
En 1955, j’ai rencontré sous un pont de Paris un aristo qui venait de quitter la Société qu’il n’acceptait plus, il était avocat, pour vivre une autre vie… choisie
« A mes frères… »
Au moment où, sur mes tempes,
Les frimas des ans,
Posaient leurs premiers flocons,
« Les 30 glorieuses »
N’avaient point encore dents de lait,
En devenir carnassières.
Refusant la frénésie ambiante, le confort émollient
Tueur du libre arbitre et de l’Homme conscient,
J’avais choisi la liberté, la rue, la bohème.
J’avais tourné le dos à la course effrénée au paraître
Et rejeté le dieu possession,
J’avais choisi d’être Autre, d’être Moi.
Contemplant avec un inquiet mépris
La spirale montante,
Respirant les saisons,
Je partageais, grand prince,
Au hasard des rencontres, les ponts,
Arches protectrices ou mon toit constellé.
Avec les copains de pavé qu’avaient
Parfois aussi connu la Haute,
Rapidement, j’étais devenu
Un aristo de la manche,
Un distingué du trottoir.
Il nous arrivait encore,
A cette époque,
De croiser le regard aquarellé
D’un soupçon d’humanité d’un passant pressé,
En quête forcenée de temps à gagner.
Puis la machine boulimique, à créer toujours plus,
A bouffer les Hommes jusqu’à l’indigestion,
Qu’en avait plus besoin, les a déglutis,
Après en avoir pris le suc,
Sur le trottoir, dans la peur castratrice,
En pâture à la misère, sœur des laissés pour compte
Par centaines qu’avaient pas choisi
Qui voulaient pas, Eux.
Maintenant on est des millions
Ilots à la dérive, impuissants,
Dans un océan d’indifférence,
Prêt à engloutir,
A n’avoir même plus à partager
Un trop plein de rien,
Seulement des parcelles d’aumônes,
Tout juste, nourricières
A attendre l’embellie d’un printemps,
Toujours prometteur, jamais éclos.
Ils m’ont volé la solitude et laissé au clou
La désuétude humaine, immense.
Ils m’ont volé mon choix.
Je ne suis même plus,
Pour mon ego,
Vieil et noble aristo,
Plus même un numéro.
Foutue Société
Où ceux qui trop possèdent,
Sordides,
Ne laissent même pas le luxe
Aux pauvres
De l’être dans la dignité !
©Gérard GAUTIER
Saint-Brieuc 27 avril 2004
Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits