©Josephine Wall
Camille demeure dans une ferme savoyarde, mais sa vraie famille c’est la montagne avec ses neiges éternelles, ses glaciers et ses séracs, ses parois rocheuses où teintent les clarines, ses cascades, ses torrents et ses lacs.
L’école l’ennuie terriblement, pourtant elle est vive et intelligente. Dès la fin de la classe, en toutes saisons, elle court retrouver son cher ruisseau qui chante et babille dans le pré au-dessus de sa maison. En été, ses rives sont fréquentées par des papillons d’un jaune éclatant que Camille surnomme « les citrons pressés » parce qu’ils s’attardent peu sur chaque fleur. « Prenez le temps de savourer le nectar » leur dit-elle. « Imitez le lézard qui n’en finit pas de boire le soleil à la régalade. »
En hiver, sous une pellicule de glace, ajourée comme une dentelle, le cours d’eau murmure à son oreille l’histoire du Prince du Gel avec la Fée des Neiges, si éblouissante dans sa robe blanche brodée de givre et de cristal.
Pendant ses vacances, elle vit dans son immense royaume où tout est simple, pur, beau, vrai, où elle se grise d’espace, de silence et de liberté. Elle ne marche pas, elle danse, elle ne court pas, elle vole. Quelquefois, elle s’accroupie pour respirer le parfum d’une nigritelle, où s’agenouille pour tremper ses mains dans un joli chemin d’eau qui s’endort parmi les algues et les mousses. Parfois, elle se repose au pied d’un arbre foudroyé dont les branches sont si tordues et tarabiscotées qu’elle l’appelle « le contorsionniste ». Et les heures passent, légères, dans ce paradis qu’elle s’est choisi.
Camille rentre à la ferme à la nuit tombée et sautillant comme un oiseau, elle chantonne une comptine : « Joli papillon, jouant sous la lune à l’heure du crépuscule, papillon du soir, espoir… ». Elle aurait tant voulu dormir dans le creux d’un rocher, sous un édredon d’étoiles. « Un jour viendra » dit-elle à la marmotte, avec un sourire mystérieux sur ses lèvres. Elle ne finit pas sa phrase mais dans ses yeux fleurissait l’arc-en-ciel…
Ce jour-là arriva très vite, avant la rentrée des classes. Ses parents ne s’étonnèrent pas de sa disparition. Des recherches furent pourtant entreprises mais sans résultat.
« Vous comprenez, dit la mère aux gendarmes, Camille ne nous appartenait pas, elle est fille de la montagne, une sorte de créature surnaturelle se nourrissant de l’air du temps : elle est si fine, si menue, si transparente et si petite pour ses dix ans.
Hier, vous vous souvenez, la montagne était cachée sous un épais brouillard. Alors que je regardais vers le Miage, la brume s’est soudain déchirée et dans cette trouvée, j’ai aperçu Camille sur le Dôme, ses longs cheveux blonds flottant autour d’elle comme un voile de mariée. Vous voyez, elle est vivante ». Dans les yeux de la mère, brillèrent alors des étincelles de joie.
« Pauvre Marie, dirent les gendarmes, une fois dehors. La disparition de sa fille l’a rendue folle ! »
Pouvaient-ils imaginer que la Marie avait peut-être un œil de plus pour percer le secret des choses ?
©Michèle Freud
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