On l'appelait le Perçant à cause de son regard inquiétant qui vous fouillait, vous transperçait, vous mettait à nu. C'était un homme sec comme la branche d'un arbre mort. Il se nourrissait de pain et de silence. Chaque matin, il lui fallait un percement. Que perçait-il d'ailleurs ? Les chaises, les oreilles, les tonneaux, le bois, la pierre et le secret des choses. Il adorait aussi percer des trous dans les mémoires qui devenaient alors un panier pertuisé, juste ce qu'il fallait pour y planter des touffes de bonne humeur. Or la bonne humeur est une richesse, une joie, un petit coin de ciel bleu. Quand vous êtes de bonne humeur, vous avez envie d'attraper des bouts de nuages et de bonheur bien frais, d'escalader des feux rouges et le rire de grand-père. Ne pensez pas seulement à vos soucis et à votre chat qui pêche. Inventez un art de vivre et une nouvelle recette de pavé lunaire, dessinez les chemins du vent dans les champs de graminées. Oui la bonne humeur suscite la création...
Mais voilà qu'un jour, le Perçant se mit à percer les âmes, à les cambrioler, les violer, les espionner, les mettre sous haute surveillance. Gare à tous ceux qui n'étaient pas vigilants ni résistants et qui laissèrent s'éteindre leurs feux intérieurs. Ils furent alors dépossédés d'eux-mêmes.
" Tu deviens fou, le Perçant, un fou dangereux. Va plutôt percer jusqu'à la pulvérisation, tous les engins de guerre. Ce serait une belle façon d'offrir des giclées de lumière à notre belle et fragile planète, d'entendre à nouveau le chant du monde, le souffle du jasmin et des gens heureux...
©Michèle Freud
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