Les portes du dire s’entrouvrent sur une évocation discrète, pudique de la vie : Parmi des herbes, des bleuets et des pavots / les caresses de l’été dans la plaine brûlante, hymne panthéiste à la nature : des nénuphars fleurissent dans mes cheveux. Au-delà du silence pulse une présence lointaine, évanescente mais tellement présente, qui se tient au bord des falaises vertigineuses de l’absence : il nous reste la rupture, l’immobilité, la douleur / il nous reste le silence.
Appuyée sur une digue de feu, la Poétesse, Orante d’une liturgie, laisse ses pas s’éloigner : nous sommes les cicatrices. Les mots en fusion, sang du vent, cantiques d’éclairs, tressent des fruits de haute mer, ils s’enroulent, épines et pétales : les paroles cherchent leur chemin jusqu’à nous.
Mots équinoxes, secrets, mordants, traces, les ombres au goût de sel se mêlent, s’entrecroisent dans les levers d’aube silencieux et les frimas de la nuit alors que le sang flagelle encore le corps : je flâne sans cesse égarée / sur le chemin d’hier.
Les élans silencieux de Sonia Elvireanu , il faut les humer, caresser leurs encolures. Ils tissent l’absence : Je t’ai cherché, tu n’étais nulle part. La mélancolie va l’amble avec son cortège de houles et de retraits, de regrets et de tempêtes : je suis une ronce dans la plaine. Interstices dans le silence : le lever et le coucher du soleil / se brisent dans mes mains vides.
Les mots–larmes, derrière les paupières, partent sur les rives de la solitude, présence du dire, force du manque, il faut toujours se baisser pour passer les écluses qui se déversent dans les estuaires nocturnes : cette nuit, je cherche un abri.
Malgré la grisaille du silence, de l’absence, ce recueil est un verre de lumière à boire à petites gorgées, ce sont des images sur la peau des plantes, des ébauches de roulis et d’écume qui viennent mourir sur l’aube, ce sont des vagues intérieures. Torrentueuses, elles ont le parfum de l’aimé si lointain et pourtant si proche : et par-dessus le monde / Ton sourire.
La Poétesse, grande véneuse, lâche ses chiens, la vie est aux abois. Le grand cerf ne meurt qu’une fois dans la forêt des souvenirs : saignement du vivant.
Oratorio de fugues pour des lèvres en bréviaire qui psalmodient de secrètes oraisons : une croix allumée dans la main.
Les phrases passent entre les ronces pour ne retenir que le pollen déposé par l’abeille qui a butiné. Le désir est toujours là, pudique, il tenaille les mots pour se perdre dans le souffle du ciel, la vie se nourrit d’interrogations, d’attende.
L’auteur, à l’image de Jean Orizet, est pèlerin de l’indicible, témoin de l’ineffable.
Avec ardeur les pulpes sont fécondées, les sucs du regret se transmuent. Germent les élans, subtile et discrète prière, nuages vers l’au-delà, vers la Transcendance. En effet, ce recueil pourrait-être un livre d’heures que l’on tient avec recueillement, c’est une prière intime celle que l’on murmure dans les fentes et les cicatrices du cɶur, dans les pulsations d’aubes noires. Ce sont parfois des psaumes que retiennent les nuages, avant de se mêler à la musique des sphères dont l’auteur conserve les accords au plus profond de son âme : Dieu donne de la sérénité / à ma pensée / pour que sa limpidité / ne tombe / nulle part en chemin.
Sonia Elvireanu nous livre discrètement sa respiration. En la partageant, le lecteur chevauche l’océan, mange les étoiles, les vagues, les fleurs, se brûle aux éclats d’un soleil noir, s’éclaire aux ténèbres, retient le début et la fin du cri de l’oiselle.
Dans le précaire équilibre du crépuscule, entre sève, braises et songes les ombres sanguinaires descendent l’escalier des impatiences, offrandes pour les âmes perdues.
C’est l’heure où la lumière est à deux pas de l’Invisible. Comme Bonnefoy, l’auteur charge ses rêves dans la barque. Pour quel voyage ?
C’est un feu de brousse, une flamme vêtue de bure, une braise dans la cendre, la brûlure du soir sur la sinuosité des souvenirs. Les ombres ne repartent jamais seules et Sonia Elvireanu le sait. Lorsque le manque érode l’écho gémissant, l’auteur le ramène au gîte dans une brûlante et discrète andante qui enserre l’espace balayé par le lin de tous les vents.
Mais que sont les souvenirs devenus ? Ils caressent et mordent : rencontrent-ils leurs corps ?
Dualité du manque, à travers les branches d’olivier : la seule voie vers toi : l’amour.
Superbe recueil, à lire comme un livre d’heures, prière à réciter pour que nous soyons vivants tels le pain et les poissons / offerts par Jésus aux Siens, alors, demain, peut-être / mon heure fleurira / au bord de la vie assoiffée de toi.
L’auteur, paumes offertes à l’Invisible, recueille un souffle de ciel, un souffle d’amour.
Nicole Hardouin
Lorsque vos mains se referment sur une déchirure et que les anémones s’inclinent, pousse d’hiver en recherche de chaleur, suis-je feu de brousse dans le glissement des ombres ? Débris flammés enveloppés de bure, braise pour un nid cendré, onde mendiante venue des contrées lointaines, je ne sais plus.
Lorsque, indifférente à mon désarroi, la lune bâille tenaillée par le vent et que les étoiles tremblent contre la galaxie des rêves en ébauche, suis-je frileuse dans les rets de l’enfer ?
Harmoniques sans partition, lèvres en gémir à la douane des chimères, je ne sais plus.
Lorsque les mots s’effilochent aux berges du vertige et qu’une plume, valse lente, calligraphie un ciel déchiré de regrets, je suis un oiseau sans ailes au bord d’une source de silence.
©Nicole Hardouin
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Je vous avais offert une clairière aux yeux de biche, un vitrail et tous
ses anges musiciens, des fruits défendus dans un jardin secret.
Aujourd’hui je cueille des épines noires sur un sol glacé.
Nous avons fait ripaille dans les cernes du mirage.
Des orties poussent au bout de mes ongles.
L’hiver sort du miroir.
Cendre blanche, braises noires.
A perte d’âme et de corps, les ténèbres.
Mantille pour un désespoir.
©Nicole Hardouin
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Préface d'Albert Longcham, sj
Éditions Librairie-Galerie Racine, Paris, 2020
Claude Luezior a rédigé ce recueil à l’âge où la vie semble un jeu, une énigme, une farandole joyeuse comme celles que savait si bien conduire François à Assise, avec la complicité de ses amis, les «tripudianti».
Est-ce un ange qui a tenu la plume de l’auteur voilà quelque cinquante ans ?
Quelle force a-t-elle poussé cet adolescent rieur de 17 ans à un engagement d’une telle densité, qui troue les ronces Entre désespérance et espérance pour n’offrir que L’encre / Des prophéties ?
Déjà son regard intérieur est oasis sans nuit froide, il est conscient de la dualité du vivre : Nuit d’aveugle. Nous le sommes toujours, devant ceux que nous crucifions ; Nous avions laissé tant d’enfants sur le bord du chemin. Si jeune, il a assimilé la croyance en l’Amour Là-haut / Les paumes / Ouvertes / Du crucifié. La réalité de l’Attente : Nous étions aux abois, un credo sur les lèvres. La force du pardon : À nouveau / Respiraient / Nos mains/ Le moût / des êtres / Bouillonnait.
L’auteur sait que la délivrance est enfouie dans le gémir de l’extrême, Il était là, quelque part / En ineffable présence. Il se rend compte, tout comme Max Jacob, que la mort est céleste pour la première fois.
Luezior ayant compris la difficulté et le mystère de la Rencontre, Nos bouches tremblèrent / Entre blasphèmes et espérance, égrène ici son premier chapelet, le seul où il met ses pas dans la montée du Golgotha, versets dépouillés d’une très longue succession de textes qui, au fil des années, deviennent, dans d'autres livres, rosaire poétique dans des registres variés, sensualité, humour, attente : toujours les mots se transmuent en eau vive.
Pourtant il est à remarquer que, dans les derniers recueils de l’auteur et particulièrement dans Jusqu’à la cendre (2018) l'on retrouve des échos, l’empreinte de l’atmosphère de Golgotha, par exemple : C’est ici que suintent en désespoir balafres, cicatrices et doutes, c’est ici que dansent les blessures d’un artiste au pied de la croix, ou encore : Lorsque se condense au fond de nos entrailles l’infinie parole d’une prière. Le feu mémorise toujours ses braises.
Dans Golgotha, avec fougue, recueillement, passion, Luezior nous fait vibrer un credo sur les lèvres.
C’est un livre d’heures à lire, mains jointes, comme aux premiers temps Au seuil / D’un précipice / Devant le tronc / Exfolié de paroles / Des mains / Se joignent.
C’est un hymne avec Des mains de vierges / Et de femmes / Mains gothiques / Hautes comme des cathédrales / Mains des siècles /À venir.
C’est un chant de silence. On était à la onzième heure / Celle où s’arrêta l’éternité. C’est l’écho de Verhaeren dans Humanité : les soirs crucifiés sur les Golgothas noirs, portons-y nos douleurs et nos cris et nos plaies.
Luezior déchire l’absence, il ouvre d’étranges portes sur le seuil de la foi. Sous la trace du cri, dans la souffrance, apparaît un visage : La douceur de la Femme / À l’enfant / Le miracle de la flamme / La flaque de lumière / Un miracle de mère.
Avec des phrases réduites à l’extrême minimum, ce qui décuple leur intensité, ce recueil est une prière ardente qui s’incruste dans l’âme du lecteur. Luezior, un des plus hauts poètes contemporains, lauréat de l’Académie française, a écrit là un livre d’une force exceptionnelle, passant de la douleur à l’espoir, du sacrifice au renouveau : Nos âmes avaient fait peau neuve. La force de l’image dans sa brièveté est exceptionnelle, sa force en est décuplée.
Ce recueil est un livre d’amour, d’espoir : Le Golgotha n’était plus souffrance. Il était résurrection. On peut penser que l’auteur est un moine-poète sans bure, en ce sens où il écrit dans le silence et la solitude de son bureau qui est, au fond, son oratoire. L’adolescent a su faire face à la puissance de l’inexplicable. Tout comme Rilke, il a très tôt compris que le futur doit vivre en toi, bien avant qu’il ne survienne. Tu n’as qu’à attendre la naissance, l’aube d’une nouvelle clarté. C’est tout le cheminement de Golgotha.
Il est à souligner que les illustrations de Golgotha, mines de plomb et encres sont de l’auteur : elles ont aussi été réalisées au même âge que les textes. En les observant on pense aux encres de Cocteau.
Superbe recueil qui par la magie de l’image, de la poésie, permet d’accéder à une lumière véritable.
©Nicole Hardouin
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Devant les giboulées d’airain
les chemins s’enfuient
escortés de chiens.
Dans le brèche de ton regard
les herbes se couchent
les grands pavois grimpent vers la cime
dans des envolées de harpes moussues
l’eau aux lèvres salées jaillit de tes paupières
saveur d’origan.
lucioles au visage de cite
n’éteins pas la bougie.
©Nicole Hardouin
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Dans les griffures du temps
les amarres se rompent
l’indifférence floconne
reines et cavaliers dorment sur un damier gelé
j’apprends à te désaimer.
Au gibet de l’hiver
le joyeux délire des fantasmes se balance
la famine ripaille
l’insouciance efface ses marelles
la rosée noircit
les mots butent à cloche-pied
les légendes roulent leurs chimères.
Pourtant
mon cœur faseye encore
aux notes de ton rires
personne ne joue plus
sauf toi
ailleurs.
©Nicole Hardouin
In Le Rire de l’Ombre
Ed l Harmattan, préface de C. Luezior
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Mirage, mirage dans le sang des mots, dans les rumeurs poussiéreuses des racines, sur des sentes à enluminer.
Faire l’amour comme des éclairs dans l’orage, comme les feuilles sous le vent, comme deux esquifs en perdition sous le regard de Méduse, comme des fantômes dans le lit du torrent, comme des feux de brousse, comme l’encens qui étouffe le jasmin, comme les cernes bleus autour d’une imploration.
Mirages, mirages, les rêves en échos s’enfuient, les énigmes s’enroulent dans l’insolence du vent, dans des traces sans passé.
À s’en rendre fou à s’en rendre sage, ouvrir l’espace du vivre pour une petite mort.
Nuit de lave, drap de suie.
©Nicole Hardouin
In Lilith, l’amour d’une maudite
Ed L.G.R Paris, préface A. Duault
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Sur la table de l’orfèvre
un liseron jaune joue autour d’un tambour oublié
il regarde les poissons articulés
qui attrapent des pêcheurs dans des filets percés.
Sous la table, deux enfants égratignent une rose
et font saigner les épines.
Par la fenêtre fermée se faufile
une odeur de paysage détrempé et de lis fanés.
J’écoute dans le vent
la montée des pénitents blancs
ils agitent leurs crécelles
en grimpant jusqu’au toit des chimères
celui qui corne les songes.
Lorsque les anges feuillètent la nuit
la neige sème des minutes et casse les heures
silencieux, Amour se balance et cherche un visage
dans un ruisseau asséché.
Sur la table de l’orfèvre
le liseron jaune s’est refermé
Amour s’est noyé.
in Les Portiques du Vent, L.G.R. Paris
©Nicole Hardouin
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