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10 juin 2025 2 10 /06 /juin /2025 13:22

                                                                                                                                             À Jean-Loup Seban

                                                              

 

SI, venant de Lyon vers Chambéry, on se dirige vers les sommets alpins, on croise à mi-chemin la localité de La-Tour-du- Pin, une ville modeste encore et sans relief particulier sinon celui d’un charme et d’un passé prestigieux. Le nom de la famille de La Tour du Pin est, comme on s’en doute, lié à celui de la ville et de cette importante baronnie du Dauphiné qui existe depuis le moyen-âge. Le premier personnage cité comme appartenant à cette famille est Girard de la Tour, au Xème siècle.

D’importantes figures sont apparues au sein de l’arbre généalogique familial, dont les plus célèbres et les plus récentes sont notamment François René de La Tour du Pin de Chambly la Charce * (1834-1924), saint-cyrien, assez logiquement grand royaliste, sympathisant de l’Action française, proche surtout de la pensée d’Albert De Mun et auteur de l’ouvrage « Vers un ordre social chrétien » (1907) qui a contribué à ce catholicisme social qui a largement inspiré de Gaulle.

D’une moindre longévité et pour cause, François de la Tour du Pin de Chambly (1878-1914), lieutenant au 298e régiment d’Infanterie, trouvera la mort dans la bataille de la Marne en 1914, laissant sa jeune épouse, Brigitte O’Connor (1880-1948), descendante de Condorcet, affronter un veuvage aussi long que fut brève leur vie de couple. Patrice, né en 1911, est le troisième enfant de ce couple sacrifié et fut dès lors élevé par sa mère et sa grand-mère.

Une première impression suscitée par la vie de celui qui sera précocement poète, est celle d’une extrême discrétion. On le dira « non médiatique », réservé même sur son oeuvre comme sur sa vie intime. Sa biographie s’aligne dès lors parfaitement aux seuls événements littéraires qui émaillent tôt son existence : à un âge plus avancé, il écrira d’ailleurs : « il est vrai que j’ai noué ma vie et mon poème. Tu n’as fait que tirer le fil de l’un pour avoir l’autre ».

En effet, aussi précocement sera-t-il attiré par les sciences politiques, dans la droite ligne de ses ascendants, aussi rapidement le sera-t-il aussi par la poésie en rédigeant, à 19 ans, un premier recueil en mal d’éditeur, comme toujours, malgré le soutien sans réserve de Supervielle. Son titre est déjà prophétique : la Quête de Joie (1930). Un début de reconnaissance lui vient, tant de l’Académie française (qui lui attribue dès 1938 le prix Maurice-Trubert) que, dès avant cela, de simples lecteurs pour son long poème Enfants de Septembre, dont voici un extrait :

                                          Après avoir surpris le dégel de ma chambre

                                          A l’aube je gagnai la lisière des bois ;

                                          Par une bonne nuit de brouillard et d’ambre

                                          Je relevai la trace, incertaine parfois,

                                          Sur le bord d’un layon, d’un enfant de septembre.

Un titre, « La vie recluse en poésie » (1938), incarne par sa brièveté son programme de vie, lequel se voit hautement mis en péril en octobre 1939 où il est mobilisé et où, blessé à la tête, il est déporté  en Allemagne dans un Oflag dont il restera prisonnier durant trois années : mais qu’à cela ne tienne, c’est en captivité qu’il réussit à écrire quelques-uns de ses poèmes les plus marquants. Il faut réaliser

 

combien cette famille a payé de tribut aux guerres de 1914-1918 et de 1940-1945, et à quel point nos artistes et penseurs actuels reconnaissent, Boris Cyrulnik en tête, une influence de tels drames précoces sur l’émergence de presque toute créativité artistique.

Peu après son retour en France, il épouse sa cousine Anne de Bernis-Calvière (**) : ils auront quatre filles. Ils résident alors au château du Bignon-Mirabeau, dans le Loiret, à l’emplacement même de la résidence du célèbre marquis (***). Les grands noms et de hauts faits de l’histoire ne sont donc jamais loin ! Plus intéressant pour notre propos sera de noter combien le site fut apprécié et inspira notre poète toute sa vie durant, lui qui se présentait comme le jardinier du processus poétique :                                                

                                                   Une allée ? Je vais où qu’elle aille,

                                                    Une allée qui d’aller me dit

                                                    Sous sa grand’voûte entre broussailles

                                                    Vers une orée de paradis,

                                                     Comme va l’âme en fiançailles

                                                     Vers son dimanche – et l’on est lundi.

A la suite du concile de Vatican II, la famille quitte Bignon pour Paris : en cause, Patrice devient le seul laïc admis pour la traduction de la Bible parmi 5 membres choisis par l’épiscopat. La Commission liturgique de la traduction lui confie également celle des psaumes, notamment mis en musique, et avec quel recueillement, par Joseph Gelineau et Didier Rimaud. On ignore le plus souvent la paternité de chants tels que « Tout homme est une histoire sacrée » qui est de sa plume.

L’heure de la reconnaissance a dès lors sonné pour notre auteur qui reçoit en 1970 le grand prix catholique de littérature pour Une Lutte pour la vie et qui, gagné par l’évocation des textes sacrés, publie en 1974, un an avant sa mort,  « Psaumes de tous mes temps » où il fait œuvre totalement originale, qui justifie de mot de théopoétique ou de poésie liturgique  qu’il se décerna souvent, et que La Bibliothèque de Poésie qualifie en outre de symbolique et naturelle à la fois, d’un romantisme frais, d’une gaucherie gracieuse.

Sans doute l’écriture et la pensée de l’auteur peuvent-elles paraître renouer avec une forme d’invocation lyrique largement perdue par nos contemporains : mais la question est bien de nous demander si, précisément, on ne ressent pas en cela une perte et si nous n’avons pas à gagner à nous ressourcer à une inspiration heureuse et primitive.

Références

Isabelle Renaud-Chamska, Commémorations Collection 2011,

Boris Cyrulnik, La nuit, j’écrirai des soleils, Odile Jacob, 2019.

La poésie contemporaine de langue française, in La Bibliothèque de poésie, France Loisirs, 1992.

Wikipedia

                                                                                                                            

 

©Pierre Guérande      
 
 
 
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(*) On prendrait évidemment pour ironique d’oser désigner notre auteur par le trop familier « De la Tour du Pin, de Chambly et d’autres lieux » : notons toutefois que chacun de ces lieux, précisément, sont bien éloignés de La-Tour-du- Pin et proviennent d’alliances et de mariages justifiant cette longue énumération. L’appellation de la cité, en soi, serait dérivée du fait qu’un conifère aurait grandi sur une tourelle avoisinante, si cette explication n’est pas fantaisiste.

(**) apparentée, on l’aura deviné, à la lignée du fameux cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis, ministre de Louis XV, diplomate et mondain (1715- 1794). Poète paysagiste entré à 29 ans à l’Académie française, il y préfèrera la carrière politique et sera le conseiller de Madame de Pompadour et ensuite ambassadeur à Venise. Il fera merveille aux affaires étrangères et plus tard comme archevêque d’Albi, pour finalement devenir négociateur auprès du pape à Rome, On le connaît aussi pour sa correspondance avec Voltaire et par ses Mémoires, quoique interrompues en 1756. Jean-Loup Seban, poète et érudit dix-huitièmiste, écrit de lui : Avec Ducros, Voltaire et Gresset, ses amis / Ses soupirs fleuretés faisaient plus que merveille (La Bouquineuriade, MMXVI, Bruxelles).

(***) Ce domaine avait été acquis par Sophie de Grouchy devenue la jeune épouse de Condorcet, encyclopédiste. Leur fille, Elisa Caritat de Condorcet (nièce du futur maréchal de l’Empire), deviendra l’épouse d’Arthur O’Connor, lui aussi général de division de Napoléon, né irlandais comme son nom le laisse entendre. Les noms de Condorcet et de Mirabeau se voient ainsi une nouvelle fois réunis, eux que tant de liens d’amitié et de conceptions politiques partagées (en tant qu’aristocrates révolutionnaires et plus qu’incompris de leurs contemporains), comme leur soutien aux Amis des Noirs, avaient déjà rassemblés dans le contexte troublé de la révolution.

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commentaires

J
Toujours aussi nourrissante et désaltérante l'écriture de Pierre GUERANDE, de par le choix de la personnalité mise à l'honneur que, sans lui, nous ne connaîtrions que de nom: Patrice de la Tour du Pin, (le seul laïc admis dans le groupe de membres choisis par l'épiscopat, réuni pour la traduction de la Bible !!), de par aussi la précision des détails dont il présente toujours, avec précision et honnêteté, la source.<br /> MERCI cher Pierre Guérande pour ces paroles qui nourrissent l'esprit et tranchent au sein des paroles en l'air...du temps !<br /> Jeanne Champel Grenier
Répondre
J
Je suis en total accord avec toi, chère Jeanne !!

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