée. On se croirait dans une Venise ourdissant ses complots, mais ce n'est pas Venise. Ou dans Londres égrainant ses venelles prêtes à un crime, ou dans Paris affûtant ses lumières ou dans Amsterdam chuchotant entre deux canaux. Mais nous ne sommes ni à Londres, ni à Paris, ni à Amsterdam...


On entre dans un magasin étrange, sorte de cabinet des curiosités. Une fois, le négociant m'a conseillé d'acquérir, sans sourciller : une mèche de cheveux de Yul Brynner, le prépuce d'Albert Einstein, le glaive de Saint-Paul, un grain de beauté de Marilyn ainsi que l'intégrale de la correspondance entre Adolf Hitler et le Mahatma Gandhi. Humour grinçant, déjanté.


Le propos se veut presque journalistique, d'allure réelle, porté par un locuteur (le "je" omniprésent) dont le langage châtié, parfaitement correct, est parsemé de mots rares : aventurine, tavelé d'étoiles, turquin, céladon... Les descriptions acérées ramènent le lecteur à une pseudo-réalité qui donne à l'ensemble une allure surréaliste à la René Magritte ou à la Max Ernst.


En un mot, cette nouvelle surprenante me fait penser à l'adage : "nous avons tous fait l'expérience de la folie, c'est celle des rêves"... Encore faut-il le talent et la plume de Gérard Le Goff pour l'exprimer de manière aussi éclatante et chimérique.

 

***

 

Le recueil, également chez l'éditeur Michel Cosem d'Encres Vives, intitulé Brisées, est constitué de soixante-quatre quatrains en vers octosyllabiques de belle facture. Le sous-chapitre, Sauf-conduits, a particulièrement attiré notre attention, puisque chaque quatrain est inspiré par une ville ou un lieu : Londres, Rome, Florence, Prague, Barcelone, voire Louxor... Résumer chaque fois un émerveillement n'est pas facile.


Il leur reste tant de hauteur
Aux Météores tombés du ciel
Que leur ombres même déroute les cœurs
Vers un désir d'élévation

 

Ou bien, pour Abou Simbel :

 

Pharaon un et multiple
Ses regards ignorent les royaumes
Que conquirent le sable et le vent
Avec pour seule arme le silence


En quatre lignes, donner la main à un lieu. Non pas le résumer, mais ouvrir une porte, des effluves. Pari insensé : celui du poète...


Plus loin, Gérard Le Goff évoque avec délicatesse l'offrande des hautes fleurs (...), la harpe (qui) parle toutes les langues de l'eau / Elle sait les prophéties des sources (...) Accorde son cristal à la pluie.


Marc des mots, condensé de poésie. Seize pages ? Encore !

 

©Claude Luezior
   
 
 

 

 

 

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  • : Ce blog est dédié à la poésie actuelle, aux poètes connus ou inconnus et vivants.
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