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Illustration : Roland Souchon
En livrée d’ébène et d’ivoire, trois grands cormorans célèbrent l’aurore sur l’île des Landes.
La baie du Mont Saint-Michel déploie son éventail aux sept couleurs du vent.
Deux amis cheminent sur le chemin de ronde dominant le port de la Houle à Cancale.
Briac, ornithologue, recherche les corniches où, dans les fissures des parois abruptes, il reconnaît les œufs bleutés du cormoran sur un nid fait d’algues et de branchettes.
Gwenola, libraire à Saint-Malo, aime partager ses envies d’évasion sur les landes et les côtes bretonnes.
Malo, pêcheur à pied, doit les rejoindre en fin de matinée.
Tous les trois ont une passion commune pour les saveurs culinaires et les plaisirs raffinés du palais.
Au gré des marées, la mer s’en va et revient, nappe de soie moirée, frangée d’écume où s’amusent les bleus de l’azur.
Ici, l’esprit des hommes et des femmes est absorbé par la mer.
Le trésor de Cancale, c’est l’huître.
A marée basse, les parcs à huîtres tressent la baie, maillage où miroitent le ciel, le soleil, la pluie et le vent.
Sur le sol de sable vaseux, installées dans des poches, perchées sur leurs étals, les huîtres grandissent à chaque marée et acquièrent ce goût de noisette, fin et délicat, renommée de l’huître de Cancale.
Crochets, épuisette et haveneau au repos dans sa cabane de pêcheur, Malo rejoint Briac et Gwenola à la cale de l’Epi.
Construite en 1837 au port de la Houle, cette jetée dite cale de l’Epi , est un ouvrage remarquable du patrimoine maritime breton.
Ses vingt et une arches en forme d’escaliers laissent passer les courants chargés d’alluvions, et permettent aux marins cancalais de débarquer leurs pêches.
Malo, sexagénaire buriné, a les joues creusées d’ornières décelant d’irréparables fatigues le long des grèves et sur les récifs de la baie où il ramasse coques, bigorneaux, crevettes, étrilles, crabes, homards et huîtres sauvages.
Aujourd’hui, il a délaissé bottes et ciré pour retrouver ses amis, un foulard bleu azur au triangle de l’encolure de sa vareuse.
Ardent mystique, son imagination fleurit à chaque phrase.
La baie du Mont Saint-Michel lui a offert, au fil du temps, cet art consommé de la narration. Une jeunesse inouïe chante en lui.
Son regard un peu lointain laisse toujours la place à l’émerveillement lors du passage d’une natte blonde.
Malo tire de sa besace six douzaines d’huîtres sauvages ramassées ce matin, jour de marée d’équinoxe au fort coefficient.
Briac s’est chargé d’assurer une ample provision pour rafraîchir les gosiers.
Gwenola apporte tendresse et sourire : fusion où son charme se multiplie.
Dans ce décor marin commence la dégustation des huîtres, fraîches ouvertes, souriantes dans leurs coquilles de nacre.
Les huîtres glissent sur la voûte du palais et les papilles de l’imagination dessinent le chant des goélands.
A l’unisson, les trois amis aspirent, à même la coquille, la bonne eau salée qui vient étoiler une bouchée de pain de seigle beurré.
La première douzaine envoyée au paradis, Briac débouche son ambroisie :
La Coulée de Serrant, 2005 de Nicolas Joly – vin servi frais, à la même température que les huîtres.
Discret et réservé aux premiers instants, ce blanc sec a eu la sagesse de patienter en cave pour délivrer aujourd’hui son florilège d’arômes où dominent les fruits jaunes juteux comme la mirabelle. Sa longue caudalie s’appuie sur une texture ferme, d’une élégante amertume avec une tonalité saline.
Eole revient en arabesques de sable et d’embruns.
La ripaille continue ; l’occasion pour Gwenola de faire l’éloge de la gourmandise.
L’huître, c’est à la fois le prélude et l’extase, une volupté sensuelle, une délicatesse veloutée, un plaisir à conjuguer au masculin et au féminin, un feu insoupçonné qui jaillit en vous.
Oui, oui , encore une belle charnue, fraîche à souhait, élégante avec sa collerette de dentelle.
Bruissant de coquillages, le jusant répond à l’appel des sirènes.
Maintenant, les vagues ramènent le parfum couleur ardoise des îles Chausey, puis vient le visage d’une Muse, ourlée d’écume sur l’estran de leurs rêves.
Au son des biniou et bombarde, Gwenola, Briac et Malo déclament en cœur :
Fleurs d’équinoxe sur l’étrave de la vague
Affleurement d’ailes à la godille de l’esquif
Sur l’hélice du nautile s’enroule la bonne aventure.
Kenavo
©Roland Souchon
2023
www.rolandsouchon.com
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SOURCES :
- Histoire de la nourriture de Maguelonne Toussaint-Samat chez Larousse
- Gens de Bretagne de Christian Bougeard aux Editions du Chêne
- Le grand Larousse du vin
L’HUÎTRE :
La conchyliculture est l’élevage des huîtres, moules et coquillages, dont l’ostréiculture pour les huîtres et la mytiliculture pour les moules.
En France, l’ostréiculture se fonde sur l’élevage de deux espèces d’huîtres : la plus ancienne, la « plate » ou Ostrea edulis, renommée de Cancale , et la « creuse » ou Crassostrea gigas, importée fortuitement des Indes jusqu’à l’estuaire du Tage au XVème siècle par des navires de commerce portugais dont la coque a servi de collecteur naturel.
A travers le monde, en eau salée, douce ou saumâtre, on compte une bonne centaine d’espèces d’huîtres.
Au siècle dernier, les bisquines, typiques bateaux de Cancale, remontaient les dragues utilisées pour prélever les huîtres sauvages sur les bancs situés en eau profonde ; ensuite les huîtres étaient élevées dans des parcs.
Cette pêche était autorisée un mois par an en avril. C’était la fameuse « caravane » si bien racontée par Roger Vercel ; celle-ci rassemblait 425 bateaux et 2323 marins en 1884. La pêche était débarquée sur les grèves à marée haute, puis triée par les femmes et les enfants à marée basse. Les femmes chargeaient sur une charrette les paniers d’huîtres appelés « mannequins », d’un poids de 50 kg, en vue de l’expédition, notamment vers Paris.
Il est intéressant de développer la sexualité et le mode de reproduction de l’huître qui est hermaphrodite, alternativement et successivement femelle et mâle. En été, durant les mois sans R, c’est la période de reproduction avec 3 pontes de juin à juillet, soit plusieurs centaines de millions d’œufs qui attendent la semence mâle qui peut être celle de l’huître elle-même ou celle de la voisine car devenue mâle, elle disperse sa semence à l’extérieur dans le milieu marin.
A la fois père et mère, l’huître accomplit jusqu’au bout sa double mission parentale et porte les œufs fécondés durant une dizaine de jours jusqu’à ce que, devenus larves (naissain), ils soient expulsés.
Pourvu de cils vibratiles, le naissain a 2 semaines pour chercher un support (exemple un rocher) pour se fixer, grandir, aimer et se reproduire.
Le grand art de l’ostréiculteur est de piéger le naissain pour ensuite l’élever.
L’huître, si elle échappe aux nombreux prédateurs (étoile de mer, bigorneau, huîtrier pie, goéland argenté - violent courant de tempête - mazoutée par un bateau pollueur ou enfin être mangée par d’élégants bipèdes), peut atteindre l’âge de 50 ans, sachant que les huîtres ne sont plus si délicieuses au-delà de 5 ans.
Le goût de l’huître tient au climat, à la salinité des eaux, à la nature des fonds marins, du plancton et aussi aux gestes qui président à son élevage.
L’affinage se fait en eau claire dans des bassins, eau constamment renouvelée où l’huître va prendre ce goût de noisette et sa couleur ardoise grâce à la présence d’une algue, la navicule bleue.
Le premier affinage se fit à Belon, d’où le nom de l’huître.
LE VIN : La fameuse Coulée de Serrant
AU XIIème siècle, Henri II Plantagenêt, Comte d’Anjou devenu roi d’Angleterre, fait servir les vins d’Anjou à sa cour.
L’Anjou est une vaste région viticole qui part de Nantes et longe la Loire jusqu’à Saumur et Angers.
Il existe un triangle magique formé de trois communes : Savennières, Bouchemaine et La Possonnière.
Arrêtons nous au lieu-dit La Coulée de Serrant. Le vignoble regarde passer la Loire. Au fil des jours se tresse ce lien qui unit l’homme, le terroir et la vigne. Le chenin, son cépage unique, est ancré sur des coteaux traversés de veines schisteuses avec un fond de sables.
Curnonsky, prince des gastronomes, classait La Coulée de Serrant au même rang qu’un Château-Chalon ou encore le mythique Montrachet.
Il en découle cet aimable conseil : Fin gourmet, vivez glorieusement dans le péché et Dieu reconnaîtra les siens.