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15 septembre 2023 5 15 /09 /septembre /2023 12:47

Le miracle de la poésie

 

 

Après Le chant de la mer à l’ombre du héron cendré(2021) et Ensoleillements au cœur du silence (2022), Sonia Elvireanu présente aux lecteurs francophones et italophones un troisième recueil Le regard... un lever de soleil.

Dans l’introduction au premier ouvrage, nous avions noté que« le poète, profond connaisseur et traducteur assidu de la littérature française, reprend l’un des éléments fondamentaux de la grande poésie, celui qu’Italo Calvino, dans Lezioni americane, appelle la “légèreté”, emblématisée dans les représentations de l’ombre, des rayons, de l’écoulement du temps, réalités évanescentes, mais non moins réelles, moins présentes et moins authentiques...  ». « Dans le texte, en effet, on trouve le chant des oiseaux, le paysage marin, l’ombre et la couleur, qui brodent une “répercussion” réciproque (“les lueurs de l’herbe verte”) dans une métamorphose qui, comme un écho, se prolonge dans tout le recueil ».

Dans le second, nous avons indiqué le titre même Ensoleillements au cœur du silence comme clé d’interprétation : « le premier terme réitère la vocation de l’écrivain à procéder par “illuminations” ou “fulgurations”, moments de grâce où la vision poétique s’arrête sur le papier, sans l’obligation de trouver des liens, des conséquences, des cohérences, des développements entre eux. Mais c’est la vie, une vie qui se déroule de manière désordonnée et contradictoire ; c’est notre manière de nous rapporter à la réalité, une manière qui est toujours exposée à une quantité de mouvements intérieurs dans lesquels le présent, le passé et le futur s’unissent et se discordent, dans lesquels les souvenirs et les espoirs se ravivent dans la dimension consciente et inconsciente et créent ce magma qu’aucun type d’analyse ne parvient à rationaliser complètement ».

Dans cette troisième œuvre, les éléments indiqués prennent une forme définitive : la musicalité devient plus “pierreuse”, mais reste, tandis que la représentation de la réalité utilise des formes métaphoriques dans lesquelles Elvireanu rassemble des suggestions particulières, souvent synesthésiques (Matin vert), parfois oxymoriques (La langue du silence ; Le silence scintille sur les rivages), déterminées par des perceptions telles que la lumière, le silence, le chuchotement, la mer, les couleurs, le vent, la vague, la pluie, le mot, l’arbre, la saison, les moments du jour, la nuit, l’infini, les nuances...

Elle-même nous présente ses compositions comme les coups de pinceau d’un peintre cherchant à capter le devenir du temps à travers la perception changeante des couleurs, la fluctuation de l’atmosphère, la montée et la descente des sons, l’explosion de la vie de la nature. Nous sommes face à un véritable tableau, comme le souligne expressément le poète, qui établit des parallèles précis entre l’art de la représentation et celui de la parole.

L’inspiration globale est l’explosion de la vie dans toutes ses manifestations les plus fascinantes : c’est un hymne à la beauté, à la joie, à la sérénité ; c’est une invitation à purifier notre regard pour ne pas manquer l’occasion de jouir de ce qui nous est offert. La lumière règne en maître, parce qu’elle est la source de la couleur, des relations de la nature, elle est l’instrument de la perception de l’infini... oui, parce que, au-delà de la couverture du brouillard des sens, il y a une réalité “autre”, qui dépasse les merveilleuses limites des sens, dont ce que  nous voyons n’est qu’une pâle image. Saint Paul dit dans son épître aux Corinthiens : « Videmus nunc per speculum et in aenigmate, tunc autem facie ad faciem» (Dans ce monde, nous voyons la réalité comme reflétée dans un miroir et sous forme d’énigmes ; dans l’au-delà, nous la verrons directement).

Le poète a donc pour tâche de retrouver les reflets et les énigmes et de les présenter à l’humanité afin qu’elle ne s’égare pas face aux épreuves de l’existence. Et une tâche particulière est confiée à la parole poétique, prononcée par celui qui sait saisir en profondeur les secrets de la nature, du temps et de l’espace.

En effet, selon Martin Heidegger, « les poètes sont les mortels qui [...] suivent les traces des dieux échappés, restent sur ces traces et tracent ainsi la direction du tournant pour leurs frères mortels [...]. L’absence de Dieu signifie qu’il n’y a plus de Dieu qui rassemble visiblement les hommes et les choses en lui-même, ordonnant dans ce rassemblement l’histoire universelle et le séjour des hommes dans cette histoire. Mais dans l’absence de Dieu se manifeste quelque chose d’encore plus grave. Non seulement les Dieux et les Dieux ont fui, mais la splendeur de Dieu dans l’histoire universelle s’est éteinte. Le temps de la nuit du monde est le temps de la pauvreté, parce qu’il devient de plus en plus pauvre. Il est déjà devenu si pauvre qu’il ne peut pas reconnaître le manque de Dieu comme un manque. [...] Mais le tournant ne s’accomplit de la part des mortels que s’ils redécouvrent leur propre essence. [...] Le mortel qui doit atteindre l’abîme le premier et à la différence des autres, découvre les signes que l’abîme porte en lui. Ces signes sont, pour le poète, les traces des dieux échappés. [...] Mais qui pourra retrouver cette trace ?Les traces sont souvent peu visibles et sont toujours l’héritage d’une indication à peine présentable. Être poète au temps de la pauvreté, c’est chanter, s’inspirer de la trace des dieux échappés ».

Et Sonia Elvireanu les retrouve lors d’un voyage dans la Grèce classique :

 

Je reviens à l’histoire,

le soleil du lieu où les dieux

ont ensemencé le rivage,

 

sur le sentier bordé de lauriers en fleur

et de figuiers, dans le col d’une montagne,

entre des immensités,

 

sur le fil bleu de l’horizon,

l’ange,

La MerEgée et le ciel.

 

On ne peut ignorer le sentiment que le poète, ayant retrouvé les traces, a aussi redécouvert la splendeur de l’Absolu, a surmonté le temps de la pauvreté, a découvert “les signes que l’abîme porte en lui”.

En outre, le présent recueil, dans sa variété thématique, doit être lu comme une interprétation d’une partition musicale, rappelant les premier et deuxième mouvements de la 6e symphonie de Beethoven, intitulés "Arrivée à la campagne" et "Scène au bord du ruisseau". Dans le texte d’Elvireanu, on trouve non seulement la mer, le silence, la nuit, mais aussi le vol des oiseaux, le langage de la nature et des êtres animés, la paix et la sérénité qui réconcilient l’être humain avec lui-même, avec les autres et avec la réalité.

Un souhait ? Une réalité ? Un tournant ?

Seule la postérité connaîtra la réponse exacte. Ce qui nous importe, c’est de mettre en lumière le “miracle de la poésie” qui, à l’ère de la technocratie, de la critique radicale de l’anthropocentrisme anti-humain, de la crise de la subjectivité, de la perte d’importance de la réalité, manipulée par la communication, semble être détruite par la dictature de l’économie et du spectacle, et semble avoir perdu sa vocation d’être le chant de l’être humain dans son intégralité.

 

Giuliano Ladolfi

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