Au bruit de l’âtre où la flambée s’effondre, goutte menue, le chant de la clepsydre s’est perdu. Rehaussée de halos, l’obscurité qui vaque n’en est que plus souveraine. Quelques flammes errantes, éclairent, vagues, la pierre aux ombres souterraines. Au domaine de l’aragne, sur le manteau de la cheminée, s’empile un désordre ancien : vestige d’une vie. Parmi des brassées de parchemins, les infolios pleurent dans le sable des encres leurs paroles enfuies. Sous la lampe pensile, le savoir tisse la patience et, au pupitre, l’homme sage en sa croyance jamais ne désespère. Lui, il sait que, sous les soleils éteints des cuirs, la vérité dort, lumière en linceul de peau, plus précieuse que l’or et l’argent. De longues heures ont passées qui ne sont pour lui ni jour ni nuit, mais prolongement de l’attente. Parfois, une voix se fait entendre, c’est un autre lui-même qui parle à son cœur.
…Giordano, Giordano …hâte-toi, ils arrivent…
Est-ce la fin ou le commencement ? Une clameur sourde gronde au sein du silence. À la fois juge et bourreau, elle répercute l’écho d’une noise indomptable. La lumière au soupirail s’affadit. Le feu sénile caquète d’un étrange babil où se content vanités et bûchers. Prophète au corps de cendre, il ne dit rien que l’homme ne sache déjà.
…Giordano, Giordano…la connaissance est un brasier…et l’univers une geôle infinie où le temps prône l’oubli
Souvenir atavique des jours de colère, la lumière à longs traits chute sur la terre. Flèches ardentes empennées de soleil, vous êtes les archangéliques larmes du ciel qui suintent des ailes saintes souillées de fiel qui martèlent les dômes de verte luminescence et transpercent les feuillages d’émail intense.
Dans une chute que rien n’arrête, ni frondaison ni socle de pierre, aux entrailles des gouffres, ces vastes béances, vous allez vers Lui, vers sa tanière, son domaine muet, sa geôle princière.
Il a ouvert les yeux sur une lumière muette, une lumière de neige éblouie, comme au pays quand l’hiver rudoie. Même ainsi, il l’a reconnue. Elle n’est plus de ce rouge souillé qui colle au corps, ce rouge des terres nourries d’hommes. Ici, elle est blanche. Mais rouge ou blanche la peur reste la peur. À son chevet, elle l’a veillé et à son réveil, elle l’a embrassé. Il n’ose pas regarder au-delà de ses cuisses, là, où le drap, cette nappe vierge, lisse, tendue de frais, est une plaine morte. Il se souvient d’avoir hurlé, le jour, la nuit, de longs cris, une plainte inhumaine. Et puis la morphine, l’a enlevé à lui-même.
Dans sa main d’enfant, la pierre récite sa prière éternelle : le plain-chant de son pays.
…Sous la chape des lumières basses, monte la respiration des gorges escarpées. Le fleuve fileté de brumes a la pâleur des cierges. Il est tôt, mais les premiers travaux sont achevés. Près de lui, Ochrim, le vieux passeur de rives, interroge le contenu de son vêtement et tâte, au travers du tissu, le rebond de sa poche. Que donnera-t-il aujourd’hui ? L’homme murmure : « Fils, elle est parfaite, offre-lui la meilleure des cibles. » Disant cela, le vieux dépose, dans la paume du gamin, une douceur de pierre, laiteuse, veinulée de bleu. « Sais-tu, petit que ce cailloutis de ruisseau est de ceux que l’on nomme larmes de rivière ? La Neretva me l’a donné. »
Dans la main de l’enfant, la pierre aux ocelles bleutés roule, tel le fleuve au glacis de nacre.
Tadek est fasciné. Oui, elle est parfaite, fatale, taille, forme, poids, la munition idéale pour son lance-pierre. Quant à la cible, il n’y en a que deux qui soient dignes d’elle, difficiles à surprendre, capables de représailles. Un seul tir, il faut choisir ; Stavro ce croque-la-mort de fossoyeur où le bedeau tout pareil à une motte de beurre ?…
Le temps a passé, la pierre lui est restée. Jamais, il n’a pu s’en séparer. Sur la toile anonyme, lentement, son poing s’est ouvert, comme au pays quand la glace cède et libère. Entre ses doigts, pleure la Neretva.
Fardeau du jour, léthargie du soir, aux heures blanches serties des lueurs des cierges, les vestales au silence demeurent asservies. Les bûchers assagis s’enlisent, incendiant le pâle de leurs visages impassibles. Et dessous le métal des blessantes parures, les peaux s’animent de luisantes moirures. Icônes serviles d’ivoire blême, elles sont à l’image des idoles qu’elles vénèrent. Et parmi les vapeurs d’encens, sous les dais de soie, sur le brocart des divans luxueux, elles sommeillent dans la divine langueur d’une chair complice. Au brasillement des lumières, une aube feinte estampe la pierre. Dévouées captives, femelles recluses à vos côtés, se couchent les ombres. Unies en ces ténèbres que la beauté féconde, peaux soyeuses, pelages sombres dans l’attente se mêlent et se confondent. Sur les palanquins de leurs litières figées, face aux autels froids, elles reposent : luxurieuses figures de marbre lisse.
La nuit enlace la nue d’une étreinte où affleure le sang. Emmaillotées de ténèbres, les chandelles du temps une à une s’éteignent. Et dans l’obscurité naissante d’une nuit souveraine pour les Dieux arrogants, les cieux outragés saignent.
Voici que du sein nourricier des forêts, la Panthère s’éveille. Aux premiers rais de lune, elle quitte son gît ; goutte de naphte, sa robe supplante la nuit, sa queue fouette ses flancs. Elle flaire le gibier, le fumet du sang. Alors, elle feule, découvre ses crocs, mais dédaigne sa proie, car son désir d’humanité l’entraîne près des villages et des cités.
Sa voix hante les cieux, c’est le grand cri de la femelle en chasse. Alors, aux temples où la faim tourmente, les bouches, les gueules s’entrouvrent et aux pieds des autels, les poitrines fidèles s’émeuvent espérant en l’immense forêt.
Près de l’océan, sur la toile d’ennuis, les nuages s’aigrissent. Le ciel se grisaille d’embruns. Ici, le sel ronge la roche et en silence perfore les cœurs. Le froid consume. Au pays de granit, la pierre bouleversée pleure des cristaux de mer.
Près de l’océan quand l’orage se lève, l’horizon, paupières cisaillées, s’entrouvre. Et les ombres, prisonnières aveugles, libres se ruent. Rendues folles, elles essaiment leurs pluies de suie. Rendues folles, elles fuient dans la nuit, vers les falaises, le ressac aux vagues d’agate, vers la tempête, les furies aux seins d’albâtre.
Quand s’efface la servitude du jour, au soleil déclinant, le jardin se dénude, les calices offerts chantent et le vent mécréant sème sa folie.
Ressac flamboyant, les parfums fouettent la nue, déposent aux joues des nuées leurs miels musqués. Colonisant les massifs, le crépuscule rôde. Les mauves pâlissent en roses fruités. Ici, aux tapis des pelouses, une teinte bleue étourdie volette. Le vent forcit. Le jour faiblit. Assourdie, elle vire violette.
Au brasier du couchant, le ciel couve ses derniers feux. La lune couronne la nuit. Alors, seulement, s’époumonent aux cols des calices, les corolles sanguines.
C’est la première marche d’automne. Au matin d’idéale fraîcheur, les sentes fumantes s’embrument. La terre s’éveille fruitée de vapeurs et, aux vifs des joues, le vent dépose ses baisers, roses, glacés.
Sur la prairie se déplie la toile des brumes et sa houle fantôme. Errantes sous la guimpe grise, elles viennent suppliantes aux chevets des futaies. Le labyrinthe noueux se colore et au travers de la forêt le lacis herbeux serpente. Infatigable diseur d’histoires, il déroule l’or boisé de ses chemins, et voici qu’au plissé des feuillages, dans le froissé des feuilles, se conte le temps des jours anciens. Parmi les mousses et les fougères, au creux d’une souche rousse, se cache le Korrigan querelleur. Et ce lacet, au sein des brumes, c’est Mélusine alanguie qui vient aux troncs séculaires.
C’est la première marche sous les cieux de l’automne où des nuages cavaliers tracent le sillon de leurs courses cendrées.
Au gynécée, les belles désœuvrées reposent les sens engourdis et dans leur cage, portes closes, ne peuvent que rêver. Alors, secouant avec mollesse l’inertie de leurs corps assoupis, elles délaissent leur parure d’ennui et viennent au bain alléger le carcan de leur existence cloîtrée.
Dans l’intime pénombre, la voûte souveraine, faisant naître l’écho des torrents et des ruisseaux, se joue de l’insouciance des fontaines et du clapotis de l’eau. Sur les bassins captifs, éclosent lascives des volutes de brumes. Au bain, les belles, glorieux gisants de chair rougissante, immergées dans la tiédeur infuse s’abandonnent, nonchalantes. Là, dans la chaleur confuse, les regards se croisent et sur les corps lentement s’évaporent les heures. Alentour, des vasques de marbre et de porphyre, embuées de rosée, accueillent en la fraîcheur de leur sein une eau préservée. Et voici qu’une nuée de petites mains, dociles, puise ce nectar et le mène aux baigneuses avides de cette manne. L’onde servile embaume. Elle ruisselle sur le lys des peaux et, telle une étole, enlace leurs corps où pleure le nard des sueurs encloses.
Dans le bruissement sibyllin de l’eau, leurs chairs s’émeuvent, leurs âmes frissonnent et, dans l’attente, se cabrent. La moiteur des étuves, dans un tendre supplice, révèlent ou dissimulent complices, une gorge attirante, une cuisse luisante. Ainsi, devant l’esquisse d’un sourire, elles acquiescent. Au gynécée, les belles désœuvrées viennent au bain pour s’aimer.
Un poids de genèse force, et le chêne plie, crache ses esquilles. Un feu de genèse brûle, mais à petites flammes, la lumière pâlit. Quelque part, dans sa prison de roche, une oiselle gazouille bleue de flammèches. Quelque part au souffle des houillères, le grisou mord la mèche.
Au carreau, la foule, la foule des femmes
Lampiste hâte toi compte tes feux.
Au carreau, la foule, la foule espère en tes flammes
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...