Editions l’Harmattan- collection Poésie (s) 2015.
Volume no I: Fragment. (87 pages)
Volume no II: D’un seul geste. (89 pages)
Volume no III: La couleur d’un silence. (97 pages)
Au fil des décennies, c’est au rythme de l’orfèvre que Claude Luezior cisèle son œuvre, romans, essais, ouvrages d’art et poésie, avec un égal bonheur, jusqu’à parfois tutoyer ou égratigner le ciel.
Remarquable et incontestable parcours littéraire et poétique que celui de Claude Luezior.
Il pérégrine au balancement régulier du métronome, rien qui ne puisse arrêter l’élaboration passionnée et éclectique de son œuvre.
Sa dernière « Trilogie » - I -Fragment – II - D’un seul geste - et – III - La couleur du silence - appartient à cette mouvance.
Patiemment, pareil à un bon compagnon artisan, il ajuste, peaufine ses mots sur un établi encombré de lettres, signes, songes, et il annonce la couleur dans cette nouvelle « Trilogie : »
Il fragmente !
« Ces poèmes sans rime, naissent dans un incubateur d’étoiles. »
Claude Luezior, ressent une nécessité de retour à l’originel, à la pureté initiatique, à l’heure des moissons et de l’engagement.
Au travers de ce besoin de dépouillement le verbe devient rédempteur.
Ce dernier nous forge toujours de brèves, mais remarquables formules.
« …/…le charbonnier
a cloué ses absences
aux portes de la foi. »
Une foi des plus discrètes vibre au fond de lui-même. Foi ? Ou plus précisément le questionnement d’un retour au sacré, à la symbolique initiale. Page après page nous cheminons dans la sacralisation et son parfait contraire se manifestant par une espèce de provocation.
Les vers qui se dévident entre les pages de cette « Trilogie » sont brefs, très courts, incisifs, ils vont à l’essentiel, semblables parfois à la manière des haïkus.
Il jongle avec de magnifiques autant que surprenantes métaphores, chaque strophe est en elle-même un poème. De fulgurantes images y fourmillent.
« …/…ouvre
les entrailles
du miracle
par ton geste
sacré…/…
La vie parfois s’embrouille, les chemins s’emmêlent sur le grand labyrinthe, mais pourtant la poésie est toujours présente pour réconforter nos incertitudes.
Les textes de cette fulgurante « Trilogie » se veulent libres, sans rime, sans ponctuation, la poésie ici n’existe qu’au prix de cette liberté effrénée autant qu’échevelée. Nous y ressentons la volonté de sobriété, le frissonnement mystique, l’épurement à la manière cistercienne en forme de chant grégorien.
Sans oser prétendre faire un comparatif élémentaire, je retrouve au fil des pages une résonance qui n’est pas sans rappeler un peu : « La montée du Carmel » de Saint Jean de la Croix.
« …/…au bout
d’une alchimie
de songes
et d’ave
toucher
le stigmate
et renaître
par la Croix…/…
Claude Luezior perçoit souvent dans l’existence, une grande hallucination, une déferlante d’angoisse, d’étranges mouvances paranoïaques, les démences qui spolient et mettent l’homme à nu. Qui le place face à lui-même et à son insignifiance.
Nous sommes ici confrontés à une remarquable poésie épurée confondue à une profonde réflexion existentielle. Parfois il nous est même possible de nous égarer en quelques espaces ésotériques, en d’énigmatiques cryptes mythiques.
L’ouvrage est fragmenté de subtils aphorismes et sentences qui nous resituent face à nous même en nous abîmant dans une sorte de contemplation.
Il arrive aussi à Claude Luezior de se faire quelquefois iconoclaste ! Il fait l’autodafé des clichés, des idées reçues, des pensées formatées. Il « mécréante » gentiment, il
« anticléricalise » avec lucidité, toutes les religions prennent une estocade au passage.
La purification touche même la ponctuation qui est réduite à sa plus simple expression.
Par l’effet d’un seul geste, Claude Luezior nous invite à changer de regard. Il est un mystique animiste, un prince de la liberté.
Ce geste alphabétisé est tout l’acte révélateur de la poésie. Nous y croisons quelques fois des échos nietzschéens à l’esprit chamanique.
…/… intemporelles
partitions
pour druides
qui parachèvent
les fantasmes
d’un cosmos
intime.//…
Il nous arrive également de décrypter des scènes rappelant Jean-François Millet, des tintements d’angélus sur les terres pacifiées du soir.
Effleurement de temps à autre sur la pointe des pieds de l’hermétisme, où notre poète avertit par des voies détournées que l’amour peut conduire jusqu’à l’implacable loi de l’anéantissement tel le mythe de Prométhée.
La vie est une sorte de turbulence, de folie brodée de désespérances, de stigmatisations festonnées d’aveugles insouciances, d’infantiles démesures noyées par des rires crédules. La chute et son déclin sont inévitables, alors autant sombrer dans le fol oubli du grand carnaval final, protégés que nous serons par le masque de l’anonymat.
Un temps pour tout, vie, amour, frénésie, larmes, beuveries des oublis.
Le poète fait en sorte de s’égarer, de se perdre un peu sur l’océan de l’existence, alors il quitte son port sans boussole, sans sextant, ni astrolabe, mais il sait encore lire dans les étoiles.
Claude Luezior le confesse, il a joué au poète plutôt que de porter le glaive, il a préféré et grand bien lui en a pris, agiter un calame effarouché.
A choisir je préfère l’image de Claude Luezior en poète ébloui, plutôt qu’en mercenaire !
En touche finale il ne reste plus qu’à faire l’amer constat des heures vulgaires, de la perte d’un certain sens du beau.
« …/… à quoi bon ces lignes en perdition
que l’on nomme esthétisantes
alors que des gens, dits de lettres
ont perdu jusqu’au sens du beau ?.../…
Claude Luezior se situe plus que jamais dans le questionnement de la grande confusion de ce début de siècle, il s’indigne du grand mensonge libéral mondialisé au détriment des peuples et à l’aliénation des nations.
Sous la bannière du doute le poète se réfugie dans les alphabets de l’amour et tourne son regard vers une éternité nouvelle colorée de silence.
Une belle et longue route à cette « Trilogie » qui laisse flotter autour de nous, l’instant d’un rêve l’étonnement d’un voyage intemporel.
Michel Bénard.
Lauréat de l’Académie française.