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26 octobre 2016 3 26 /10 /octobre /2016 06:45
Au gré de l'astrolabe de Michel Bénard - par Marcella Leopizzi
Marcella Leopizzi
Università di Bari Aldo Moro
 
De monde en monde ‘au gré de l’astrolabe’ pour rencontrer l’Autre.
Michel Bénard et sa recherche de l’universel 
 
L'art ne reproduit pas le visible ;
il le rend visible.
Paul Klee
 
        Préfacé par Barnabé Laye et introduit par une calligraphie sur la couverture de Ghani Alani, Au gré de l’astrolabe de Michel Bénard (Paris, Éditions les Poètes Français, 2015, 118 p.) est divisé en deux parties : Terra Incognita et Terra Africa.
Dans ce très passionnant recueil de poèmes, Bénard part, par le biais de son je-lyrique, au gré de l’astrolabe. Il traverse les monts et les vaux, la terre et la mer pour rencontrer l’Autre. Et, en voyageant il s’entrelace à l’Autre jusqu’à devenir autre-que-celui-du-départ. La recherche de l’Autre coïncide, en effet, avec la tentative de parvenir à l’harmonisation, voire à l’unité de l’humain avec l’universel.
Pourquoi parcourt-il ce chemin au gré de l’astrolabe ? Instrument désuet, l’astrolabe implique à la fois le choix d’un retour en arrière ainsi que le désir d’un rythme plus lent, hors contexte, si ce n’est anachronique. Le fait de se servir d’un astrolabe permet d’une certaine façon de tenir le globe du monde dans sa main et donc d’établir un contact complet avec tout ce qui est Autre.
Au fil du recueil, l’astrolabe apparaît tel un outil permettant le trait d’union entre les deux « Terres » : la Terra Incognita du territoire inexploré et la Terra Africa des vastes espaces au sud du Sahara (le Congo, les Grands Lacs, le fleuve Zambèze et le fleuve Limpopo). Ces deux « Terres » entrent en fusion, en une osmose intime et chaleureuse, et s’accompagnent d’autres espaces, réels et imaginaires, passés et présents : ce qui crée une passerelle entre l’Orient et l’Occident, la réalité et la fiction, l’histoire et l’actualité. Aussi l’astrolabe devient-il un instrument de voyage et de rêve, porteur de lumière et d’espérance, qui favorise la connaissance de l’Autre au sens le plus vaste : des civilisations perdues et contemporaines, des terres inconnues, des contrées ensoleillées, des plages coralliennes, des îles lointaines, etc.
Autant physique que mental, ce voyage effectué au gré de l’astrolabe vers d’autres horizons subsume le ‘voyage’ de l’homme à la ‘découverte’ de la femme (« L’Afrique est une femme » p. 77) ainsi que le chemin qui mène à l’amour le cœur amoureux :
 
Alors, dans la rousse spirale
D’une mèche de vos cheveux
J’ai posé mon astrolabe (p. 33)
 
En toi, j’ai défloré une « Terra Incognita » 
[…]
En toi, j’ai fertilisé une terre inconnue,
En respirant ton sang
J’ai repris goût à la vie. (p. 20)
 
Cet élancement est une faim d’infini et une soif d’absolu :
 
Boire les sèves de la femme désirée
Toute parfumée de fleurs de Tiaré,
Parcourir l’ovale de son ventre
En s’abreuvant de ses seins,
Avoir cette impression d’extase
D’être aux sources du ciel
Au cœur d’une île idyllique.  (p. 25)
 
En anhélant à la femme comme un voyageur en « quête de l’ultime astre orange » (p. 25), et en rêvant d’enivrantes extases, l’homme atteint une harmonisation avec la nature. Il devient un tout-qui-se-tient avec le macrocosme, comme en témoigne le fait que le je-lyrique assume un langage aux traits universels (c’est pourquoi le lexique utilisé en référence à lui-même ainsi qu’à l’homme et à la femme en général se rapporte souvent à celui des astres et du cosmos) :
 
Lorsque je prends votre main
Pour la serrer dans la mienne,
Je touche à la musique de votre cœur,
Je ferme les yeux pour mieux cerner vos secrets,
Lorsque sous la magie de l’amour
Votre corps se met en habit de lumière,
Laissez-moi-vous déposer sur un croissant de lune,
Laissez-moi-vous écrire le livre
Que l’on ne peut lire qu’à deux.
Lorsque je pense à vos paysages,
J’entends les pulsions du monde
Qui battent aux quatre points cardinaux,
Enfin vous voilà devant moi,
Rayonnante et belle
Comme une icône d’Orient. (p. 29)
 
La rencontre homme-femme est envisageable tout au long de ces poèmes comme une recherche de l’Autre, une ouverture à l’Autre et un retour pour l’homme à la source originelle : la femme étant l’être où l’homme se forme et d’où l’homme naît… Par conséquent, l’union homme-femme n’est que l’emblème d’un processus générateur de vie, et, en tant que principe vital, elle est prélude à l’espoir. 
La femme accouche l’homme et ce lien si étroit fait d’elle une image tutélaire, au point qu’elle apparaît comme une sorte de refuge pour l’homme :
 
Lorsque la mer dépose
Sur tes seins enfiévrés
Ses cristaux de sel,
Dans le silence
Bleu de la nuit,
Je rejoins la confrérie
Des passeurs de rêves. (p. 43)
 
Vers après vers, ce recueil suggère des figures féminines qui ont parfois les traits d’une femme ange / mère (« les femmes y nourrissaient de miel et de lait / les enfants de la tradition » p. 24) et souvent ceux de femme-amante : « la photo d’une indigène aux seins nus » (p. 20), au visage « beau comme une fleur sauvage / exhalant les parfums subtils / de ses essences enivrantes » (p. 23).
Assimilée à la vie et à l’amour, la femme assume une fonction salvatrice pour l’homme parce qu’elle permet le dépassement de la solitude et du mal :
 
Femme noire, femme blanche,
Femme comme une source
Sous l’écume soyeuse d’une vague bleue,
Femme dansant au cœur du désert,
Pour célébrer la vie.
Femme où es-tu ?
Femme que fais-tu ?
Femme où vas-tu ?
J’ai vu le ciel s’éclaircir et ton visage s’incliner,
Tout en dispensant l’amour et la paix. (p. 61)
 
 
Femmes d’Afrique,
Femmes d’Asie,
Femmes d’Arabie,
Femmes d’Occident,
Plurielles singularités,
Surprenantes et imprévues
Comme une pluie tropicale
Sourires radieux et visages nouveaux,
Jeunes patries de la beauté,
Regards féconds,
Matrices métissées de l’humanité,
La destinée de l’homme
Est votre bien,
Elle vous appartient
Préservez-en le lien !
Seule espérance porteuse
D’une nouvelle lumière crépusculaire. (p. 86)
 
En voyageant d’un lieu à l’autre à travers des territoires inexplorés, symboles de ce qui est désirable et attirant, le je-lyrique contemple le soleil et l’océan, il admire les danses, les cérémonies, les liturgies tribales, il écoute les chants et les sons de la flûte, du luth, du violoncelle, de la lyre, et il goûte les odeurs d’algues et d’encens ainsi que les parfums d’herbes fraîches, d’orangers, d’eucalyptus et de jasmins. De ce fait, au fur et à mesure, il compose « le portrait de la femme ‘‘idéale’’ » (p. 93) et il trace un amour passionnel, charnel et spirituel qui chante les arcanes de l’existence, la nécessité de la rencontre je-tu, et la correspondance-incorporation terre ↔ femme, toutes deux étant matrices de vie :
 
Sous le mystère d’une nuit tropicale
Nous nous sommes aimés sur les mousses
D’un vieux faré abandonné. (p. 25)
 
Les portes de l’invisible
S’ouvrent au point ultime où la passion
Cède sa place aux plus folles passions. (p. 64)
 
Des passeurs de lumière.
Tous les deux réunis
Sur un paysage flottant
Jusqu’à l’infini des brumes,
Nous irons glaner les épis
D’une complicité frissonnant
Au diapason d’un amour
Tout imprégné des sèves
De la terre qui germent
Aux ventres des femmes. (p. 73)
 
Source et souche de vie, la femme apparaît dans tous ces vers comme le plus bel être  au monde. Et pourtant, suggèrent quelques vers, il faut se mettre en garde contre un danger qui guette : car parfois il suffit « du rappel de la promesse d’un sein, / pour perdre à jamais / le sens du chemin » (p. 48). S’embarquer… au gré de l’astrolabe… signifie donc laisser migrer les rêves en liberté mais en s’orientant toujours à la boussole. La rencontre de l’Autre – destination principale et but primaire pour le je-lyrique – s’insère, en effet, à l’intérieur d’un parcours qui, loin d’être ‘dérèglement de tous les sens’, s’effectue le long d’un chemin qui croise la sagesse, comme en témoignent les occurrences (sous leurs diverses morphologies) de ce mot : « sage humilité » (p. 42), « la parole des sages » (p. 62), « l’homme sage » (p. 75), « sages paroles » (p. 81),  « sagesse » (p. 104).
Le voyage poétique suggéré dans ce recueil se veut, d’ailleurs, un voyage de l’âme à la recherche d’une « silencieuse symphonie d’amour universel » (p. 23). Seul cet état d’âme permet une mise en communion avec le monde environnant et confère un sens de l’assouvissement propre à saisir la vie dans toute sa force :
 
Les pêcheurs de rêves et d’utopie
Lancent vers l’azur marin
Leurs filets d’étoiles et de lunes,
Avec pour espoir ultime
Celui de reconduite
Une pêche miraculeuse. (p. 95)
 
Par cet ouvrage, convaincu que le poème est « transmission, partage » (p. 104 » qui « s’envole avec les oiseaux migrateurs / pour pérenniser la mémoire d’un peuple, / en drapant les hommes / de sagesse et de bonté » (p. 104), Bénard vise à ‘bâtir’ un « temple où les déclinations / Du Verbe Amour prendraient / Soudain toutes leurs nuances » (p. 109). Cela afin d’« ériger une maison / à mesure d’homme » (p. 112) et de fuir « les temples / destinés aux mensonges » (p. 112).
Riche en adjectifs, couleurs, souvenirs, émotions et joies enfantines, la poésie de Bénard relève d’une âme très sensible capable de saisir à la fois ce qui demeure et ce qui fuit. Artiste extraordinaire, il donne à voir et à écouter ce dont il est question dans ses poèmes, car sa poésie est une vibration de l’âme. De par son talent inné relevant de sa veine artistique, Bénard parvient à rendre concrètes les images sous-tendues à ses vers et à créer un va-et-vient continuel entre Poésie et Peinture :
 
Lorsque du bout des doigts
Je donne naissance à tes sourires,
Et te contemple de chair et d’âme,
Avec cette étincelle que portent
Au fond des yeux les enfants de l’amour,
Au cœur de nos hiéroglyphiques errances,
Je maroufle ton image égyptienne
Sur l’opacité nocturne,
Je veille sur ton sommeil
Estompant les ombres
Qui te drapent pour y incruster
Quelques arches de lumière,
Enluminant ton corps de clairs-obscurs.
Scribe d’icônes,
De la pointe de mon calame,
Je te calligraphie
Le premier poème du jour. (p. 22)
 
En considérant le poète comme un « enfant de l’imaginaire » (p. 17) et comme un « semeur de mots qui rêve à la récolte de la beauté et de l’amour éternel » (p. 17), dans ses vers, il navigue entre étonnement et innocence et pratique un cheminement intérieur pour entrer en communion avec l’Autre. Dans le sillon d’Arthur Rimbaud et de son bateau ivre (p. 19), il parcourt des espaces de silence, il côtoie l’indicible et offre ses voyelles afin qu’elles puissent constituer de « nouvelles symphonies » (p. 19).
L’art pour Bénard est un souffle expressif libérateur, un geste créateur spontané, une respiration salvatrice qui transmet harmonie et équilibre via l’universel. Pour lui, le fait d’écrire des poèmes est non seulement une passion mais surtout un besoin. Il écrit ses poèmes en tout lieu où il se trouve et les envoie par mél à ses amis pour le plaisir du partage. D’ailleurs pour lui la poésie et l’Art en général relèvent de l’échange : ils sont le langage de la musique intérieure qui émerge des couches les plus intimes du moi pour établir un contact avec l’Autre, afin, au moins, de lui communiquer un petit quelque chose qui n’est pas rien.
Peintre, critique d’art, poète de renommée internationale récompensé par de nombreux prix, lauréat de l’Académie française et Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres, Bénard conduit par ses œuvres dans les espaces profonds de l’âme : dans les terres du rêve, de l’imagination, de la réflexion, de l’espoir et de l’amour. Ses mots et ses couleurs si chaudes, si brillantes et si lumineuses transportent ailleurs : vers un ailleurs gisant presque toujours dans les cavités du moi.
Convaincu que l’Art donne à l’homme l’accès à sa métamorphose, il se déplace de sa dimension contingente embarqué au fil de la parole et de la couleur (première parmi toutes : la couleur bleue) ; et, en accédant à une élévation de l’âme atemporelle et transpersonnelle, il vit l’enchantement de l’Art… et il invite à rechercher ce lien avec l’universel : autrement dit, à (re)prendre goût à la vie et à la vivre avec une pétillante joie enfantine.
 
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