Sur le front aimé, tourmenté
De ridules multiples,
Du sceau de l’espièglerie marqué,
Où hier encore ma main se voulant
Caresse apaisante
Glissait avec tendresse et respect
Mes lèvres n’ont rencontré que
Le froid glacé de l’éternité
Et la sérénité enfin retrouvée.
Les voiles de la nuit, doucement
Se sont posés sur les paupières closes.
Définitivement.
un dimanche étrange de juin
se pose sur mon âme tel une brume
on dirait que le soleil est en agonie
une fumée opaque traîne parmi les corps et les sentiments
telle un malaise éternel
l’oiseau marche sur la ligne de l’horizon
comme sur un barbelé trop tendu
son saut fouette l’air en plis âpres
tel le silence qui roule
dessous, un cœur en pourpre
est blessé par son cri
Incendiés,
Les miroirs peuplés ne sont plus des refuges et fléchissent sous les visages.
Incendiés,
Les miroirs moqueurs volent plus qu’ils ne donnent et ternissent sous l’inassouvi.
Incendiés,
Les miroirs bavards content jusqu’à l’oubli et s’aveuglent sous l’attente.
Dans les regards absents,
Aux corps défiant,
L’incendie.
Il pleut.
Le matin a des larmes,
Des larmes comme un vin ;
Une pluie de corps incendié.
Il pleut à ma peau où le matin crépite d’un sanglot.
L’averse lave,
L’averse emporte,
Jusqu’au souvenir du matin.
C’est un véritable manifeste pour la beauté et la tolérance que nous offre Jeanne Champel Grenier avec Racines vagabondes.
Le recueil s’ouvre sur ces mots d’une grande poétesse chez qui le thème de l’exil est tout aussi majeur : Andrée Chédid.
« La poésie nous pousse à ruiner nos citadelles, à détruire l’enclos, à reconnaître que nous vivons d’un même cœur, mourrons d’une mort semblable.
Cette mort plus affranchie que nous qui sait que nous sommes fils d’un même exil. »
Et nous suivons Jeanne Champel Grenier dans chacun des lieux qui ont fait d’elle ce qu’elle est. Une femme dont la générosité sait si bien habiter le mot et la vie dans ce qu’elle a de plus charnel et pour qui la fraternité serait le nom d’une fleur des champs.
C’est l’Ardèche que la poétesse célèbre tout d’abord, son pays de cœur, son lieu de vie :
« Je suis de ce pays entre Rhône et Ardèche qui accueille l’Ailleurs et qui tatoue la France sur la peau et le cœur de l’humble voyageur » p8.
Les pages 9, 10 et 11 nous plongent, comme un instant suspendu dans la vie quotidienne de nos ancêtres de la grotte Chauvet. Des scènes de vie tout à fait splendides s’y succèdent :
« Les enfants barbouillés de myrtilles et de lait étaient allongés sous les fourrures et les peaux nouvelles. Au sein de cette odeur rassurante et familière de graisse rance, de miel sauvage et de lait caillé, ils dormaient. »
Il y a de Colette chez Jeanne Champel Grenier. (Elle est pour moi l’éternelle joie de vivre pieds nus dans les violettes.) Elle en a en commun l’amour et la parfaite connaissance de la nature qui l’entoure mais cette sororité se poursuit jusque dans les figures tutélaires, des femmes presque toujours qui hantent –mais devrais-je sans doute dire qui illuminent sa poésie.
Sa mère d’abord, « émigrée sans tambour ni trompettes du pays catalan » dont elle a hérité du sens de la danse
Puis sa grand-mère avec laquelle nous allons au bois, « Nem el bosc », celle qui est :
« Partout et nulle part
Debout au four et au moulin »
Et nous dénouons avec Jeanne les racines vagabondes, les racines familiales qui nous mènent en Espagne majoritairement. Partout y résonnent le timbre et l’ambiance :
« Un écrasant soleil de sang
Pèse de tout son poids de feu
Sur les grenades éclatées
Il faut à tâtons chercher l’ombre
Comme un aveugle sa pitance »
(Souvenirs de Burgos, p54)
Ou encore :
« Seul dans un corps en feu
Danse un cœur Carmen
Et son éventail qui vibre
Au filigrane orgueilleux
Du dangereux équilibre
Entre olé et Amen »
(Chaleur hispanique. P50)
Y plane aussi la lumière de chers amis disparus, magnifiques déracinés eux aussi, dont un magnifique hommage à l’ami poète Miloud Keddar, « L’ami de l’infini, poète migrant, homme du désert touareg venu à pied en France en contournant la méditerranée » p81.
Et de nomades magnifiques, gitans, manouches, roms dont les beaux portraits tissent le beau et puissant réseau de l’humanité.
A noter que le recueil est illustré de six portraits peints par notre poétesse qui a reçu nombreux talents en héritage. C’est cela avoir un pays.
La poésie de Jeanne Champel Grenier est lumineuse, toujours animée de sentiments nobles et de lucidité. Elle est sourire et bienveillance posés sur le monde.
Refermant ce merveilleux recueil, j’ai eu envie de danser, me sentant de nulle part et de partout à la fois ;
J'ai mal,
Mal d'avoir grandi,
D'avoir trop bien compris.
Mal d'avoir perdu l'innocence,
Qui rythmait mon bon sens.
Mal d'avoir laissé s'envoler l'enfance,
Qui virevoltait en toute confiance.
J'ai mal d'avoir à me soucier,
Mal d'avoir à m'inquiéter,
Pour des actes faits,
Pour des choix que j'ai ratés.
J'ai mal d'avoir à souffrir,
Pour ce que je ne peux plus offrir.
Comme j'ai mal !!
J’ai mal de réaliser que mes rêves ne sont que des rêves,
Et que mes péripéties ne verront jamais de trêves.
Le titre original du dernier recueil de Luezior intrigue, interroge : les heures seraient-elles des fleurs aux invisibles crocs pour aiguiser les songes ?
Nous sommes esquifs, passagers clandestins, des lignes de l’auteur dont nous partageons les marées dans le troublant flou de ses branches ramifiées. Fatalement nous sommes amenés à nous poser ses questions : suis-je moi-même gibier/ ou acteur insensé/ d’une fureur de vivre ?
Luezior, de cette écriture rare, précise qui fait de lui l’un des meilleurs poètes actuels, est semeur d’arcs en ciel pour aller loin dans l’énigme d’enclos mystérieux, dans un mal sacré, transe/ d’une folie petite/ qui ameute mes frusques, il sait donner aux mots la lumière d’un regard dans l’intimité de l’inaccessible en réveillant les campanules de ses heures endormies.
Il démêle les secondes et les minutes sans se priver « de tempêter/ contre le temps qui passe, il cherche les mots qui illuminent, peut-être pour se plonger dans une alchimie d’où s’évaporent/ effluves/ et fumets/ velléités/nourricières, tout en sachant que l’imaginaire n‘est qu’une île lointaine sans possibilité d’accoster et que nous ne sommes que les alpinistes du manque, c’est pourquoi dans le bivouac du désir émerge la fine morsure du devenir rappelle-toi/ ce matin-là, pourtant/ les écailles de l’abondance/ étaient nées dans l’eau vive / où scintillait la source.
Chez Luezior les avenues de songes, d’espoir, de doute sont lovés entre les pavements de l’aube où l’on passe de jacasseries/ vomissantes /obésité du mot/ et veules railleries/sans pudeur/ ni décence alors que sur la plage qui frisonne, / une torpeur d’anges/coud ses écumes fines.
Peut-être dans la plissure des rêves, au déclin du jour, en démêlant les heures, le présent se manifeste, l’âme déploie ses feuillets, palpe l’air, frémit et la soif a fait place/ à l’envoûtement / de foins prodigues / et de ferments/ se concentre/ l’ivresse des retrouvailles. C’est alors que, par temps de pleine lune, Luezior, envoie les freux et tous les oiseaux de la nuit sous nos pieds, combat de la couleur/ dans la grisaille, juste pour se gorger d’effervescences / vives.
Les heures sont réaccordées, il est temps de déchiffrer un sourire/ l’encens d’une chevelure/ et le soleil de tes prunelle/ respirer nos convergences/ quand se déclinent/ les chuchotements aimés.
Avec ou sans heures, dans des nuits sans balise, où s’offrent les Dames Blanches sur d’orgiaques autels, il fait trembler Lucifer et agenouiller les licornes, Luezior cisaille avec humour les interdits, convoque l’insolence/ pour survivre dans le sillon fertile de l’imaginaire, ainsi il sait nous donner des éclats de lumière pour écrire sur les zébrures des orages quand se rebiffe nos chaînes.
Nous ne saurions clore cette recension sans souligner le texte poétique de la quatrième de couverture rédigé par Alain Breton, ainsi que la toile étincelante du peintre Diana Rachmuth illustrant la première de couverture du Démêloir des heures.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...