Au jour finissant, quand le réel, superbe d’indigence, se drape des grisailles du doute, je sais, un répit, prémices aux vacillements, je sais, l’heure métisse.
La pièce, sous un dais de poutre, semble comme écrasée. Évidée au fil du temps, il ne reste plus, entre croisée et cheminée, que l’écueil vieillissant d’un fauteuil de cuir. Des nuages en taille-douce s’illustrent aux carreaux des fenêtres où quelques gouttes pluvieuses paressent. Un rideau d’ailes bruineuses, traverse les nuées. Les étourneaux sont en campagne et le ciel est un étang. Il y a peu de lumière et, derrière la vitre, le paysage est un lavis où les ombres invitent au repli. Appendue aux murs, l’aune souple des tentures vient border la pierre. Pareilles aux paroles murmurées à l’orée de la nuit, les tapisseries frémissent. C’est une oscillation lente, le bercement d’une nacelle dans la lumière déclinante. Il faut attendre encore et prendre place, parmi les souvenirs, au corps du fauteuil de cuir. Il faut attendre et prendre place devant ces hautes lisses qui parlent de jadis. Il faut attendre, l’heure métisse.
Fatiguée des lisières de nuit, elle viendra faire litière aux berceaux des toiles tissées. Hors des sables du temps, de ses remous, paysages et couleurs s’émerveillent. L’onde éblouie ruisselle et la nature ivre s’ensoleille. Voici qu’aux labours des flots, la houle nourrit l’océan. Là-bas, aux ventres des mers, des hommes audacieux harponnent le destin. Et sous l’iris mauve, pailleté d’or, d’une lune fauve, le marin espère la terre : des îles peignées de vent, aux vertes frondaisons, aux grenades offertes.
Fils de trame, fils de chaîne, sur le tableau de toile, les fantoches jouent la farce du monde. Attendris ou surpris, des visages crient. Soldats, filles connues, comédiens se ruent aux côtés des diables et des spectres. Ici, le Silence aime la Vie qui pendue au cou du Trépas se voit déjà pantelante, morte, dans ses bras. Passe le temps, l’histoire change. Et telles des feuilles, déçues au glas qui sonne, radieuses au vent de l’automne, serments et promesses s’envolent. Et puis, dessous la lunaison, au corps du théâtre tissé, la vie reflue. Alors, les tentures scellées de lune, histoires tues, fables cousues, pendent inertes.
Certains soirs esseulés, sous la paupière du ciel, dans ce cocon de cendres où les rouges noircissent, j’ai vu, la revenante des lisières de nuit, j’ai vu, l’heure métisse.
©Béatrice Pailler/2015
Prologue du recueil « L’heure métisse »
Prix Jean Giono 2015 de la Société des Poètes Français
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