Lourd d’orages et de baies de sorbier, cet été m’a encore révélé bien des secrets glanés sur les sentiers du Haut Livradois.
Un vent chaud au parfum d’airelle tourne les pages d’un livre de belle reliure.
Au premier signet, une colonie de digitales offre sa révérence, pourpre balancier sur la toison rase des croupes mordorées.
Il faut y voir un séduisant appel à gravir les sentes odorantes et gagner les Hautes Chaumes du Forez pour y cueillir la splendeur du rien qu’élabore le ciseau du vent.
Au deuxième signet, la roche exsude dans un élan d’allégresse.
C’est l’heure de boire jusqu’à l’ivresse ce vaste horizon où rudesse et douceur se conjuguent.
Le troisième signet ouvre un ciel caravanier qui foule les grands espaces, engendre floraison, fenaison et moisson.
En écho des clarines, les scabieuses dansent, parées de leurs auréoles bleues.
Sur cette terre de lave assoupie s’enfuient les ombres et reviennent de grands pans de lumière :
Terre de feu
Vent qui feule
Sources murmurantes
Joie d’aimer.
Le balancier de l’été éveille notre sensibilité en nous rappelant qu’il faut étudier les grands anciens et être à l’écoute de la nature : deux piliers à suivre sans rigorisme ni puritanisme.
Le jour se lève à Roche Savine.
L’étoffe subtile d’un bleu habille de fraîcheur l’ubac.
L’eau agile d’une cascade danse avec les reines des près, blancs toupets odorants bourdonnant d’abeilles.
Le chemin blond fleuri de digitales décline les couleurs du Haut Livradois.
L’Auvergne tisse les fils bleutés d’un conte tandis que les feux hurlent et dévorent les cinq continents.
A trois heures d’ici, la Grèce est la proie des flammes.
La sainte montagne d’Athos n’y peut rien. En vain les flots murmures des prières. Inutiles incantations.
L’Acropole d’Athènes s’envole dans un nuage de cendres. Phidias et Périclès pleurent.
Prométhée a de nouveau dérobé le feu. Athéna revient.
Heureusement, le portique des Caryatides demeure vivant dans la lumière sacrée de l’Erechthéion.
L’Ether lumineux qui baignait le sommet de l’Olympe vient aujourd’hui incendier le char de l’aurige.
Mais que sont devenus les chants d’allégresse du peuple des Hellènes, la plume des poètes guidés par la voix des Muses ?
Pourquoi brûler la lyre d’Orphée ?
Le Sphinx ailé gardien de l’Oracle va-t-il triompher des torches de titans aveugles ?
Vague après vague, j’entends chanter Sappho qui, sur son île de Lesbos, continue à servir la beauté.
Qu’arrive l’éternelle eau nourricière pour fleurir les prairies d’asphodèles.
Gageons que demain la plénitude habitera le cœur des hommes pour que l’horizon devienne l’éminence où l’on ignorera l’indifférence, la violence et la haine.
De retour au village de Roche Savine, je mesure la densité de la Terre Mère, la source fécondante des saisons servie par les forces puissantes de la nature.
Trois jeunes crécerelles plongent vers l’étang des Escures.
Le soir descend, j’écoute le ruissellement du temps.
Les grappes odorantes d’une blanche glycine ornent la façade cossue rue Raynouard.
La porte est entrouverte.
Précédé d’une élégante aux gants corail et ombrelle au manche d’ivoire, j’entre dans la cour ensoleillée.
Cette demeure est sertie dans un écrin de verdure où chaque feuille devient satin.
Nappes brodées et vin blanc carafé attendent les dames de la colline de Passy en ce jour de vernissage.
L’ampleur arrogante d’un chapeau fleuri, l’audace d’un regard fouetté de mascara donnent le ton.
Dans un frisson d’impatience, quelques mèches rousses, légères et folles, s’enroulent sur l’exquise distorsion d’une nuque.
La beauté exalte et délivre dans ce décor suranné.
Pour l’occasion, le bow-window sert d’écrin à deux chevalets : à gauche, une muse dont l’audacieuse tendresse à la commissure des lèvres invite à suivre son désir ; à droite, une amazone pétrie de grâce orientale.
Sous la verrière, bouffie de suffisance, une prétentieuse obèse transpire sous ses dentelles tandis qu’une coquette avec ses rangs de perles semble s’étourdir dans ce vertige d’apparences.
Un peu à l’écart de ce jeu de dupes, deux peintres devisent sur « Caresser et Mordre », deux mots calligraphiés sur l’en-tête de l’invitation, deux mots clef, sésame promis pour cette après-midi :
Le premier, grand, mince, rouquin aux mains meurtries par les huiles et les pigments, toujours guidé par son refus d’allégeance, décrit le bleu dont il a habillé le Pont Mirabeau.
Le second, petit et râblé, cadogan rouge retenant une longue chevelure noire de jais, évoque sa quête de la couleur jaune, éclair qui éveille, lumière qui poudroie.
Une clochette tintinnabule plusieurs fois pour annoncer Tania, poétesse slave, égérie d’un Cercle lettré des bords de Seine.
Avec talent, elle déclame la magie de L’oiseau de feu, immortalisé par le faune, éternelle étoile androgyne.
Aux quatre coins du salon, les parfums enivrent comme la valse des roses de Chiraz, tandis que, ignorant un solitaire brillant de mille feux, s’échappe un sonnet de Musset.
Les regards caressants fusent de tous côtés.
D’un quatrain à un tercet, le désir ne s’éteint jamais.
Accompagnant ce besoin de beauté, le soleil descend.
Tout devient lilas, souffle de joie.
L’infini affleure ; rimes, lignes et couleurs brodent l’heure bleue.
Historiquement, les premiers vins mousseux furent obtenus par une méthode ancestrale encore pratiquée par quelques producteurs dans les régions de Die, Limoux et Gaillac.
Cette méthode consiste à mettre le vin en bouteille en cours de fermentation, avant que la totalité du sucre ne soit transformé en alcool.
Toute fermentation produit du gaz carbonique dont les bulles remontent à l’air libre.
Emprisonné, ce gaz provoque l’effervescence du vin.
Le mythe du champagne ne prend son envol qu’avec la maîtrise de l’effervescence.
Voici que sort d’une galerie crayeuse dom Pierre Pérignon…
Non, dom Pierre Pérignon (1639-1715) n’a pas inventé le Champagne.
Mais il a veillé sur son berceau et, grâce à son travail acharné, ses dons d’observation, sa sagacité et son inventivité technique, il a tracé le chemin qui allait faire de ce vin un phénomène unique au monde.
Arrivé en 1668 à Hautvillers, sa charge de « procureur » consistait à gérer les biens matériels de l’abbaye bénédictine et, notamment, ses vignobles qui constituaient sa principale richesse.
Dom Pierre Pérignon n’avait rien de la caricature du moine paillard, buveur et gros mangeur. Bien au contraire, il se pliait aux règles ascétiques de la congrégation de Saint-Vanne à laquelle appartenait son abbaye.
Alors me direz vous… secret ou talent ?
Voici les principaux apports de dom Pérignon à l’élaboration du Champagne :
- le choix du pinot noir à très petits grains pour faire un vin blanc
- l’exclusion du moindre grain de raisin blanc
- l’assemblage de raisins de différentes parcelles
- l’interdiction du foulage au profit du pressage
- l’extraction du meilleur jus en séparant cuvées et tailles
Ces choix techniques avaient pour but de faire des vins de grande qualité.
Les vins tranquilles de l’abbaye étaient tenus en haute réputation et constituaient l’essentiel de sa production.
D’autres principes adoptés par dom Pérignon allaient permettre au vin mousseux de se développer, notamment, par une meilleure qualité du verre pour les bouteilles, leur conservation en caves et non en celliers et l’utilisation du bouchon de liège.
Contrairement à ce que l’on peut lire parfois, dom Pérignon n’a inventé ni la bouteille, ni la flûte à Champagne, ni le bouchon !
Il avait bien assez à faire le bougre !
Né la même année que Louis XIV, il s’éteignit quelques jours après lui, le 24 septembre 1715. Il fut enterré dans le cœur de l’église de l’abbaye de Hautvillers, aux côtés de dom Thierry Ruinart, théologien dont le neveu, Nicolas Ruinart, ouvrit la première maison de Champagne en 1729.
Amateurs de bulles, voici une belle adresse : BOLLINGER, un grand cru né au village de AY.
Ces messieurs d’ORIGINES* ont visé juste. Courez y vite !
Un moment inoubliable ; vous entrerez, à votre tour, au siècle des Lumières en partageant le déjeuner de chasse immortalisé par Jean-François de Troy, et votre nuit sera toute étoilée des « Fêtes galantes » de Watteau.
SOURCES :
Ne manquez pas la lecture du roman de Michèle Barrière « Les Soupers assassins du Régent ».
Ce roman est suivi d’un carnet de recettes d’époque.
La crème pâtissière ainsi que la crème brûlée de François Massialot sont des délices aussi savoureux qu’un coucher de soleil sur la baie de Naples.
Visage sillonné du chant des goélands
Regard couleur ardoise où se creuse la vague
Œil turquin du grand large où chavirent les naïades
Furibonde colère des vents lointains
Homme aux semelles de vent
Désormais ton chant habite l’azur.
L’initiation du regard est la véritable mission de l’histoire de l’art.
Se gardant toujours d’ignorer l’histoire, l’art reflète le génie du créateur .
L’art nous invite à porter notre regard sur une œuvre pour y découvrir la part intime blottie en chacun de nous.
Voici qu’en ce printemps 2023 jaillit de l’ombre la lumière rouge d’un peintre italien, mort à trente-sept ans, après une existence tumultueuse.
Le noir est la non - couleur, absente de la gamme harmonique.
Plus encore, pour qu’il vive, qu’il sorte de sa boîte noire, il lui faut une source : la lumière de la couleur.
Commençons par un des derniers tableaux peints où l’artiste exprime de la plus saisissante façon son sentiment de culpabilité et de désarroi.
David, jeune berger israélite abat le géant Goliath, chef des Philistins, avant de lui trancher la tête pour l’offrir au roi Saül.
C’est la victoire du bien sur le mal, du Christ sur Satan.
Grâce aux effets contrastés de lumière et d’ombre, le peintre crée une atmosphère dramatique.
Ne voyez vous pas le peintre dans le visage du sacrifié ?
L’orgueil est vaincu par l’humilité surexposée à la lumière.
Décapitation, supplice ; la nuit est plus forte que le jour.
Les œuvres de ce peintre de génie, souvent refusées par leurs commanditaires, provoquèrent indignation tel ce jeune Bacchus (autoportrait), à peine sorti de l’adolescence offrant une coupe à chaque visiteur.
Les joues enflammées par le vin, ce jeune puceau montre l’élasticité de ses muscles, prêt à toutes les folies.
Cette jeunesse embrasée, fleurie de pampres, peut elle faire meilleur cadeau aux hommes et aux femmes amoureux de la vigne et du vin ?
Ignorant la grâce et l’élégance, rompant avec l’imagerie religieuse traditionnelle, l’artiste insoumis peint un tableau grandeur nature : La mort de la Vierge.
Son modèle serait inspiré d’une prostituée morte sur le trottoir, montrant ainsi la Vierge avec peu de dignité, et non la divine Mère de Dieu.
Posant problème aux autorités religieuses, cette œuvre fut rejetée, puis achetée par Rubens pour le compte du duc de Mantoue.
Ce tableau est un chef-d’œuvre. Son réalisme atteint des sommets rarement dépassés dans l’histoire de la peinture.
Sous l’ample tenture rouge, les apôtres veillent, regroupés à gauche du lit pour mieux mettre en évidence la Vierge habillée de rouge sur son lit de mort.
Les lueurs surgies de zones d’ombre renforcent la vérité pathétique de la scène.
Ombre et lumière ont permis au Caravage d’introduire l’humain dans la sphère du sacré.
Le peintre a magnifié l’humanité des humbles.
SOURCES :
CARAVAGE (Michelangelo MERISI, dit le)
Caravaggio, 1573
Porto Ercole, 1610
Le Caravage a allumé une des grandes révolutions qu’ait connues l’histoire de la peinture.
David avec la tête de Goliath
1610, huile sur toile, 125 X 101 cm
Rome, Galerie Borghèse
Bacchus
1597, huile sur toile, 95 x 85 cm
Florence, Galerie des Offices
La mort de la Vierge
1601-1603, huile sur toile, 369 X 245 cm
Paris, musée du Louvre
Du salon monte l’adagio pour cordes de Tomaso Albinoni.
Les arabesques ensoleillées de cette matinée jouent sur un papier bouffant ivoire.
Assis à sa table à dessin, le poète s’applique à calligraphier l’esperluette tandis qu’une muse prépare les couleurs pour illustrer sa page d’écriture.
Appelée aussi vingt-septième lettre de l’alphabet, l’esperluette est ce signe typographique résultant de la ligature des lettres de la conjonction de coordination « et » ; il possède la même signification.
Autrement dit, l’esperluette est ce clin d’œil, ce signe élégant, vif et malicieux reliant deux noms, deux mots.
C’est une note espiègle pour un jongleur de mots.
L’aventure de l’écriture est un passionnant voyage à travers l’humanité.
L’homo sapiens écrit et lit depuis seulement 6000 ans.
Nous le savons bien, tout ce qui n’est pas écrit disparaît.
L’écriture est sans doute née 3300 ans avant notre ère sur des tablettes sumériennes à Uruk en basse Mésopotamie.
Que de chemin parcouru avec, aujourd’hui, les 26 lettres de l’alphabet sur l’écran d’un smartphone.
Si l’Internet a des avantages indiscutables, quelle spectaculaire régression avec celui qui aligne ses rébarbatives adresses et leurs forêts de lettres et de signes, sans accents ni majuscules.
C’est une injure faite aux trois grammairiens réputés, responsables successifs de la grande bibliothèque d’Alexandrie : Zénodote, Aristophane de Byzance et Aristarque de Samothrace.
Plutôt que de se contenter d’un langage codé à toute vitesse sur les réseaux sociaux, il est salutaire de rendre hommage à la langue de Molière, au fringant Jean-Baptiste Poquelin dans son habit de lumières.
Ne nous laissons pas gouverner par la parlure des « blog », des « tweet » et autres rebuts sans forme ni saveur qui s’effacent tels les mirages sur les sables du désert.
Il faut encourager les puristes pour la beauté de notre langue, source jaillissante, sève aux multiples vertus.
C’est notre force, notre liberté, notre identité.
Campée sur le bureau luisant d’encaustique, une chatte au profil de pharaonne semble n’obéir à personne, seulement au sourire de la muse.
C’est la poésie qui mène la danse !
La page d’écriture terminée, plumes, pinceaux et couleurs se donnent la main pour orner la marge d’un rinceau végétal.
Le poète se lève et prend la main de sa muse avec la promesse de lui offrir les pommes du jardin des Hespérides.
La journée devient ce chemin qui monte par l’adret où le satin froissé des coquelicots brode la houle d’un champ de blé.
Le soleil danse sur les collines quand vient à chanter une fauvette. La caresse de son chant fait éclore les premiers perce-neige.
Oui, bien sûr, vous l’avez certainement constaté ce désir, cet élan qui monte chaque jour.
Tout devient possible. L’inspiration jaillit.
Ma plume calligraphie voyelles et consonnes sur un cahier d’écolier. Tour à tour s’installent une lueur, une sonorité.
Voici le A, arc-en-ciel sur l’amandier qui donne le bras au Z : l’alpha et l’oméga, clef de l’univers et des douze constellations.
Le temps d’une chanson et vient le S avec sa touche de lumière, bleu tel un saphir.
Prose, vers, rime, assonance, il faut trouver son mètre en syllabe et octosyllabe, jouer habilement des césures et élisions.
Mais comment arriver à une concision chatoyante ?
Simple, me direz vous si l’on suit Paul Claudel qui a écrit dans Cent phrases pour éventail :
« Il faut qu’il y ait dans le poème un nombre tel qu’il empêche de compter. »
Sans cesse, il faut plonger sa plume dans l’encrier de la ferveur, s’émerveiller de l’aléatoire, s’éloigner de la vérité pratique et chercher partout où la raison n’a que faire.
Et si l’encre sèche parfois, c’est pour mieux respirer ce bleu qui vient de naître au jardin d’herbes folles. Là, l’œil intérieur aux aguets, il suffit d’attendre la main d’Orphée pour rejoindre le cœur d’une rose sauvage où s’épanouit le sourire d’une muse.
Il faut des heures de réflexions, d’observations, d’émotions pour que, soudain, en une poignée de secondes, vienne une métaphore aux vives couleurs.
Dans la cour des poètes, il n’y a point de mélancolie stérile ; c’est derrière le rideau de perles de l’averse que l’on rencontre la nostalgie fructueuse.
De l’azur descend en cascade un bleu intense, inconnu jusque là, puis, à la faveur d’une farandole, il remonte les marches du ciel en jouant dans les bras de l’arc-en-ciel.
J’y vois une clarté palpitante et douce à la fois, une lumière qui ne s’éteint jamais : le sourire de ma mère.
2023
VISUEL :
de Nicolas POUSSIN : L’inspiration du poète (1628-29), musée du Louvre, Paris
Poussin le poète annonce le retour aux sources, l’harmonie entre l’homme et la nature.
De sa vie entre Venise et Rome, Nicolas Poussin se nourrit des enseignements de Raphaël et du Titien.
Cette allégorie représente un poète épique visité par la muse Calliope et Apollon.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...