Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures, Claude Luezior, éditions Traversées, 2022, 128 pages, 25 Euros
Infatigable poète et penseur, Claude Luezior réfléchit sans cesse à l’Histoire décevante de l’humanité, à ses défaillances et injustices qui persistent au fil des siècles, mais aussi à la poésie et aux poètes qui s’érigent contre le mal de toute sorte dans leur appel au bonheur de la vie.
Son nouveau recueil Sur les franges de l’essentiel suivi de Écritures est conçu d’une manière particulière, le poète y met ses réflexions en poèmes, effluves de pensées et de sentiments, et en prose poétique. Ainsi la voix du poète renforce-t-elle celle du penseur, la poésie et la métapoésie se donnent la main pour nous faire réfléchir à l’évolution de l’Histoire toujours tragique et au langage de la poésie au fil du temps.
Son livre s’ouvre avec le « Liminaire », un discours sur le besoin de l’homme de graver son empreinte sur la Terre, de la préhistoire à nos jours, avec les moyens de chaque époque : peintures sur les parois des cavernes, parole inscrite sur les tablettes d’argile ou de cire, sur le papyrus ou imprimée sur papier depuis la découverte de Gutenberg, absorbée par le nouveau langage des médias, globalisé, « sans foi et loi ».
Le poète dessine le visage d’une Histoire qui s’avère « une chanson de sourds » où les poètes, « une érigie de fous », se heurtent aux politiciens véreux, « aveugles », indifférents au langage secret de l’art, une histoire à laquelle il refuse de se plier, dénonçant ses défaillances, ses combats de la mort. La poésie devient alors une sorte d’aube qui sème de la lumière dans les ténèbres du temps historique malheureux. Et le poète s’ouvre tel un coquillage où « luisent tous les désirs ».
Claude Luezior aimerait nous rendre conscients de l’essentiel de la vie, ce don merveilleux que les gens ne cessent de dégrader par leurs envies destructives, par leur orgueil maléfique du pouvoir qui conduit vers l’absurdité des guerres fratricides et abominables.
Sa plume dénonce et interroge une Histoire tragique, de « batailles, traîtrises et massacres », « les affres et les tragédies », « la schizophrénie ambiante » de coloniser, l’avenir en danger, asservi à l’intelligence artificielle qui prend le dessus sur « l’intelligence du cœur ».
Engagé, le poète se fait le porte-parole de la souffrance humaine : il veut avertir sur le danger d’un avenir asservi aux technologies, sur une « agonie que secrètent des siècles d’indolence ». Il ne cesse de questionner l’homme et sa « folie inventive » qui va contre l’homme. Il parle au nom de l’art, de la parole poétique, lave d’un volcan et empreinte de l’existence sur la Terre.
Face à la mort qui guette de partout, car la finitude biologique de l’homme est une vérité
incontestable, face aux horreurs et à la folie humaine, le poète se demande pourquoi il n’aurait pas le droit de régner dans l’Empire de la poésie, de faire de la vie un acte de courage, de dignité, de joie, de se livrer à l’espoir de « délivrer la vie de son tombeau le plus obscur » :
« goûter ce brin de vie
et sa goutte éphémère
juste à l’instant sacré
me nourrir d’enluminures
prendre la pause d’un émerveillement
quand la fraîcheur
d’un bocage
féconde nos mains
de frémissements. »
Le poète s’engage à dire la vérité si douloureuse qu’elle puisse être, mais aussi l’espoir à la vie, sa foi en l’art authentique qu’il oppose au virtuel qui mêle tout, déforme le réel y compris le langage, règne en maître absolu sur un présent asservi. Il le fait à sa manière, avec ardeur, révolte, ironie et sarcasme, incessant combattant sur les barricades du Verbe.
Si dans la première partie du recueil, Franges de l’essentiel, Claude Luezior réunit délibérément poèmes et prose, dans la deuxième partie, Écritures, il nous parle en petites proses poétiques, s’ouvrant parfois à la confession de l’écriture, au tourbillon des mots qui assaillent le cerveau du poète jusqu’à leur mise sur la page sous l’éclairage des phrases qui construisent un sens, car l’artiste « tourmente ses phalanges ». Il réfléchit à l’écriture, « une meute de mots, une émeute à l’intérieur de soi », « un acte dangereux », « une mise à nu avant l’immolation », un « acte irréversible où l’écrivant avoue sa condition humaine au bord de sa mise en cendres ».
Dans l’écriture « se tordent les âmes dans l’espoir d’un salut », car le poète joue avec « ses rêves d’éternité », sa plume fiévreuse fait danser les ombres de tout ce qu’il a vécu, ainsi se fait–il acteur et témoin de l’Histoire.. C’est pareil dans la peinture à laquelle Claude Luezior fait souvent référence dans son recueil, mais aussi dans ses essais et dans ses livres d’artiste. Le choix du poète nous semble très inspiré pour la couverture de son livre : la peinture de Jean-Pierre Moulin illustre à merveille la tourmente intérieure d’où jaillit la création.
Illustration de couverture : Colette Klein : « Magnétisme »
Préface Alain DUAULT
Ed. Librairie-Galerie Racine-Paris. ISBN 978-2-243-04536-9
Nicole Hardouin, cet auteur hors du commun, toujours ferraillant hors des chemins battus, nous offre les sensations libérées, toujours sur les crêtes, de la relation amoureuse débarrassée des interdits et filtres occultants de la bienséance imposée à la femme. Telle Lilith, elle dévoile au lieu de voiler ; elle assume à cru la chevauchée du désir amoureux et son assouvissement.
L'auteur, par sa plume vive et sensuelle, fuyant toute censure, met en scène les désirs amoureux et, le moins qu'on puisse dire, on est très loin des descriptions passéistes, aspergées d'eau bénite qui émaillaient encore les romans féminins, il y a peu.
Il s'agit non plus de balade ni de bluette mais d'une révélation d'ascension à nu des Grandes Jorasses sous la foudre. Aucun cataclysme naturel ne peut être comparé à sa façon de vivre et d'écrire l'exaltation des corps et l'accélération des cœurs en amour. Il s'agit toujours, pour elle, non pas de rengaine fleur bleue mais de « faire l'amour comme les éclairs dans l'orage » et de révéler que dans ces conditions « les langues brûlent dans le naufrage des sucs. »
Il s'agit d'écrire avec franchise et vérité, il s'agit de décrire sans faux semblant la sublimation des sens. Lilith, parce qu'elle refuse la place subalterne de femme soumise, la place de réceptacle muet que lui réservait l'homme, serait-elle ''maudite'' ? Alors qu'elle existe, tous les sens vivants, devrait-elle mimer l'effacement, devrait-elle cacher ses formes sous des voiles occultants, se masquer le visage ?
Ce livre ouvre encore un peu plus cette porte étroite par laquelle la liberté féminine, dans de nombreux pays, essaie de se frayer un passage non sans y perdre quelques plumes.
Ici, dans ces pages très actuelles, nous sommes dans le flamboyant de l'amour charnel aux étreintes fulgurantes ; c'est un livre, qui, souvenons-nous, il n'y a pas si longtemps aurait valu censure et condamnation suivies de brûlots nourris de corps de femmes traitées de sorcières.
TABLEAUX D'UNE EXPOSITION, poésies et proses de JEANNE CHAMPEL GRENIER, éditions France Libris, 82 p., 2022, quadrichromie, préface de Michel Lagrange
Non, ce n'est pas l'essai ripoliné d'un historien de l'art qui distille ses références et qui, à bout de souffle, se laisse déborder par un élan poétique. D'emblée, on sent chez Jeanne Champel Grenier (appelons-la Jeanne, à l'instar de son préfacier Michel Lagrange) une complicité avec les grands maîtres et ces 35 toiles ici reproduites en un miroir de bon aloi. L'écrivain s'adresse à Mona Lisa :
Tu nous suis du regard, immortelle présence
Signée Léonardo qui t'a sans doute aimée...
Poésie verticale ou prose, qu'importe, si le verbe est beau! Continuum d'émerveillements, d'étoiles, de berceuses, de caresses pour des peintures aimées et qui ont façonné son existence. Superbes expressions. Jeanne rebaptise les œuvres pour ses propres textes : ainsi, La sieste de Van Gogh devient La moisson :
Ce grand champ de la vie
perforé de grillons (...)
Ou bien, à propos des Nymphéas de Monet :
Ici le ciel est tombé tout entier dans le Grand Bassin bordé d'ajoncs et ce n'est que surprises, tapis de soie fleurie flottant à fleur de nuages qui s'étirent, deviennent transparents et s'évanouissent.
Quelques mots, parfois tout simples, pour tout dire :
Il s'appelait Dali, Gala était son miel
Ou cette magistrale citation de Picasso, en 4e de couverture, sur fond noir, et qui prend toute la place :
Au fond, je crois que je suis un poète qui a mal tourné.
Tendresse et passion de Jeanne, dont on sait les dons en écriture et en peinture. Verbes et pinceaux semblent être pour elle une nature seconde : ce périple, empruntant son titre à Moussorgski, s'imprègne de ce monde, poussière de couleurs, que ne cessent de révéler poètes et artistes; mais aussi contre-jour d'une certaine inquiétude, d'ombres fertiles dévorées par la lumière.
Et aussitôt, la chaleur solaire de la poétesse plaide pour une sarabande nouvelle, celle des Coquelicots (...), derviches miniatures :
Leur flamme doit courir
Et danser, c'est un jeu
Mieux vaut brûler pour eux
Et ne pas les cueillir...
Ainsi firent Monet, Renoir ou Morisot
Qui pour les emporter en firent des tableaux :
Toute une éternité dansant le Flamenco !
On retrouve par ailleurs la profondeur humaine de l'écrivain dans son texte qu'elle intitule Maria enneigée de vivre, face à une affiche d'exposition concernant Eva Muder, par Edvard Munch (dont une majorité de gens ne connaissent que son Cri) :
J'eus envie de la prendre contre moi
de la serrer dans mes bras
de la réchauffer un peu
et de retenir son nom...
Maria, elle s'appelait
C'était un peu ma mère
d'une autre vie
ou bien moi
au seuil de ma nuit
Heureux traits de plume pour les gestes d'artistes majeurs : Chagall, Matisse et Bonnard vibrent sur la page.
Poète et peintre, membre de la Société des Poètes Français et de plusieurs autres sociétés d’art, Éliane Hurtado laisse ses dons naturels s’unir dans la création de ses œuvres. Le recueil d’Éliane Hurtado, Sous le bleu des Nymphéas , paru aux Éditions les Poètes français, Paris, 2019, nous dévoile un monde vu par l’œil d’un peintre, à travers la sensibilité d’un poète.
La nature est réceptée comme étant pleine de couleur et de lumière : „Le soleil joue avec le fleuve, / Il morcelle sa surface / De mille pépites d’or et d’argent / Scintillantes au gré du vent.” La vision est surtout picturale, l’or et l’argent de ce tableau suggèrent la sacralité de la nature. On perçoit une infusion de cosmique, les êtres remplissent leur destinée sous la bénédiction de la lumière divine: „ L’araignée tisse sa toile, / Merveille de la nature et des mathématiques, / ( ... ) Fil d’Alençon qui brode cette dentelle / Où l’astre solaire en passant / Sèchent les goutes de rosée / Encore accrochées à l’oeuvre”. ( La nature )
Dans le poème „Nymphéas” Éliane Hurtado souligne cette ambivalence de sa vision: „C’est là que le poète prend ses sources d’espoir / Et que le peintre sent surgir en lui / Le tableau qu’il va réaliser ”
En effet, la poète cherche dans la nature l’âme cachée de celle-ci, c’est ici la particularité et la profondeur de la poésie d’ Éliane Hurtado: „La fraîcheur du petit matin / Auprès de cette pièce d’eau / En fait revivre l’âme qui s’était assoupie.” Le titre „Nymphéas” donné à la poésie d’où est tirée la citation d’en haut indique le fait que la poète symbolise par ces nymphéas les âmes des éléments de la nature, qui lui se révèlent. De plus, tout le recueil est mis sous ce signe, car son titre, souligne le thème de la révélation des âmes de la nature, intégrées dans la grande âme cosmique.
La révélation de ces nymphéas est présentée dans plusieurs poèmes, comme, par exemple, „Faisceaux de lune ”: „ Quelques faisceaux de lune / Illuminent l’écrin / Où dorment les nymphéas / Auprès de libellules.” Le sentiment du mystère s’impose par rapport à la nature, à ces nymphéas : „ Les chemins végétaux / Tressent des labyrinthes / Comme celui du minotaure / Où le mystère s’ajoute. ”
Pour Éliane Hurtado la nature a toujours quelque chose de magique, même le désert. Elle se montre attirée par par toutes les beautés mystérieuses, intangibles de la nature . : „Rose des sables, / Trésor de gypse cristallisé / Façonné par l’errance des caravanes, / Coquillage au coeur de fleur, / Jamais nous ne te verrons dans un bouquet.” (Rose des sables )
Un parallélisme d’une classicité parfaite entre l’âme de la nature et l’âme poétique de l’auteure devient aussi un exemple distingué de métaphorisation : „ Un insolite nimbus rayait l’horizon / J’y voyais danseurs et séraphins / Sautant en ribambelle. // J’attendais le soleil / J’attendais ton retour / J’étais sur un nuage / Mais il sombra bien vite / En larmes cristallines.” (Nimbus).
Les tableaux de nature représentent le point-forte de cette poète-peintre, ils étant ravivés par la promission de l’amour, la plus puissante énergie de l’univers: „ Dans ma nuit / Aux confins des continents habités, / La lune / Et sa traîne étoilée / S’est baignée / Dans l’azur de tes yeux, / Comme une apothéose / En bout d’ombre et de brume. ” ( Apothéose )
La présence du sacré dans le monde des humains semble être normale: „Brusquement les bruits de la ville se sont atténués / Un ange vient de secouer le duvet de ses ailes / Il neige sur Paris.” ( La neige). Nous avons ici une méditation sur la beauté qui dépend de notre perception et qui est rapidement engloutie par le temps qui l’a laissée seulement s’entrevoir: „La nuit descend doucement sur ce décor / Qui aura peut-être demain disparu.”
Éliane Hurtado suggère la nature divine de la beauté par une citation de Michel Ange : „J’ai vu un ange dans le marbre et j’ai seulement ciselé jusqu’à l’en libérer”.
La poète exprime sa conviction poétique dans le pouvoir de la lumière de chasser le mal de la terre: „J’aimerais que ce rayon solaire / Fasse le tour de la terre / Pour apporter Paix et Amour / Partout où il se poserait”. (Rayon de soleil). Elle perçoit partout la présence ou le reflet du célèste: „Ces larmes célèstes aux reflets nacrés” (Gouttes d’eau).
La perception du célèste transfigure tous les tableaux perçus par Éliane Hurtado: „Le croissant de lune doucement s’efface / Devant le soleil naissant / Éclairant le dôme céleste. / Un précieux parfum de sérénité / S’étend sur les dernières poussières cendrées / De la nuit.”
Pour la poète-peintre la couleur devient une force primaire qui participe à la création du monde: „ La vie n’est que le reflet des couleurs / Qui lui sont données.” ( Une main mystérieuse ).
Elle souligne toujours notre participation à l’éternité, à l’intemporel, sous la bénédiction de la lumière : „Intemporel instant / Déposant sur nos destinés / L’écume scintillante des gouttes de lumière. // Lorsque le chant du vent / Accompagne cette symphonie, / C’est une apothéose sidérale / Qui illumine ce fragment d’éternité.” (Lieu de solitude).
Éliane Hurtado affirme elle-même sa double vision, de poète et de peintre, par rapport au monde: „ Ce curieux ballet / Où mots et couleurs / S’enlancent amoureusement. ” (Fleur )
Et: „ J’ai besoin de soleil, de chaleur, / Alors je peins des couleurs, des couleurs, / Et du ciel bleu sans nuages, / Un bleu providentiel aux reflets moirés.” C’est seulement la lumière „Qui pourrait effacer / Ces longues heures mornes et sinistres” du présent, de sa mémoire : „ Je me suis habillée d’un manteau de lumière / Et je plonge mon regard au loin, / Derrière le miroir céleste / Pour découvrir un monde magique / Doux et accueillant ”. (Méditation d’été).
Cherchant le reflet de l’éternité caché dans chaque élément de la nature, la poète trouve le symbole du baobab, l’arbre millénaire, qui peut vivre aussi dans la désert: „Souffle mystique d’un monde silencieux et illusoire, / Précieux parfum de sérénité / Qui laisse au voyageur / Dans cette mouvance incertaine / Une illusion de plénitude et d’errance éblouie.// Jamais nous ne sommes seuls / En terre désertique / Un arbre magnifique, fragment d’éternité/ Y a poussé.” ( Le baobab )
Le monde imaginé par le créateur poète et peintre doit unir la terre, l’eau avec le ciel, c'est-à-dire l’humain et le sacré : „Ma main dessine dans l’espace / Une ligne d’horizon / Faite de mots et de signes. / L’eau et le ciel se confondent / La ligne de flottaison se perd, / Les mots ont besoin d’une pause / Pour passer de l’autre côté / De l’univers bleu.” ( L’encre). En même temps, la poète affirme qu’elle est la création de son semblable, l’homme qui croît aux étoiles: „Vous m’avez ouvert le chemin merveilleux / De la création, / De la vision du monde intérieur / Dans ce miroir de lumière // Alors vous, l’homme aux semelles de vent / Qui semez des étoiles / Et des perles de rosée / Vous m’avez élevée.” ( Pygmalion ).
Elle exprime la conviction que seule la création miroir de l’intemporel durera et restera: „ Satisfait, il contempla la dome céleste / Où la voie lactée était venue s’inviter. / Ce souffle cosmique intemporel / Réveilla en lui l’horloge du temps, Puits de nos mémoires et de nos incertitudes. // Ce passeur d’expérance et de rêve / Glissa doucement sur le fil de l’éphémère.” ( Passeur d’espérance ). Le pouvoir d’entrevoir les essences est donné au créateur d’art par les mondes célestes: „Il allume une à une / Les étoiles du firmament, / Puis passe de l’autre côté du miroir / Là où l’arc-en-ciel lui fait un clin d’oeil, / L’astre solaire le salue, / La lune lui tire sa révérence.” ( Ailleurs).
Éliane Hurtado pointe par sa méditation les couleurs et les mots, qui composent en effet notre monde réel et celui des oeuvres créés: „ Tu jubiles déjà à voir apparaître / Les tendres couleurs pastel du matin / Le miroitement sur l’eau / Voilà, ton tableau est presque composé ! ” ( Etretat) et „Les mots sont les passeurs de l’âme ” ( Les mots). Elle avoue explicitement le fondement méditatif de ses poèmes: „Assise sur l’étoile des vents / Je contemple l’univers. ” ( Destin).
L’imaginaire qui donne la possibilité d’écouter la musique des anges, est aussi un terrain fertile pour le poète et le peintre : „Ils sont partis / Chercher un peu d’espérance, / Faire le vide, / Se suspendre au néant de l’instant, / Écouter la parole du vent/ Et la musique des anges. // ( ... ) Ils ont voulu // Ouvrir la porte de l’imaginaire / Pour voir le ciel mystique / Derrière l’arc-en-ciel ”. ( Les volets ).
La poète reconnaît dans l’amour la loi fondamentalle de l’univers, et l’amour des humain est un reflet de cet amour cosmique: „Je vous caresserai / Tel un rayon de lune / Jusqu’à la nuit des temps / de mon corps, de mon âme / Avec tant de passion / Que mes lèvres sèmeront / À vos pierds / D’indolents baisers / Festonnés de lumière / Et de fragments d’éternité, / Où le rêve évanescent , / Laissera place à l’aube frileuse / Jusqu’à transmettre / la résonnance universelle de l’amour.” ( Trace d’amour). Le chant d’amour de la poète devient un hymne à l’amour: „ Tu m’as accueilli dans un monde magique / où le moindre frisson / devient un écrin de lumière / Où l’écriture est une calligraphie enluminée / Faite de signes ignorés fragiles et secrets. // Main dans la main / Nous traverserons les galaxies / Jusqu’à l’autel de l’amour. ” ( Bras ouverts ).
On rencontre la référence poétique au mythe de l’androgyne, l’être séparé par Zeus en deux moitiés qui depuis ce moment-là se recherchent incessamment jusqu’au moment de la rencontre, pour refaire l’unité originaire: „ Quand nos chemins se sont croisés / Vous m’avez reconnue. / J’étais au fond de vos souvenirs / Comme une présence connue. / ( ... ) / Je vous cherchais / Depuis des millions d’années, / J’attendais que nos routes se croisent, / Déjà je vous connaissais / Vous étiez auréolé d’étoiles. ” (Croisement)
Les poèmes d’ Éliane Hurtado, essentialisés, d’une concentration maximale, semblent avoir une limpidité princière, qui révèle toute leur profondeur.
Prix d’honneur au concours « Excellence 2022 », Académie poétique et littéraire de Provence, France
Sonia Elvireanu : Ensoleillements au cœur du silence / Scintillii nel cuore del silenzio, poèmes
Edition bilingue français / italien , traduction Giuliano Ladolfi.
( Giuliano Ladolfi Editore, 2022)
Pour Sonia Elvireanu, la poésie est sacrée et l’inspiration poétique d’essence divine. La poésie se nourrit donc d’amour. Dans ce recueil, la parole alterne avec le silence, tous deux féconds, tous deux sources de sagesse sans qu’il y ait de contradiction.
L’‘amour / qui articule mon silence
En effet, il s’agit bien de faire parler le silence par l’intermédiaire d’un amour intense, rêvé et peut-être idéalisé. Alors seulement s’élève l’âme en un souffle divin. La passion est mystique puisqu’elle permet d’élever l’âme jusqu’à Dieu.
La nature est toujours présente dans Ensoleillements au cœur du silence ; ce sont souvent des fragrances venues d’Orient mais pas seulement, qui pénètrent l’âme de la poétesse, favorisant « la voie royale pour fleurir le temps renversé »
Pour Sonia, ce temps renversé, c’est celui de l’amour retrouvé par-delà la mort qui lui arracha l’homme qu’elle aimait. Écrire de la poésie permet de retrouver les senteurs du paradis perdu. Au creux de cette poésie sensuelle, « la lumière de la vie » est éternité : la vacuité du temps disparaît.
Il y a aussi ces papillons blancs : symboles de pureté ? Les pommiers aux fleurs enivrantes, les chants des oiseaux et les insectes envahissants…qui révèlent toutes les beautés d’un monde harmonieux, disparu et ressuscité grâce à la beauté de sa poésie.
*
Le paradis retrouvé dans les bras de l’Aimé, serait donc ce royaume du soleil levant qu’elle évoque en des vers aussi émouvants que le premier baiser ?
« je te chargerai les bras de scintillements
pour être vivant dans le mystère de la terre jusqu’à sentir
la lumière du dernier silence sur les paupières »
Pourquoi les premières amours ont-elles toujours le goût nostalgique d’un paradis envolé à jamais ? Peu importe qu’il n’y ait pas de réponse dans Ensoleillements au cœur du silence, puisque l’amour est lumière et réciproquement pour Sonia. Le sens est toujours à construire en harmonie avec la nature. L’arbre a des pouvoirs par la magie d’un regard amoureux :
« La floraison des arbres dans ton regard,
son éclat sous les paupières,
fais-la descendre en toi »
L’arbre est omniprésent ici. Il est la Vie, accomplissement et plénitude sur terre, le fidèle gardien de l’âme.
« mes arbres ont tous les horizons,
les couleurs de la rose des vents,
le levant, le couchant, le sud et le nord »
La nature personnifiée semble habitée par cette poésie : « Le ciel (qui) me sourit. », « Le soleil me nettoie […] », nature providentielle au sens fort. Il y a là une seule respiration faite de douceur et d’harmonie. C’est un peu comme si Sonia avait accès à ce paradis perdu dont rêve encore un être privé de lumière et d’espoir. Le mot « âme » est récurrent : ainsi dans le poème intitulé L’âme de la colline , l’expression revient trois fois, soulignant une nostalgie plus douce qu’amère. Serait-ce la civilisation, l’être humain qui ont perverti une essence divine? La poétesse le suggère sur le mode mineur. Il est vrai que le silence feutré souvent évoqué et invoqué dans ces vers tient lieu de bréviaire, de philtre peut-être. Sonia confère à la poésie une dimension sacrale où « seule la lumière donne goût au silence ».
Ne nous y trompons pas : si cette poésie a le goût du sacré, c’est de la plus belle façon : peut-on parler de panthéisme ? Je l’ignore. Peut-on affirmer à l’instar de Lamartine que, pour Sonia Elvireanu, « borné dans sa nature, infini dans ses vœux,/ l’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux » ? J’aime qu’elle fasse référence aux dieux de la mythologie plutôt qu’à un seul Dieu. Pour elle, d’ailleurs, il ne saurait y avoir de contradiction, mais l’ expression du syncrétisme de sa pensée.
*
« Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru (…) »
J’ai pensé à ce passage de Camus dont la beauté lyrique me transporta adolescent, en lisant et relisant ce recueil. Je me disais que ce sont parfois (souvent ?) les athées qui parlent le mieux de la divinité, du sacré et de la fusion de l’être humain avec une nature où subsiste parfois un goût d’innocence. Sonia, je pense, acceptera volontiers cette réflexion.
La poésie de Sonia Elvireanu est bien un arc-en-ciel. « arc-en-ciel de mon silence » , affirme-t-elle, mais aussi celui de la beauté blottie au creux de ses mots.
Scintillii nel cuore del silenzio de Sonia Elvireanu – Éditions Giuliano Ladofi. Traduction de Giuliano Ladolfi (2022)
ou
L'arc-en-ciel du silence
Dans son dernier recueil, Sonia Elvireanu écrit depuis le silence, pour et par le silence et passe d'un silence habité à un autre.
Dans ce nouveau parcours poétique, tout n'est que pont d'un amour à l'Autre, d'une rive solitaire à un rivage peuplé, d'un ciel blessé à un ciel confondu, du rêve au réel, d'un chant bleu au chant immortel.
L'arc-en-ciel qui enjambe le recueil, lien de lumière et de couleurs est ceinture entre le ciel et la miraculeuse argile. Parce que ce silence en elle, Sonia Elvireanu le provoque, l'écoute et voit le monde qui l'entoure avec les yeux du ciel. Je me suis retirée dans la solitude/ pour être près de toi, te chercher et te parler, écrit-elle. Et par ce vers, on distingue le double mouvement qui dans ce recueil anime la parole de la poétesse : se recueillir en sa solitude pour retrouver l'amour perdu mais aussi se rapprocher d'un autre Amour qui englobe le premier.
Dès le premier poème, Sonia Elvireanu donne le ton. La poésie pour elle, est ce seul murmure en langue bizarre où la voix étrange du Poète s'élève et celle du Très Haut descend en parfaite communion. Je t'écris où toutes les choses parlent car parler c'est lumière.
Et tout parle en couleurs, en lumières, en explosions de fleurs, de fruits, en parfums délicieux, en langages d'oiseaux qui remplissent le vert/ silence de la solitude comme un lien entre terre et ciel. Les bras du silence.../ s'accrochent aux odeurs et la poésie peut devenir l'eau miraculeuse de la guérison.
Il y a dans cette écriture une forme d'élégance soyeuse (le mot soie est récurent), un sentiment d'intemporalité symbolisée par les papillons blancs messagers ou écailleurs d'ombres (à l'aube, des ombres écaillées de papillons), un effleurement des pas sur l'ardoise du sable où la poétesse écrit l'amour, la solitude, une tentative d'aller au-delà des lointains, là où attendent l'amour et peut-être cet Amour qui signera la fin de la solitude.
Dans le même temps, s'exprime tout au long du recueil une souffrance vigilante qui refuse l'orage des mots noirs qui risquent d'entraîner vers la chute et veille à refaire chaque fois, le pont écroulé pour que l'arc-en-ciel s'y pose.
La poétesse devient la myrrhe de l'amour, celle qui cicatrise et encense en élevant son parfum vers le ciel.
Cette poésie bruisse, bouge, frôle, coule. L'eau – océan, source, fontaine, ruisseau- est aussi présente que la lumière, aussi subtile et essentielle.
Sonia Elvireanu écrit aussi depuis le cri noir du confinement, des ravages du virus, ce rouge qui s'étend comme la rougeole alors même que le printemps se montre dans sa splendeur et qu'un arbre vert/ pousse en nous. Ce silence de tombeau l'incite à la prière comme un appel à la lumière de la Résurrection.
Peu à peu, la sérénité se fait chemin en la poétesse qui commence à voir la beauté/ dans tout ce qui (l') accueille et féconde les terres stériles de la solitude des fleurs de la parole poétique.
La langue de Sonia Elvireanu toute de délicatesse, de touches infimes tel un flocon/ dans la chute des neiges ou l'effleurement des papillons/ sur les eaux de l'oubli atteint les tréfonds du silence telle la perle/ souffle de psaume.
Le silence alors parle, articule la lumière, la beauté, l'attente, la solitude et la soif de l'Amour car le mot a pris corps, il est incarné, il est arc-en-ciel.
Les miaulements s’élevèrent à nouveau, insistants et provocateurs, sous la fenêtre du père Lanselme. Furieux d’être réveillé, le gros homme jaillit de son lit, se saisit du pistolet posé sur un guéridon et fit feu à travers la croisée entrebâillée. Pas assez vite. Les deux chats qui venaient de sonner minuit à leur façon détalèrent dans l’ombre, indemnes.
- Maudits greffiers ! Vous ne perdez rien pour attendre ! Si vous croyez que vous allez continuer à me mener la vie dure !
Théodore avait de quoi être irrité. Une semaine déjà que ces félins importunaient sa famille à qui mieux mieux, miaulant dès l’aube comme des possédés, en couvrant même le chant du coq; réitérant à n’importe quelle heure du jour et de la nuit près de son domicile; dérobant de la nourriture chez les Lanselme, que portes et fenêtres fussent ouvertes ou fermées.
La veille, ces diables d’animaux s’étaient introduits nuitamment par la cheminée du grand salon, subtilisant un saucisson dans la cuisine et laissant des traces de pattes noircies de suie dans toute la maison. Ces larcins et malices attisaient d’autant plus la colère du riche marchand d’étoffes qu’il s’était ingénié à la mort de son épouse, un an plus tôt, à éloigner de lui tout ce qui ressemblait à un chat. Des années durant, par amour pour sa chère défunte, il avait supporté la présence de la gent féline dans son entourage, mais la page était tournée. Du moins le croyait-il… Depuis plusieurs jours, deux représentants de cette engeance étaient réapparus dans son quotidien, non pour le meilleur mais pour le pire.
Ils vont voir de quel bois je me chauffe ! se dit-il. Ma patience est à bout. Avec mes fils, demain, je vais frapper un grand coup. Mais il me faudra l’aide de Delphine.
A la seule pensée de la cadette de la famille, le père Lanselme respira mieux et un sourire s’ébaucha sur son visage rougeaud.
Ma fille, elle, réussira, se persuada-t-il. Avec sa délicatesse innée et ses manières de fée, elle arrivera bien à attirer ces maudites bestioles là où je le voudrai, et alors…
Revigoré par ces belles résolutions, Théodore se rendormit bientôt et passa à l’action dès le lendemain, comme il se l’était promis. Les jours précédents, malgré leur adresse et leur ruse, ses fils Arthur et Rodrigue avaient échoué à tuer les chats à coups de pierres. On eut dit que l’odorat des bêtes était décuplé et les faisait s’enfuir au moment opportun, juste avant de recevoir la volée de gros cailloux apprêtée par les Lanselme. Les tentatives de capture avec un filet de pêche s’étaient révélées aussi vaines.
Ce matin-là, tout se déroula autrement. Ayant aperçu les félins dans le pré qui bordait la bâtisse familiale, le veuf fit venir Delphine, une beauté de vingt ans aux longs cheveux auburn et aux yeux pers, et lui détailla ses instructions. Peu après, la jeune fille avait comme magnétisé les animaux qui la suivirent jusque dans la cave de la demeure, en ronronnant et en se frottant contre ses jambes. Elle leur versa un peu de lait dans une coupelle puis se retira, non sans avoir fermé à double tour la porte d’accès.
Théodore ne cacha pas sa satisfaction. La douceur féminine avait opéré un miracle !
Bon, nous allons laisser ces sales bêtes crever de faim. Dans quelques jours, quand justice sera faite, nous les enterrerons loin d’ici, ou mieux encore, nous les jetterons dans le Rhône. Voilà un problème de réglé ! se réjouit l’homme, un rictus cruel plissant ses grosses lèvres…
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Philippe VEYRUNES est Lauréat de l'Académie Française
Éditions les Poètes français, 151 p., Paris, 2021
ISBN : 978-2-84529-313-7
Imaginez l'atelier de Botticelli à la Renaissance, avant Savonarole, Jean Calvin et l'ère victorienne : célébration de l'éternel féminin qui faisait penser aux temps antiques, à la villa des Mystères de Pompéi, à un Orient fantasmatique... Imaginez, bien plus tard, l'amour courtois dans toute sa noblesse et, de manière plus contemporaine, relisez les poèmes d'Apollinaire, d'Aragon, d'Eluard. Imaginez un artiste non figuratif mais qui peint les mots de la tendresse sur papier de Chine. Peut-être rencontrerez-vous Michel Bénard, écrivain bien connu au-delà de Reims et de Paris, lauréat de l'Académie française, funambule des arts, lui-même tout à la fois peintre et poète, dont la plume de soie nous révèle ici ses foisonnements célébrant l'amour...
Ce recueil, une véritable somme, porte en tête un titre énigmatique et luxuriant : Les caresses du ciel. La relation est mutuelle, assumée, avec une dimension venue d'un ailleurs. La première de couverture ? Un tableau d'Alain Bonnefoit, suivi, dans les entrailles du livre, par une dizaine de toiles d'autres artistes, le tout, en quadrichromie. Une préface, signée par Jean-Pierre Paulhac, souligne l'élévation du corps et de l'âme dans les poèmes qui vont suivre, sans paillardise ni voyeurisme, mais qui tendent à un couronnement affectif.
Venons-en aux textes. Au-delà de la volupté, trois axes me semblent s'imposer : l'amour lui-même, le rayonnement pictural de la poésie et sa portée dans l'au-delà.
L'attachement (dans le sens d'Agapé) préside aux propos : Un soleil de nacre
Réchauffe les secrets de lecture
Des poèmes intimes
D'une énigmatique
Fileuse d'amour
Masquée par un contre-jour
Mais Raphaël est passé par là, avec la carnation de ses femmes aux courbes sublimes, le regard de ses madones, la douceur potelée de ses cupidons. Une dimension esthétique est omniprésente chez Michel Bénard qui est avant tout visuel :
Au cœur d'un rêve je fixe
La flamme d'une étoile,
Qui laisse soudain naître
Le sourire de votre visage.
Me voici alors plongé dans l'extase
Ineffable d'un instant émerveillé
Sans cesse, l'écriture tend vers un Plus Beau, vers un Plus Haut , avec une perspective quasi-mystique :
Princière, te voici debout
Telle une icône divine
Transmettant à l'homme
Le mystère de la création
Ainsi, tous les feux porteurs / des couleurs de l'amour se fertilisent mutuellement grâce à ces trois dimensions qui nous enchantent de manière pérenne.
Sans doute Michel Bénard est-il un magicien ou plutôt un humaniste de la Renaissance, tout à la fois sensuel et subtil, en son atelier du verbe et de la couleur.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...