6 novembre 2015
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Depuis une heure, Aveline se fraye un chemin à travers une jungle de hautes herbes et d’arbrisseaux. C’est une femme-enfant, une femme aux semelles de vent, qui marche vêtue d’une longue jupe bariolée caressant de grosses chaussures montantes. Elle semble fragile, aérienne, mais en elle bouillonne une force semblable à celle d’un torrent fougueux. Son sang charrie la musique des clarines, l’eau vive des cascades, il transporte aussi des nuages moelleux, des couchers de soleil et toutes les fleurs, petites lumières des alpages et des prairies.
Aveline est seule dans ce paysage de montagne, seule avec le silence, un silence fondant, sucré, aromatisé. Elle l’accueille à bras ouverts, elle l’embrasse, s’en enveloppe, se roule dedans, et puis, avec gourmandise, se lèche les babines. Un délice ! Un amour de silence ! Elle sent vivre en elle un désir puisant : découvrir la rivière qu’elle entend chanter au loin. Elle avance dans cette jungle, avec jubilation, pétillant de joie, se prenant pour une exploratrice qui part à la découverte de terres nouvelles.
Après avoir traversé ce rideau de végétation dense, elle se trouve devant un pré bordé d’épilobes, où fleurissent les premiers colchiques, entourés de joubarbes, de crêtes de coq, de marguerites, d’hélianthèmes, avec ça et là quelques éclats rouges d’œillets frisottants. Elle s’agenouille pour admirer de près ces petits êtres vivants dont les noms suscitent le rêve. Surtout ne pas les cueillir, contempler seulement leur beauté, l’engranger dans le cœur pour qu’elle y vive au chaud tout l’hiver. Et Aveline reprend sa marche, guidée par la chanson de l’eau qu’elle perçoit de mieux en mieux. La rivière, maintenant est toute proche. Seul un rideau serré d’arbres et de végétation touffue la masque. Mais Aveline qui est fille de la forêt, franchit aisément cette barrière. Et elle la découvre, enfin, la rivière. Comme elle est belle dans sa robe transparente et si lumineuse avec ses flaques de soleil, ses jardins d’algues, fleuris de feuilles rougissantes, ses îlots de nuages dorés. Aveline regarde, observe, à l’affût du moindre détail insolite. La rivière généreuse lui offre ses reflets énigmatiques, mais ne lui livre pas ses secrets. Alors, les yeux d’Aveline plongent dans cet étrange univers aquatique. Et ils voient…
Dans ses prunelles se reflète encore cette vision d’un palais de cristal de roche, décoré d’émeraude et de corail.
Amoureuse de ce cours d’eau à surprises, elle le suit jusqu’au crépuscule. Et puis elle s’en retourne par le beau chemin de l’étoile claire tandis qu’un vent léger l’enveloppe d’une douceur charmeuse.
« Est-ce-toi, le vent qui a mis dans sa poche un petit caillou tout rond, un pétale cramoisi, une feuille de chêne trouée et un morceau de croissant de lune ? »
©Michèle Freud
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