5 mai 2018
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Contrepoints, vol.III : Poètes citoyens
de Louis Delorme et Jeanne Champel Grenier
Editions France Libris, 2018
Et si, dans le cycle infernal que nous avons engendré, les arbres se mettaient à cracher de la fumée ? Comme ça, par je ne sais quelle tendance, quelle mondialisation, quel profit. Question de mode, pour épouser un noir/blanc ambiant, un non-figuratif omniscient, pour faire "chic", bobo, par déférence à un amour d'Hiroshima ?
Juste pour tatouer notre future ex-planète bleue, afin d'effacer le vert pomme un peu vieux jeu de ses vergers, les camaïeux de ses frondaisons, ses arcs-en-ciel démodés. Oui, une fumée de tous les diables, âcre, bien toxique, qui vous prend aux tripes, nourrie par Lucifer en personne, à Seveso, Bhopal ou ailleurs.
Ah, respirer à plein poumons du soufre saupoudré de nanoparticules, de l'isocyanate de méthyle ou un bol de charmante dioxine ! Au lointain, dans ce tableau réjouissant qu'affectionne notre amie Lilith, une main, un bras, un seul : qui fait coucou, saluant la révolution grise. Ou qui crève : pas grave, l'humanité s'est éteinte. Et vive la modernité !
Voilà quelques lignes jetées en son temps devant la gravure néo-expressionniste de Louis Delorme (ci-après). Détail croustillant, ce tableau date de 1971 et prend sans doute, de nos jours, un sens prophétique.
Une fonction du poète n'est-elle citoyenne ? Celle d'un lanceur d'alerte devant l'incurie de nos civilisations qui, parées de leurs technologies, ont déjà généré tant de désolations. L'artiste, en un saisissant raccourci, s'empare de ferraille et d'un tuyau pour symboliser Le retour du soldat. Capitale de la douleur d'un Eluard ou Machines de Tinguely ? De son côté, Jeanne Champel Grenier évoque les déchirements sanglants de Verdun et la fatale solitude de l'Otage. Par ailleurs, le Cycle infernal de Louis nous ramène à Bosch, tandis que sa Clef fait mine, à la Dali, d'ouvrir ou de fermer une porte brisée.
En contraste, l'on perçoit, au-delà de ces figurations, (comme le disait Armand Niquille qui, lui aussi, a peint la guerre de manière crue), au-delà de ces mots cabossés... l'existence renaissante :
Capter les petits riens du tout
Les bouts vivants qui font un tout. (Jeanne)
Car, poursuit-elle, nous sommes noirs de vie, en nous grouille le monde.
Son pinceau, tantôt couleur aquarelle, tantôt chargé de soleil et d'épaisseur humaine, trace une route d'espérance pour son concitoyen mais s'inspire également de ces peuples autres symbolisés par Des poupées de chiffon aux laines bariolées / Qui nous donnent le ton et le goût de lutter (Le grand Pamir)
Grammaire nouvelle, ici, ailleurs ou au mitan de forêts amazo-miennes, syntaxe amoureuse de l'aube, mots tendres : nos vies ne devraient-elles être huîtres perlières ?
Qui ne doutent jamais de rien
Et se donnent un mal de chien
À transformer les sablières
En perles de nacre princière
Jeanne, avec sa verve, la brillance de sa touche picturale et des étoiles chevillées au cœur, irradie d'optimisme.
En miroir, le regard acidulé de Louis dans un dernier autoportrait: fenêtre ouverte, personnage contemplatif, sablier, manuscrit, palette. Tout un monde résumé, son monde encore en jachère... Il y a peu d'écart entre nos partitions, résume-t-il. Alors que son Bouquet fantastique semble être imprégné par les teintes chaleureuses de Jeanne.
CONTREPOINTS : écriture polyphonique. Langage musical. Superpositions de lignes mélodiques, chuchote le dictionnaire. Sur ces portées de vie, dans ce triptyque brossé à quatre mains, vibrent sans cesse l'œil acéré de Jeanne Champel Grenier et celui de Louis Delorme. Qui font appel à tous les poètes et artistes citoyens mais aussi à tout être porteur d'espoir et de lumière.
©Claude Luezior
Extrait de la préface du vol. III de Contrepoints