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15 janvier 2023 7 15 /01 /janvier /2023 07:48


Prix Louis Guillaume 2023, éditions Le Silence qui roule

Excellente nouvelle pour Béatrice Pailler lauréate du Prix Louis Guillaume 2023 ! Formidable début d’année pour elle !

Ci-dessous un note du poète Michel Lamart

 


    Herbes folles confrontées au jardin, sa rigueur, son soin, et, entre les deux, le chemin où il est doux de se perdre car « aujourd'hui est ailleurs où hier conduit à demain. » Toute la subtilité du propos réside dans ce va-et-vient permanent. Et Béatrice Pailler en file brillamment la métaphore. Le projet – pacte de lecture – s'affiche au seuil du recueil (du jardin) dans un verset qui précise clairement la démarche de la poète :
    « Le vent sème et l'herbe et l'homme, enracine l'un, déracine l'autre. L'herbe est de poussière et d'eau. L'homme est de terre et de larmes. Histoire commune, voyage commun. Le vent sème. Un brin d'espoir pousse au chemin. »

    C'est à ce voyage que nous sommes conviés dès la première (« Corps sauvageon ») des trois parties subdivisées en deux sous-parties qui constituent le corps de ce recueil de proses poétiques. C'est ce corps où circule la sève qu'il nous est donné de parcourir par la magie incandescente de la langue d'une richesse exubérante – quasi végétale – de Béatrice Pailler.

    « Corps sauvageon ». Ce qui compte, ici, c'est l'adjectif. « Sauvageon » désigne à la fois l'arbre non greffé et sujet à greffer et l'enfant qui pousse, tel un petit sauvage. « L'oubliée » s'anime, danse, rêve : « En chasuble de nuit, avec la lune pour compagne, l'herbe vit son plus beau rêve. Un rêve d'infini. » Cette danse « qui du vivre au mourir régit l'homme. » « D'Autan et d'Ancolie » : c'est l'incursion dans un fantastique orchestré par le diable : « Le diable à voix de cor lève le camp, battant campagne en appel à ses fous. » Vent orageux et agrément des jardins : « sur la toile de mai l'ombre en bouquet épouse ta main. » Insaisissable ancolie : « Nul ne peut l'atteindre, nul ne peut l'étreindre ». Le vent, le traître, « découd nos pensées » mais « l'Ancolie veille, portant l'aube dans ses poings. » Triomphe de la lumière sur le diable et la mort.

     « Sève et sang ». « Grand » devient l'étalon, la mesure d'une vie menacée par le chaos, le mystère, la mort « Seuls au grand Rien, Grand Néant. » Nouvelle confrontation. Cette fois du dehors et du dedans. Avec la fenêtre en miroir qui « naufrage l'instant. » La nuit « cogne à la fenêtre », efface le dehors et avive le dedans. Révèle la fable mythologique où triomphe, à la croisée des chemins, la maléfique Hécate. Vieille histoire sur laquelle toujours veille l’œil à travers une fenêtre où « s'absente le vivre, s'invite la vie ». « Dis-moi » opère, par les mots (« respiration de nos corps », « sève et sang de nous-mêmes »), une approche du jour et de la nuit. Clair-obscur qui mime la frontière ténue entre sommeil et insomnie : « L'insomnie veille, mangeuse de rêve ; sommeil à tire-d'aile que la chouette salue d'un cri de lune. » On y retrouve la fable qui est le récit de l'enfance autour duquel tout s'organise mais dont il faudra bien s'échapper... pour devenir « Grand » : « L'oiseau, le cerf et le loup sont en mémoire comme en cage. Artisans de la nuit, ils usent la faim, façonnent de nouveaux mots, de nouveaux rêves pour que, paupières closes, le hanneton n'écoute plus sa peur. » Le monde devient lui-même récit : « la fenêtre ouvre le livre. » Acquiert, avec son unité, son sens : « un seul monde, trois visages : l'arbre, le loup et le poème. » La louve (« Au jardin : l'enfance de la Bête. » qui rôdait déjà dans « Sève et sang ») enfante le futur dans ses jappements : « De cris en appels, de souffles en mots, par la voix naître au monde. »

    « Fenêtres » Au clair de l'hiver : février. C'est la transparence du poème réinventée : « La fenêtre à verse et de verre et de temps. » Alors, « L’œil éclaire le monde, donne un nom à toutes choses ». Pour cela, il a fallu traverser le sommeil, cueillir le fruit à naître du poème. Lequel invite au voyage dans son éclosion : « Ainsi vient le poème. Ainsi voyage le poème : joie posée sur l'indicible du jour, l'inarticulé de nos vies. » « L 'herbier du poète » retour à l'indécision du clair-obscur : « Entre le sombre et le clair, les fougères penchent incertaines du choix. » Condition essentielle de l'écriture : « Aux branches de l'ombre mûrit le poème. » L'herbier du poète présente la richesse d'un inventaire que l'on feuillette de saison en saison : sous-bois de mars, renoncules rapportées des croisades, graminées couleur de plumes, pissenlit dont le « feuilles font jardin », chardon, l'ivraie « sang de nature » qui vêt le chemin - « sans elle, la parole s'éteint », le lilas et son secret, l'hortensia cuvant ses liqueurs, chant de l'oiseau « fruit de l'aubépine », néflier « chargé d'automne ». Tel est cet « Herbier de silence où s'inscrit le temps. »

    On sort de cette lecture ébloui par la richesse inventive de la forme, le renouvellement des images, le travail de la syntaxe. L'écriture. Le style n'est plus « de l 'homme même », comme l'écrivait Buffon. Il est aussi de la femme. Totalement. De manière parfaitement assumée. Il est travail. Il ne traduit pas ce « ressenti » dont nous accablent trop de poètes d'aujourd'hui.  Béatrice Pailler nous rappelle ici quelque chose d'essentiel :
    « Se dépendre du réel, telle l'eau : eau des fontaines muettes, eau du chemin trop dur, eau des paupières ; simplement se dépendre.

    Revêtir le temps pour écouter l'instant, l'inscrire en nous. Cueillir aux lavis des fenêtres le silence, sa force. Ainsi viendra le poème. »

    N'en déplaise à Rimbaud : on ne naît pas poète (« Lettre du voyant »), on le devient !

    Évelyne Voldeng – à qui fait penser le travail de Béatrice Pailler (thèmes de prédilection identiques : nature et flore –, au début des années quatre-vingt-dix, avait distingué quatre modèles distincts d'écriture féminine/féministe : biologique, psychanalytique, linguistique, culturelle. Le biologique fait ressortir qu'un texte est marqué par le corps (anatomie et textualité). Le psychanalytique situe la différence dans le psychisme de l'auteure et dans le rapport qui s'établit entre le genre et le processus créateur. Le linguistique cherche à confirmer l'hypothèse que la différence sexuelle est l'axe des variations du langage. Le culturel s'approprie les modèles précédents mais les interprète en fonction du contexte social dans lequel ils se produisent.  C'est le cas de Béatrice Pailler chez qui le glissement du corps vers la langue s'illustre dans la métaphore du jardin.  

    michel lamart  

 

 

 


 L'Autre Versant,
 Le Silence qui roule

 9782492888021 / 15€
https://www.lesilencequiroule.com/

 

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