© Marc Riboud, la jeune fille et la fleur, 1967
Un trou
rien qu’un trou
un trou
dans le ventre d’un mur
un trou
au milieu des pierres
une marque affreuse
comme une perforation
qui cherche à tout prix
l’imprévisible sentier
de l’âme !...
Un nuage égaré
œil intrépide
où respire
l’écume du ciel…
Une brèche
aux lèvres sévères
qui mord l’espace
et arrache un cri
à la transparence
de l’air…
La blessure…
la blessure se souvient
de la violence extrême
brandissant des corps
au milieu de la rue…
Les deux mains arrachées
le jour n’a plus de force
il ne parvient
même plus
à saisir le soleil
et sa parole siffle
touchée à bout portant
par la déflagration
des obus et des bombes…
Le feu dévore
les rêves noircis
de poussière et de sang
puis recouvre
un à un les visages
de ce masque éternel
à la beauté de cire
où s’éteint le regard…
tandis que la fumée
camoufle une seconde
le crime insupportable
et traverse le chaos
telle une âme en partance…
La tempête…
la tempête a surgi du ciel
brisant la quiétude
d’un trait de métal…
L’horrible vint alors
de ces armes affreuses
où bourdonne la mort…
Les rapaces d’acier
dérobent le sourire
et mordent à belles dents
la poitrine de la Paix
et comme des chimères
désignant leurs victimes
ils empoignent ces êtres
par la crinière vive
d’un galop de souffrance
avant de les abandonner
dans les couloirs déserts
où les heures peu à peu
momifieront
leurs dépouilles sanglantes !...
Existe-t-il seulement
une lumière capable
de traverser
la main de l’ombre
qui retient
et multiplie
ce désastre ?
L’aube
pourra-t-elle encore
inventer une brume claire
aux cheveux de rosée ?...
Qui pourra retenir
cette douleur suprême
sans être crucifié
par le sang de l’enfance ?...
La mort enfin repue
s’abandonne au sommeil
et les marchands retournent
à leurs comptoirs prospères
laissant au silence
le dernier mot…
L’homme regarde
regarde sans voir
assis sur un mur
un mur perforé
il regarde un paysage
un paysage qui hurle
hurle sa détresse
et l’homme regarde
assis sur un mur
un mur perforé
il regarde un paysage
ignorant le trou
plus large qu’une blessure
plus vaste que le néant
et met sans le savoir
ce trou ordinaire
cette béance obscure
à la place de la vie
où chantait son cœur !...
© Victor VARJAC.
Poème extrait de "LA ROUILLE DES JOURS"
Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits.