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Photo reçue de Serge Lascar
Les nuages s’étiolent en un lit de filasse.
Assommé par l’ennui, d’humeur vagabonde
Le gamin encombré de sa maigre carcasse
Adresse à son reflet, à l’autre dans la glace, un soupir de guerre lasse.
Indolent il rêvasse, en poche une fronde.
L’arme de bois et de métal est aussi froide qu’un coutelas.
Enveloppée dans un mouchoir
Il l’avait dérobée à un vieux quincaillier, blouse grise, lunettes noires
Recélée sous le drap, oreiller, matelas.
L’ivresse le saisit d’une fugue prodigue, farouche, exutoire.
Quelques instants volés au temps, une poignée de seconde
Il se met en campagne, prêt à vaincre le monde.
Une pierre ronde sur le chemin
Pour accomplir son destin.
À bout portant la faire jaillir
Pour atteindre l’oiseau, seulement l’estourbir.
Blessé en vol suivre sa chute, le recueillir.
Picorera gourmand, dans le creux de sa main
Des moucherons bien secs
Des miettes de pain
Pincés à coups de bec.
Il viendra se nicher au creux de son épaule
Piaillera à tue-tête dans la cour de l’école.
Émergée du néant, une ombre l’a suivi.
C’est un barbon sans âge, un spectre, un esprit.
Les rides sur son front écrivent une vie qui touche au crépuscule.
Joues creuses embarbées d’un lichen griffu, bouffées par la mérule
Yeux vitreux égarés, retenus au visage par les sacs avachis qui pendent à ses paupières
Le vieux semble échappé tout droit d’un cimetière.
Appelé par l’intrus, l’enfant presse le pas.
Cette voix d’outre-tombe, il ne la connait pas.
Soudain, par mille éclats, une nuée sauvage éclabousse le ciel.
Comme autant d’artifices surgis en un mirage
Les plumets écarlates irisent le paysage
D’un bouquet flamboyant, déluge d’étincelles.
Volubile, l’ancêtre raconte le voyage des loriots de passage
Les pays qu’ils traversent, les monts, les océans
La pluie, le froid, la soif, bientôt l’épuisement
Les graines mendiées, colportées par le vent
Les chants au petit jour
Pour se dire bonjour, pour se faire la cour.
Ils implorent le ciel, y reposent les ailes
De la longue traversée qu’ils ont effectuée depuis leur archipel
Puis s’égaillent vers le nord, pour échapper aux guerres
Famines assassines, sècheresse des terres
Fleuves de sang et de viscères.
Nomades ou fugitifs, ils rêvent d’un rivage où se partagent en paix
L’école pour les enfants, le boire et le manger.
Nombreux se sont perdus en Méditerranée.
Glissant une main penaude dans le pli du blouson
L’enfant tient camouflée la fronde dont l’empreinte trahit son intention.
De ses doigts il triture, écorche le cordon.
À coups de griffes, sans rien en dire
Plante ses ongles, le déchire.
Et l’ancêtre s’éloigne, rejoint les créatures qui comblent sa passion.
Depuis, quand dans la nuit
Un astre rougegorge palpite tel un fruit
Le cœur tourneboulé au souvenir de l’homme
Me reviennent en écho les mots de ce fantôme.
L’enfant soudain grandi le salue d’un merci.
©Serge Lascar
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