Couverture du récent recueil de Claude Luezior : Diana Rachmuth, une artiste-peintre et architecte d'origine roumaine. Cf : Peau d'âme, le kimono dans tous ses états - Cercle Suisse Japon
pas le temps !
même de rêver
temps perdu
temps mort
à contre temps
intempérie
pour la pensée
depuis longtemps
même de penser en rêvant
n'est-ce perte de temps ?
même temporairement
juste le temps
de prendre le pouls
de l'intemporel
qui a fait son temps
et même de tempêter
contre le temps qui passe
et s'amasse
le temps d'un printemps
le temps des lilas
le plus clair de son temps
depuis quelque temps
même par gros temps
ou temps de paix
à quatre temps
le temps d'un rien
d'un amour, d'un plaisir
le temps de se perdre
de suspendre son vol
même le temps
d'une concordance
des rêves
je voulais dire... des temps
même
de temps
en temps
Peindre les mots. Ecrire les couleurs. Et par les uns et les autres, sceller le mariage du tableau et du poème, donner forme à l’intime(…) L’introduction de Hafid Gafaïti est superbe et invite à la contemplation de cet ouvrage à quatre mains.
Au gré des turbulences du verbe et du pinceau non figuratif sous lequel émergent pourtant çà et là un visage, le Mont St-Michel, un soleil, une forêt des brumes, nous oscillons dans les frémissements de créations multiples. D’aucuns auraient attendu une relation davantage évidente entre le texte et les tableaux, mais il est vrai que les premiers ne sont pas là pour expliquer les seconds. Il s’agit donc à mon sens, la plupart du temps, d’une potentialisation assumée par les auteurs, plutôt que d’une synergie. Cela dit, on est interloqué par la beauté qui fascine.
Les toiles d’Eliane Hurtado ont ce quelque chose de mystérieux, sans artifice ni mièvrerie, tant le trait est vif, le sujet mouvementé, les fréquents camaïeux de bleus, aériens mais également profonds. Ils s’inscrivent, au deuxième degré, parfaitement dans la geste de Michel Bénard et constituent une manière de chorégraphie stellaire propice aux mirages et aux rêves. Ces élans graphiques et ces éclipses sans cesse nourrissent, peut-être sans même le vouloir, les textes de Bénard. Notons que la peintre est également poète. En attestent sa biographie mais également les titres de ses œuvres : fulgurance acrylique, gestuelle, gouttes d’or, grisaille azurée…
Se dégage de ce recueil, sous la plume confirmée de l’écrivain, un étirement du temps et du recueillement (La lettre en majuscule se pose / Sur un fond de silence ) : non pas dans la solitude mais en une sorte de sérénité ciselée, voire de transcendance créative :
Le souffle d’un recueillement m’effleure
Un silence contemplatif me transporte
Sur le seuil d’un autel d’extase
Sachant que l’amour est un constant axe de vie dans la poésie de Michel Bénard :
Buvons les eaux lustrales
Jusqu’à l’ivresse extrême,
Consumons-nous lentement
Dans les feux de la passion
Légendes et mythes s’embrasent au fil des pages, parfois en prières laïques. Errances d’enluminures en reflets de ces vers insondables.
Talismans partagés.
Ecriture maîtrisée, chaleureuse, qui rejoint crayons et pinceaux de l’artiste-peintre dans ses arabesques, ses tourbillons et ses harpes, pour un plus haut, pour un plus beau, avec une infinie minutie, un point rouge définissant l’horizon, l’inaccessible.
Véritables miroirs mutuels : encre et pigments, comme l’éloquence d’un intemporel.
Allaiter cette page comme le peintre
donne ses becquetées de couleurs au tableau.
Obstination tendre, idée insensée :
que mes mots fassent un jour synapse avec la
rétine d’un hypothétique lecteur. Qu’ils soient
complices de ses émotions. De ses cicatrices. A
l’extrême fin de sa pensée.
Que mes images deviennent siennes,
comme assimilées par une partie infinitésimale
de son être. Qu’elles fassent éclore, le temps
d’un parfum, les bourgeons de ses jardins.
de Sonia ELVIREANU. traduction de Giuliano LADOLFI
Éd. Ladolfi, 264 pages, couverture d'Irina Petraş, 2022, Italie, ISBN: 9788866446217
Peindre les mots : l'expression est connue et a été employée en particulier par l'écrivain suisse Jacques Chessex. De plus, celui qui sait exactement d'avance ce qu'il va peindre est-il vraiment un artiste ? Celui qui connaît précisément ce qu'il va écrire en renvoyant les muses accrochées à ses lignes est-il poète ?
Lire Elvireanu, c'est s'immerger dans un monde onirique qui nous fait penser à celui de Claude Monet, comme nous l'avons déjà noté dans notre recension de son recueil, Le souffle du ciel. Monde enchanté où l'on picore les miettes de la couleur, des ensoleillements où chantent espaces et quiétudes...
Ne t'en vas pas, Lecteur : prends la pause sur le pont japonais du génial impressionniste : écoute la poétesse, susurre, psalmodie ses lignes au goût de miel. En français qu'Elvireanu maîtrise avec une aisance déconcertante, mais ici également en italien, la langue des anges que nous propose avec élégance son traducteur, préfacier et éditeur Giuliano Ladolfi.
Idiomes peints par des créateurs, au-delà du descriptif, propres au rêve, tout à la fois profanes et sacrés, intimistes et fantastiques, dans un au-delà de la texture grammaticale, dans un dépassement de soi.
Dans le brouillard (p.56)
Une brume bleuâtre
enveloppe l'argile au crépuscule,
le murmure d'un bourgeon
meurtri,
sous l'écorce,
le frémissement du silence,
l'iris de l'épanouissement
esseulé.
Nella nebbia (p.57)
Una nebbia azzurrina
al crepuscolo avvolge l'argilla,
il mormorio di una gemma
straziata
sotto la corteccia,
il sussulto del silenzio,
l'iris della fioritura
solitaria.
Brouillard, teintes bleuâtres, murmures, sous l'écorce, touches verbales mais aussi fascination transculturelle d'une écrivaine roumaine nous prenant par la rétine, avec, en miroir, les sonorités transalpines si riches de leurs voyelles! Les nymphéas de Monet en frémissent d'aise... Déambulation délicate, sécrétions de pétales et de mots en un silence feutré...
La poésie, telle la peinture, est souvent faite de surprises, d'émotions, d'inconscient à la marge du narratif : j'ai l'impression d'être dans l'attente du mystère / avec son pouvoir de te prendre aux tréfonds / pour te faire sentir la vie, aux mille visages / s'émerveillant de ses mots, de ton image (p. 106).
On se rapproche du passage entre le formel et le non-figuratif. L'académicien Henri Troyat ne disait-il que, même dans un roman, les personnages prennent le pouvoir ? Ici, c'est l'âme qui, dans l'éclat / de l'argile / céleste (p. 210), occupe toute la scène.
Peintre des mots : Sonia Elvireanu serait-elle un auteur impressionniste ?
Claude LUEZIOR
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Sans cesse, les mouettes crient leur urgence. Elles virevoltent et pourfendent les embruns, défient les turbulences, éparpillent le scandale au gré des falaises, comme si le ressac, ce matin, se résumait à l’unique nouvelle sur l’ardoise marbrée des flots.
Une poignée de mouettes, c’est pas grand chose, mais il faut dire qu’une armée toute entière, une armada de mouettes au faîte de leur indignation coalise le respect. Convoquant d’étranges noces dans leur appareil presque immaculé, mêlant et démêlant des serments nomades aux rumeurs des flots, scandant quelque jacquerie à la face des bourrasques, toujours hautaines, toujours ivres de tempêtes, les voilà qui prennent possession de la crique toute entière.
Indignation bien légitime : devant le phare dressé comme une croix, les mouettes crient la mort du poète…
tu me taraudes
avec la braise qui coagule,
une braise furieuse
qui dissout mes litanies
tu morcelles, tu effrites
mes certitudes en jachère
quand se lève le jour
d’une paisible oraison
Prêtresse
tu détournes
les ascendances que je chuchote
tu t’empares de ma paille
pour bouter la flamme
à mon humide caverne
et mes frasques d’ermite
d’un coup s’embrasent
pour goûter aux rouges
de nos démences
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...