19 février 2015
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Mohand court comme un fou un journal à la main, il court si vite qu’il trébuche sur une pierre et fait une vilaine chute ! Il se relève, remet ses tongs, « harponne » son journal et se lance encore plus vite. Il arrive devant l’immeuble de chez Zahir, et grimpe les escaliers deux par deux. En arrivant devant la porte de son ami, il ne prend même pas un instant pour souffler ; il sonne comme un hystérique. La mère de Zahir lui ouvre, et lui dit en le voyant :
« Mohand, mon fils que t’arrive-il ?! »
« Bonjour khalti Cherifa, est ce que Zahir est là ? Je n’arrive pas à le joindre sur son portable »
« Il est devant l’ordinateur comme d’habitude ! Son portable ne marche plus. »
Si le téléphone portable de Monsieur Zahir ne marche plus, c’est parce qu’il a volontairement marché dessus pour énerver sa mère. Plus tôt dans la journée, Zahir a demandé à sa mère de lui donner de l’argent pour recharger son compte, et elle lui a dit qu’elle lui en avait déjà donné, et qu’elle en avait marre de lui donner la même somme tous les deux jours. Comme elle lui a dit qu’elle ne lui donnerait rien, il a jeté son téléphone par terre et l’a écrasé avec son pied ailes chaussé.
Mohand se dirige vers le salon où il trouve un Zahir hors de lui ! Sans chercher à comprendre ce qui lui arrive, il lui tend le journal et lui demande de lire. Zahir le saisit et commence à lire :
« Le ministre de…… » Mohand l’arrête :
« Non, pas là, regarde plus bas ! » Zahir reprend sa lecture :
«Un ispoir pour li jeunes. » Il s’arrête et Mohand lui dit :
« Continue ! Tu ne sais pas lire ? »
« Pourquoi, toi tu sais lire peut être ?! » Répond Zahir.
Mohand reprend son journal, le pose sur la table et commence à expliquer à son ami :
« Dieu a entendu nos prières mon ami, que le gros rocher sur lequel nous avons pleuré sur notre sort ces trois dernières années soit béni ! Le président a enfin décidé de nous aider ; il nous propose une solution toute faite et c’est exactement ce qu’il nous fallait ! »
En effet le gouvernement propose une solution aux jeunes qui veulent travailler mais qui manquent de moyens… Le hic, c’est qu’il fait aussi profiter des jeunes qui manquent de moyens et qui ne veulent pas travailler ! Ça consiste à accorder un crédit à quiconque est désireux de monter une affaire avec ou sans diplôme (tout dépend de l’importance du projet) et, de permettre aux jeunes de devenir leurs propres patrons. Ainsi, les Algériens vont tous devenir des chefs d’entreprise grâce à ce que l’on appelle « l’Ansej».
« On nous donne de l’argent batel ! » dit Mohand, il ajoute : « Toi et moi, nous allons nous associer et devenir des chefs ya mhaynek ! »
« Et que ferions-nous ? » Demande Zahir.
« J’ai pensé au transport de voyageurs, nous ferions la trajet jusqu'à Alger. Nous allons demander un crédit pour un grand bus. » Dit Mohand.
« Et c’est toi qui conduirais, tu sais que moi je n’ai pas le permis ! » Dit Zahir
« Tu devras le passer, il nous faudra à tout les deux un permis de transport en commun. » Précise Mohand. Zahir se gratte le front et dit :
« Ma mère ne voudra jamais me donner l’argent… » Il ajoute « En plus, ça a encore explosé ce matin. »
« Tu lui a encore demandé de l’argent pour ton téléphone, c’est ça ? » Dis Mohand, puis il demande : « Et ton portable, que lui est-il arrivé ? »
« Je l’ai fracassé. Elle ne veut pas me donner 500da, elle me payera un smart phone. Ça lui apprendra… » Répond Zahir. Mohand lui dit alors, de vite se réconcilier avec sa mère pour pouvoir commencer les démarches, puis il s’en va.
Après le départ de son ami, Zahir va voir sa mère qui fait la prière dans sa chambre. Il attend qu’elle ait fini et, il s’approche, s’agenouille sur le tapis de prière en face d’elle l’embrasse sur le front et lui dit : « Yema ! Tu veux que j’aille acheter du pain ? »
« J’ai fait de la galette ce matin, tu as oublié ?! » Répond la mère. Zahir saute du tapis et dit avec enthousiasme :
« Dans ce cas, il faut du hmis, je vais te faire un hmis tu m’en diras des nouvelles ! »
Il va dans la cuisine, ouvre le frigidaire, prend quatre piments deux tomates et, commence sa préparation. Khalti Cherifa le suit et lui dit :
« Mon fils, tu va encore me demander quelque chose ! »
Il commence alors à tout lui expliquer en détail et elle l’écoute attentivement. Il lui dit clairement que deux échecs c’est assez et, qu’il n’a nullement l’intention de retenter sa chance au BAC. Pour la première fois de sa vie Zahir parle très calmement l’air très sérieux ! Tout en l’écoutant, sa mère le regarde frire ses piments et couper ses tomates ; elle remarque avec stupéfaction qu’il porte un tablier de cuisine ! Ça a dû provoquer un déclic chez elle puisqu’elle lui exprime son adhésion ! Elle lui donnera ce qu’il faut pour son permis et le soutiendra pour que son projet aboutisse. Cependant, elle ne manque pas de le mettre en garde en lui disant :
« Attention Zahir ! Les voyages pour Alger, c’est pour y emmener des honnêtes gens pas pour te promener en frimant devant tes amis… ! »
De son côté, Mohand décide de parler à son père qui se trouve dans le jardin. Il va le rejoindre et, comme a chaque fois qu’il commence une conversation avec lui, il lui demande s’il y a quelque chose à faire.
« Tiens, va arroser le pommier ! » Dit le père en lançant le tuyau d’arrosage à son fils.
Mohand l’attrape mais laisse l’eau couler. Il fixe le sol et ne bouge pas. Il est comme… pétrifié. Son père qui n’a pas l’air surpris et qui semble avoir l’habitude de voir son fils « perdu » dans son monde, lui dit :
« Que t’arrive-il, tu dors ?! Va arroser le pommier ! » Il ajoute « Tu iras chercher du gravier pour recouvrir l’allée après ça. » . Et Mohand prend alors son courage à deux mains et dit à son « vénéré » père :
« J’ai un ppp…. Un projet avec Zahir… » Le père dit avec étonnement.
« Toi ?! Tu as un projet, avec Zahir ?! Ce matérialiste, cet enfant gâté ! Et c’est quoi ce projet ? »
Mohand s’exprime, il parle, il parle, il s’embrouille, il mélange tout et n’importe quoi et, il dit : « Ça s’appelle l’Onsaj »
Bien sûr, le père de Mohand a entendu parler de l’Ansej. Il remarque un journal dans la poche de son fils, le retire d’un coup sec et dit :
« C’est mon journal, je n’ai pas fini de le lire qui t’a dit de le prendre … ? » Il ajoute : « Tu lis le journal, c’est bien ! Mais comment tu t’es débrouillé pour le mouiller comme ça ?! » (C’est lui-même qui l’a mouillé en lançant le tuyau d’arrosage !) « Vas fermer le robinet, et reviens ici ! » Ordonne-il.
Mohand s’exécute ; il part fermer le robinet, et revient vers son père. Ce dernier lui dit :
« Tu veux faire l’Ansej ? Tu as ma bénédiction … mais attention ! Je vous surveille, et je reste derrière vous. » Et il conclut : « le président pense bien faire mais a mon avis, il ajoute un oreiller et une couverture aux paresseux comme toi ! Ceci dit… c’est bien mon fils. » C’est sa façon de lui dire qu’il lui fait confiance !!
Voilà, l’histoire de Mohand et Zahir est maintenant terminée, mais ne t’inquiète pas cher lecteur, nos deux marcheurs réussiront bien leur vie. Leur projet aboutira dans deux ans, et à la surprise générale ils respecteront leurs engagements ainsi que leur grand bus de transport. Zahir gagnera beaucoup en maturité ; il demandera la main de sa petite amie et elle lui sera accordée. Il fera un stage et demandera un autre crédit pour ouvrir un restaurant ! Mohand, lui, aura plus confiance en lui et décidera aussi de se marier, mais ça c’est une autre histoire.
Au final, ils s’en sortiront et deviendront parfaitement capable de gagner leur vie… mais moi, la femme à la robe verte et blanche, je préférerais qu’ils réussissent plus ; qu’ils deviennent avocats, médecins, physiciens… qu’ils soient… Grands. Oui, je voudrais tant que mes enfants réussissent plus et qu’ils soient Grands ! La réussite de Mohand et Zahir n’est pas l’issue de tous ceux qui choisissent d’avoir recours à l’Ansej. Certains, ne pouvant pas assumer les responsabilités de chef d’entreprise préfèrent revendre leur matériel pour acheter des véhicules de luxe et ouvrir des petits commerces, d’autre revendent et en profitent tout simplement pour me fuir et aller méditer ailleurs ! Et j’en passe et des meilleurs et…qu’en sais-je encore ? !
© Djida Cherfi.
12/02/2015.
Khalti Cherifa : tante Cherifa.
Batel : gratuit.
Yema : maman.
Hmis : entrée traditionnelle, faite à base de piment, de tomates et d’huile d’olive.
Ansej : Agence Nationale au Soutien et à l’Entreprise des Jeunes.
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