Marchant sur une scène
émoussée... imprécise... délavée...
l'homme apprend un rôle...
Entre la haine et la mort
il quémande les applaudissements
d'une bien pâle réalité
que le temps solitaire
ne cesse de pourfendre...
Ah ! Ce jeu grotesque
reconnaissable seulement
à nos présences insouciantes
disparaît tout à coup
quand nous plongeons
nos visages inquiets
dans la beauté vivante
de ce rêve perdu
et pourtant toujours proche
contenu dans l'espace !
Collages de Michel Bénard et peintures d’Eliane Hurtado
Dans son essai sur l’art, Rodin écrit : « …chez Rubens, Velasquez, Rembrandt, ... la couleur tantôt éclate en fanfare de soleil tantôt s'atténue en sourdines de brume. » (A. Rodin, L’Art, 1911, p. 139), mot que le Dictionnaire définit comme un « Amas de gouttelettes en suspension dans l'air, masquant d'une manière plus ou moins opaque, le ciel, la surface du sol ou des eaux. » Par ailleurs, le terme « tesselle » est désigné comme étant une « Pièce faisant partie d'une composition ornementale formée de petits éléments juxtaposés (mosaïque, pavement, etc.). »
Dans cette mesure, le premier ferait référence aux tableaux d’Eliane où les éléments de l’univers se côtoient dans l’unité et la différence, et le deuxième aux collages de Michel. En fait, ces deux concepts intègrent les deux entreprises par un enchevêtrement qui fait que les uns renvoie aux autres et que la pratique d’Eliane se marie à celle de Michel.
Ici, il faut souligner que le terme « collage » est en partie restrictif car, même si par l’approche et la méthode elle diffère du tableau, cette forme artistique relève également de la peinture. Cela est particulièrement vrai dans le cas de Michel Bénard qui excelle simultanément dans le domaine pictural et la pratique scripturale comme cela se donne à voir dans ses oeuvres où l’image et le texte ne font qu’un et sont transmués par l’unité matérielle et esthétique de ce que j’appellerai sa plume-pinceau.
A ce stade, je ferai une courte citation d’un extrait de la préface que j’avais eu le plaisir d’écrire pour leur beau livre d’artiste Encres et pigments : « Peindre les mots. Écrire les couleurs. Et par les uns et les autres sceller le mariage du tableau et du poème, donner forme à l’intime. Et de l’intime invoquer l’universel, toucher l’un pour se fondre dans le Tout. »
Tel est l’élan créateur que l’on retrouve dans cette belle exposition à quatre mains où les collages ésotériques de Michel Bénard rencontrent les peintures lumineuses d’Eliane Hurtado. Telle semble la démarche où s’accompagnent en chemin le peintre-poète étoilé inscrivant sa voix et l’artiste habitée épousant le cosmos.
L’un et l’autre ont une oeuvre importante tant par leurs productions que par la qualité de leurs créations. Michel Bénard, poète distingué et internationalement reconnu, Eliane Hurtado, peintre rare, inspirée, merveilleusement éclairée par son art et sa virtuosité et dont les toiles et le style unique se font de plus en plus connaître.
Cette production commune nous est donnée en offrande en même temps qu’elle marque un stade important de leurs collaborations au fil du temps et des oeuvres. En effet, par le passé, les deux créateurs ont travaillé ensemble ou en relation l’un avec l’autre, Michel Bénard présentant les créations artistiques d’Eliane Hurtado, cette dernière prêtant sa palette aux textes et couvertures des livres du poète.
Dans cette oeuvre peinte en dialogue, les collages calligraphiques de Michel Bénard vont à la rencontre des peintures d’Eliane Hurtado. De même, les créations d’Eliane Hurtado se déclinent en chuchotements, en étincelles ou en explosions dans les sillons des formes et des mots de Michel Bénard. Ainsi, le peintre-calligraphe traque les routes de l’artiste et la peintre explore les sentiers du magicien mariant les images aux mots. Cela nous donne une exposition d’une grande richesse tant par les thématiques que par les mouvements de ses composantes, une collaboration née de la rencontre des élans personnels et des questionnements qui interpellent tout être humain.
Poète et peintre prolifique, Michel Bénard danse les formes, les images et les mots et, que ce soit à partir de l’émotion la plus intime ou de l’idée la plus partagée, il rencontre l’artiste qui donne des couleurs et des volumes aux sentiments partagés, aux solitudes vécues, aux aspirations communes, aux méditations constantes qui habitent l’être par-delà l’espace et le temps.
Arpenteur des villes et des pays, de la France, de l’Europe et de l’Afrique, Michel Bénard sème des émotions et des idées, des évocations sacrées comme repères ou signaux de ses voyages, chants et appels à partir de ses pérégrinations et de sa quête. Ainsi, il n’est pas un thème qu’il délaisse ou un mystère qu’il ne tente d’approcher, de révéler et de partager. Ainsi, ses collages relèvent du questionnement le plus profond et de la spiritualité la plus sacrée.
Voyageuse de la terre et de l’espace, traceuse de sillons dans la nuit et les étoiles qu’elle colore de questions, de célébrations, de sang et d’or, Eliane Hurtado renouvelle la contemplation, le silence et l’émerveillement face à l’inouï de l’univers et de la création. Par des moyens et dans des directions différentes ou partagées, tous deux sont à la recherche sans fin de réponses pour nous aider à survivre la tragédie de l’existence, tous deux travaillent inlassablement à exprimer la joie de vivre et, sans cesse, partagent avec nous les étapes de leurs voyages et de leurs illuminations. Tous deux sont constamment guidées par l’avénement de la Parole et de la Forme, car si « Au commencement était le Verbe… », la Bible dit aussi que « l’Esprit se fit chair et monde. »
Comme les poèmes, les collages de Michel Bénard embrassent l’émotion la plus secrète ainsi que le rêve le plus libre en même temps que le plus exigeant. Ainsi, son art est une éloquente expression de cette grande vérité énoncée par William Faulkner : « C’est à partir du singulier que l’on atteint l’universel. »
Pareillement, mais par le moyen de la matière et des couleurs, la peinture d’Eliane Hurtado se révèle simultanément terrienne et céleste. Tout en elle respire le sol, la lumière, l’eau, mais cette respiration se conjugue avec la présence constante du ciel et de l’espace transcendantal. Dans cette mesure, les deux démarches, celle du peintre-poète et celle de l’artiste-peintre, se font face, se parlent et s’étreignent dans une danse qui allie le simple et le complexe, l’individuel et le social, le personnel et l’universel. Enracinés dans la réalité de l’instant, elles s’inscrivent dans le même mouvement en un temps simultanément physique et métaphysique qui est constamment présent autant dans les collages que dans les peintures.
Henry Miller disait : « Peindre, c’est aimer à nouveau » et si, comme l’a formidablement exprimé Hölderlin, « il faut habiter le monde poétiquement », la peinture renouvelle l’élan vital, alimente le flux du vivant et l’énergie de la création. Le dialogue entre les deux formes d’expression que sont la peinture et la poésie est un processus simultanément ardu et heureux, brûlant et apaisant en ce qu’il enrichit l’expression et approfondit la vision, en qu’il nourrit l’exigence et l’ascèse que constitue tout art digne de ce nom. Cette exposition en est une belle illustration.
On ne pouvait imaginer meilleur mariage des tons, des émotions, des idées, des cris, de la méditation et de l’expression. On ne pouvait concevoir meilleure collaboration que celle de ces deux complices qui nous donnent ici des oeuvres à admirer et aimer. En attendant les prochains diamants qu’ils taillent pour l’avenir et pour nous.
Il pleut sur nos jours
car dans un coin de l’Olympe, Eros pleure.
Pourtant tout avait si bien commencé.
Les humains l’avaient accueilli
avec tant de gentillesse,
lui avaient prodigué tant de caresses
que sans réticence, il leur avait livré tous ses secrets.
Comme ils étaient heureux !
Cela faisait plaisir à voir.
Puis soudain on ne sait quelle rage
s’était emparée d’eux.
Se jetant sur le pauvre angelot,
ils lui avaient pris son carquois,
brisé ses flèches
et même arraché les plumes
de ses blanches ailes.
Les doux plaisirs imprudemment offerts
devinrent source de vices et de farouches combats.
Le blondinet eut beau battre désespérément des ailes, voler
d’âme en âme, telle la mouche du coche, rien n’y fit.
Le malheur se répandit inexorablement
comme la peste.
Affolé et honteux e s’être montré si imprudent, Eros
revint sur l’Olympe.
Vénus ironique et futile, se contenta d’en rire.
Zeus gronda un peu puis se rendormit.
Depuis lors, Eros se sent nu, il a froid…
Et il pleut sur nos jours.
Telle une bulle aux mille éclats
Resplendissante dans son silencieux
Voyage... Et je ferme les yeux……
Sa chaleur douce sur mon corps
Fait naître des rêves de feu
Immobiles sur le sable d'or...
Je serai à toi
Par petits bouts
Comme le chat de Lewis Caroll
Et tu me chercheras
De sourires en sourires
Mais mon amour t’embrasera tout entier
Tu ne connaîtras pas
Le goût des larmes
Et je tremblerai sous tes baisers
Quand jailliront
Dans le bruissement des nuits
Des semences d’étoiles.
Dans la villa de nos voisins,
Il n’y a plus ni chiens ni chats.
Les animaux s’entendaient bien,
Contrairement à la légende,
Mais leurs maîtres sont séparés,
Partis chacun de leur côté.
Les jappements sont pour Madame
Et les miaulements pour Monsieur.
Fini le parc aux galopades,
Les troncs pour grimper aux oiseaux!
Les pauvres bêtes vont en ville
Dans des logements exigus…
En fin de compte, heureusement
Que ces gens n’avaient pas d’enfants.
Moi, le Chat, je regarde
Echancrée vers la mer,
La Cité gentille
Pénétrée par ses vallées nombreuses
Aux frondaisons ombreuses,
Aux ponts multiples,
Mains tendues vers l’Autre,
Invitations à la tolérance,
A la compréhension, au partage, à l’espoir.
Moi, le Chat je découvre
La Cité gentille
Dans son vert écrin
Où rôde, près des échoppes de la cathédrale,
Vestige du temps de bâtisseurs
L’ombre de Guilloux et du Pain noir,
Dans les ruelles tortueuses,
Aux maisons à colombages, majestueuses,
Témoignages d’un passé généreux
Qui aspire à redevenir réalité.
Moi, le Chat, je ronronne,
A Saint-Brieuc Cité gentille,
De plaisir.
Me voici dans une bourgade, où des roses lourdes et fatiguées se détachent des façades.
Pas le temps de boire à cette fontaine.
Je continue ma route qui me conduit à travers de grandioses paysages.
Les buissons moutonneux répondent aux nuages ruysdaeliens.
La montagne est proche... La fatigue me brouille la vue.
Des cathédrales naturelles surgissent des rochers.
Dévorées de lumière, des formes de pierre ciselée ou par la nature ou par la main de l'homme ou par mon esprit, m'apparaissent soudain passagères.
Comme le feuillage...
L'effritement de la pierre, son usure, sont plus lents, mais la conduisent inéluctablement vers le néant.
Le feuillage, lui, c'est l'éternel recommencement.
Chaque printemps nous apporte une vision de Paradis, de Bonheur.
Tout est question de temps.
Mes yeux toujours fatigués – ou peut-être sont-ils fermés, et que je dors ? et rêve ? – découvrent de nouvelles montagnes où me mènent mes pas.
La lumière fend ces rocs, en fait de la dentelle de pierre.
Lumière ! Ô lumière !
Tu me manquais tant !
TROIS VIES, ET PLUS…
Mon conte de 1986, extrait.
Paru dans mon recueil L’Ombre de Dieu (page 50).
Recueil édité au Mât de Misaine en mars 1989.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...