Veinée de nuit, la terre révèle ses brumes. La lumière, humide des ris de l’aube, rayonne. Et les prairies prisent aux brises du levant rougissent. Elles viennent, baptisées de la poussière des chemins, aux fontaines du matin se griser de rosée. L’air embaume, aromal, ourlé de fraîcheur. A l’unisson des premières clartés, du rose, du gris, les essences s’entremêlent, le monde reverdit.
Gorgé de prime pureté, le sous-bois, lentement, sort de sa nuit. Ici, à la croisée des sentiers, une croix survit. Elle s’éveille embuée du terne reflet des eaux mortes. Déjà‡, son ombre défigure le talus. Enchaînée à la roche de cette croix, elle rampe au long des déchirures de pierre. Flaque sinistre, elle s’épanche. Enflée du glauque des lichens, elle s’effondre. Là, sur le chemin, elle griffe la terre et s’étire difforme.
Les corbeaux au perchoir délabré vaticinent entre eux. Perdue, au lacis des bruyères, au pied du calvaire, gît une charogne. Dévoilant sa chair, à tous, l’impudique se donne. Ainsi, près du grand Christ meurtri, éruptive, elle s’épanouit. Au jour mortifié, les mouches s’étourdissent et les voici, sur l’inflorescence, posées en mélodieux rubans, velours de vert, de bleu, en arcs-en-ciel trépidants.
A l’ombre de la croix, ivres, elles tourbillonnent, ivres, elles s’affolent et sous l’hermine diaprée, la dépouille infestée devient festin d’éternité.
Battre les jours et la crasse des heures, comme un tapis foulé ; brocart mémoriel d'où bruinent les souvenirs, tombant en semences et pluies aux pierres de sel.
Ainsi que la mémoire se vide pour vierge peut-être renaître.
* * *
Naître à nouveau, mais sans le sac de peau cousu au col, sciant les reins, cassant le dos ; sac écolier lancé au ciel des retours de classe et qui, au ban des après-midis, jeté aux orties, finit, déversant sa leçon, glissant aux carreaux.
Et dans la chaleur, la leçon repêchée s'étale sur la toile cirée entre le gros pain tranché large, le beurre suant et la jatte crémée où ravine rouge un sang de groseille.
Un sang perlé, comme un morceau radiant de vitrail, devenant, ce vif pétale au drap des noces, cette plaie au bout du chemin.
Chemin où le sac de peau s'ouvre à la dernière leçon.
Aux Forêts-Citadelles, le soleil est un banni, la lumière une pénitente en sursis. La futaie s’obsède de silence. Dans la pénombre, au sein des déliquescences, des tiédeurs lacustres, sommeille la descendance du Serpent ; sentinelle du monde qui enserre la terre diurne étreinte profonde.
Mais, fils ignorant de son illustre Père, le grand écailleux sans mémoire n’est qu’un fleuve de chair. Déployant ses méandres, dans la mouvance de ses anneaux, il avance inexorable, tel le courant. Devant l’onde, la végétation succombe. D’un doux susurrement, sa langue sonde l’air et le gibier sidéré, subissant sa loi, se noie dans l’incandescence de son iris.
Au labyrinthe marécageux, le reptile, repu, s’endort et, sous l’assaut des réminiscences, sombre dans l’inconnu. Les soubresauts du rêve ravivent son histoire. En lui, s’éveille l’antique savoir du Serpent. Héritier d’une race éteinte, témoin d’un âge révolu, face à l’indéchiffrable passé son œil se trouble. Il est une bête sans souvenir, une bête voulant s’assoupir. Nerveusement, il noue et dénoue la moire de son corps. Sa tête se dresse inquiète. Il hésite, se ravise et d’instinct fuit vers son royaume, le limon des mangroves secrètes.
L’onde, pucelle au jour naissant, en voilette de brume fait toilette. Aux cieux, elle rosit et sur elle s’allonge le soleil. Dérangeant son tulle champêtre où s’entremêlent reflets et rayons, aux crêtes menues et vagues fluettes, il dépose son miel, joue de son corps.
Ainsi, sous l’aile du matin, se déploie l’humaine chanson et aux berges fraîchies se goûtent de discrètes floraisons.
Orpailleur, ta paupière palpite, ton œil, veilleur de sommeil, s’enlumine de nuit. Pour toi, si grande fut l’attente que ton regard, roulé aux berges de l’ennui, un jour s’est lassé. Ruban clair aux parois de métal, ici, au creux de la cuvette d’émail, une girandole tournoie. Orpailleur, l’ombre, dans un poudroiement de lumière, se décille.
Longtemps brassé aux remous de ton cœur, longtemps filtré au vitrail de l’heure, enfin, repose, offerte aux rives de l’inachevé, la parcelle vive : ce mot de poésie, échoué en bordure de nuit.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...