ouvrage bilingue franco-russe) – Éditeur Conseil des Poètes et Paroliers, S.A.P.F. – Préface de Valéry Dvoïnikov – Dessin de couverture Anne-Marie Weyers – format 15x21 – 99 pages – 4ème trimestre 2022.
Des rires de jeunesse, des jambes de femmes,
Des regards de douceur, des rencontres d’amis,
Puis l’amour, puis la vie.../... JCD.
Le poème liminaire du dernier ouvrage de Jean-Charles Dorge – Les sabots dans la masure – est annonciateur et s’offre à nous telle une explosion d’amour, une révélation, un éblouissement intérieur ; une femme en devient soudain la révélation : Elena !
Ce recueil est traduit en russe, preuve d’un bel éclectisme, d’une volonté d’unité et d’ouverture intelligente en ces temps - hélas ! - où nous sommes encore confrontés à l’ignorance, l’obscurantisme et où nous avons tristement tendance à faire des amalgames entre une quête profondément humaniste et les dissonances de l’histoire.
Les poètes, les artistes, les créateurs ne sont pas responsables des errances incertaines, douteuses et dangereuses générées par l’avidité inextinguible de leurs dirigeants.
Installons donc notre campement dans le pays de la poésie où «Les champs d’orge parfument l’air de Paris» !
Jean-Charles Dorge n’est pas loin, dans son expression pastorale, de nous faire songer au grand penseur et poète Philéas Lebesgue, auteur de Mes semailles.
La symbolique du sabot nous situe dans un espace où flotte une certaine rêverie nostalgique, les vibrations du temps passé serti de regrets. La note est donnée : « Les cœurs dansent dans les sabots... ». Le ton s’impose, la plume du poète amorce un retour sur la mémoire où le vin de la joie enveloppe de ses brumes les rêves. « Des pipes fument.../...on rit, on trinque, on chante.../... ».
Voici un ouvrage attachant, qui sent bon le terroir, la terre fraîchement labourée, les blés moissonnés sous le soleil d’été, la senteur des foins coupés et les odeurs d’antan, celle du bon pain de campagne, du lard fumé, du pot au feu au coin de la cuisinière en fonte.
Les poèmes, de factures diverses, évoluent au rythme de la vie : des rires d’enfants, des femmes aux belles jambes et robes affriolantes, des larmes de joie, de peine et d’amour. Le poète se met en observance et chaque bribe du quotidien nourrit et alimente son moulin à poèmes.
Voici aussi qu’il se fait parisien et place ses pas dans les empreintes des grands ainés du passé, où flottent toujours leurs ombres à la Closerie des Lilas. Bonheur pour le lecteur de croiser les scènes de vie au fil d’un chemin de hasard, de rencontrer des artistes, des badauds, de regarder passer les bateaux sur la Seine, de s’enivrer des parfums de femmes, que le poète observe d’une terrasse de café ; le tout noyé dans les effluves des rues. Que serait Paris sans ses « putains noires ou blondes montrant leurs jambes vagabondes .../... où coule une odeur de pas perdus » ?!
Dans ses errances rêveuses, le poète nous gratifie d’une petite balade poético-géographique, nous entraînant du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest : Picardie, Alsace, Provence... .
Il est bon, parfois, de retourner sur les pas de l’enfance, de retrouver les jeux avec les copains, les premières petites amoureuses et les odeurs de confitures.
Certains poèmes plus légers respirent et jouent avec les échantillons de nos existences. D’autres sont plus graves, solennels ; ils aimeraient voir un monde plus sage et responsable, plus apaisé ; ils souhaiteraient voir sécher les larmes et enterrer les armes.
Ils ne portent plus de sabots, ou - pour le folklore - à la fête du village, mais le constat est flagrant : les paysans, aujourd’hui, s’absentent de leurs terres en raison des charges pléthoriques, des endettements forcés, des impôts suicidaires, sans parler des normes crucifiantes, du réchauffement de la planète et d’une écologie hystérique irréfléchie et non maîtrisée. Cependant le poète voit juste car le paysan est bien le seul à être « nécessaire au futur du vivant, lui seul peut obliger les menteurs à se taire, il fabrique le vrai quand ils sèment dans le vent ». Oui, « il faut urgemment revenir à la terre ! ».
Les parfums de la terre seraient inexistants s’ils ne se mêlaient pas à ceux de la mer, des algues et du sel, qui passent comme un rêve d’écume.
Vivre, vivre est le leitmotiv du poète, constatant que nous sommes bien trop confiants et que nous ne nous méfions pas assez du temps, qui, silencieusement, avance sournoisement en défiant le tic-tac et faisant bonne figure, jusqu’à nous retrouver face au miroir des illusions, où il ne reste dans la mémoire que les traces d’une sonate d’enfance.
L’évidence nous rattrape : combien même le poète se ferait-il voyant, il ne peut pas tout voir, en particulier dans le cœur bien souvent trop noir de l’homme.
Gageons alors que la poésie demeure encore l’ultime moyen de l’illuminer !
Michel Bénard.
Lauréat de l’Académie française.
Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
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