Le matin verse aux vertes cimes. La forêt prend visage. Coiffe d’Iroise, chevelure d’algues, glauque est sa robe. La brume murmure blanche de nuit. Le feuillage brille de mille écumes.
Sur l’ailleurs, trouble réel, le poème porte visage.
Une lune en bouton perle sur la nuit. Telle l’aube, elle éclos pâle de senteur. Le silence est plein du déchirement des bourgeons qui éclatent mûris d’astres. Le vin doux de la vie court sous l’écorce et l’arbre étourdi de sève rêve à ses fruits
Nuit d’odeurs, la floraison soupire.
Le verger appelle. La forêt espère.
Aux branches de l’ombre le poème mûrit.
Rien qu’une fois encore
se donner la main et s’aimer
marcher au bord du ravin
sur le fil tendu par un ange
et laisser nos empreintes solaires
dans le sable chaud
caressé par la mer.
Pour mieux te voir
je fermerai les yeux
et gouterai aux fruits de la passion.
je te donne le grès rose de mes rêves caravaniers
prends aussi la peau-papier le parchemin
le poids des murs de toute une ville de vélin
je suis cet animal déchaussé qui écoute passer les épices
au loin
dans l’éternité sans cesse déroutée la terre se souvient
de ces yeux trop grands qui tournaient leur alphabet autour
d’un soleil
j’ajuste mes liens et je repose mes moissons dans la charrette
de tes yeux
y germe le mot muet sans autel autre que la pierre levée
le silence aussi a le droit à son temple de beauté
En livrée d’ébène et d’ivoire, trois grands cormorans célèbrent l’aurore sur l’île des Landes.
La baie du Mont Saint-Michel déploie son éventail aux sept couleurs du vent.
Deux amis cheminent sur le chemin de ronde dominant le port de la Houle à Cancale.
Briac, ornithologue, recherche les corniches où, dans les fissures des parois abruptes, il reconnaît les œufs bleutés du cormoran sur un nid fait d’algues et de branchettes.
Gwenola, libraire à Saint-Malo, aime partager ses envies d’évasion sur les landes et les côtes bretonnes.
Malo, pêcheur à pied, doit les rejoindre en fin de matinée.
Tous les trois ont une passion commune pour les saveurs culinaires et les plaisirs raffinés du palais.
Au gré des marées, la mer s’en va et revient, nappe de soie moirée, frangée d’écume où s’amusent les bleus de l’azur.
Ici, l’esprit des hommes et des femmes est absorbé par la mer.
Le trésor de Cancale, c’est l’huître.
A marée basse, les parcs à huîtres tressent la baie, maillage où miroitent le ciel, le soleil, la pluie et le vent.
Sur le sol de sable vaseux, installées dans des poches, perchées sur leurs étals, les huîtres grandissent à chaque marée et acquièrent ce goût de noisette, fin et délicat, renommée de l’huître de Cancale.
Crochets, épuisette et haveneau au repos dans sa cabane de pêcheur, Malo rejoint Briac et Gwenola à la cale de l’Epi.
Construite en 1837 au port de la Houle, cette jetée dite cale de l’Epi , est un ouvrage remarquable du patrimoine maritime breton.
Ses vingt et une arches en forme d’escaliers laissent passer les courants chargés d’alluvions, et permettent aux marins cancalais de débarquer leurs pêches.
Malo, sexagénaire buriné, a les joues creusées d’ornières décelant d’irréparables fatigues le long des grèves et sur les récifs de la baie où il ramasse coques, bigorneaux, crevettes, étrilles, crabes, homards et huîtres sauvages.
Aujourd’hui, il a délaissé bottes et ciré pour retrouver ses amis, un foulard bleu azur au triangle de l’encolure de sa vareuse.
Ardent mystique, son imagination fleurit à chaque phrase.
La baie du Mont Saint-Michel lui a offert, au fil du temps, cet art consommé de la narration. Une jeunesse inouïe chante en lui.
Son regard un peu lointain laisse toujours la place à l’émerveillement lors du passage d’une natte blonde.
Malo tire de sa besace six douzaines d’huîtres sauvages ramassées ce matin, jour de marée d’équinoxe au fort coefficient.
Briac s’est chargé d’assurer une ample provision pour rafraîchir les gosiers.
Gwenola apporte tendresse et sourire : fusion où son charme se multiplie.
Dans ce décor marin commence la dégustation des huîtres, fraîches ouvertes, souriantes dans leurs coquilles de nacre.
Les huîtres glissent sur la voûte du palais et les papilles de l’imagination dessinent le chant des goélands.
A l’unisson, les trois amis aspirent, à même la coquille, la bonne eau salée qui vient étoiler une bouchée de pain de seigle beurré.
La première douzaine envoyée au paradis, Briac débouche son ambroisie :
La Coulée de Serrant, 2005 de Nicolas Joly – vin servi frais, à la même température que les huîtres.
Discret et réservé aux premiers instants, ce blanc sec a eu la sagesse de patienter en cave pour délivrer aujourd’hui son florilège d’arômes où dominent les fruits jaunes juteux comme la mirabelle. Sa longue caudalie s’appuie sur une texture ferme, d’une élégante amertume avec une tonalité saline.
Eole revient en arabesques de sable et d’embruns.
La ripaille continue ; l’occasion pour Gwenola de faire l’éloge de la gourmandise.
L’huître, c’est à la fois le prélude et l’extase, une volupté sensuelle, une délicatesse veloutée, un plaisir à conjuguer au masculin et au féminin, un feu insoupçonné qui jaillit en vous.
Oui, oui , encore une belle charnue, fraîche à souhait, élégante avec sa collerette de dentelle.
Bruissant de coquillages, le jusant répond à l’appel des sirènes.
Maintenant, les vagues ramènent le parfum couleur ardoise des îles Chausey, puis vient le visage d’une Muse, ourlée d’écume sur l’estran de leurs rêves.
Au son des biniou et bombarde, Gwenola, Briac et Malo déclament en cœur :
Fleurs d’équinoxe sur l’étrave de la vague
Affleurement d’ailes à la godille de l’esquif
Sur l’hélice du nautile s’enroule la bonne aventure.
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SOURCES :
- Histoire de la nourriture de Maguelonne Toussaint-Samat chez Larousse
- Gens de Bretagne de Christian Bougeard aux Editions du Chêne
- Le grand Larousse du vin
L’HUÎTRE :
La conchyliculture est l’élevage des huîtres, moules et coquillages, dont l’ostréiculture pour les huîtres et la mytiliculture pour les moules.
En France, l’ostréiculture se fonde sur l’élevage de deux espèces d’huîtres : la plus ancienne, la « plate » ou Ostrea edulis, renommée de Cancale , et la « creuse » ou Crassostrea gigas, importée fortuitement des Indes jusqu’à l’estuaire du Tage au XVème siècle par des navires de commerce portugais dont la coque a servi de collecteur naturel.
A travers le monde, en eau salée, douce ou saumâtre, on compte une bonne centaine d’espèces d’huîtres.
Au siècle dernier, les bisquines, typiques bateaux de Cancale, remontaient les dragues utilisées pour prélever les huîtres sauvages sur les bancs situés en eau profonde ; ensuite les huîtres étaient élevées dans des parcs.
Cette pêche était autorisée un mois par an en avril. C’était la fameuse « caravane » si bien racontée par Roger Vercel ; celle-ci rassemblait 425 bateaux et 2323 marins en 1884. La pêche était débarquée sur les grèves à marée haute, puis triée par les femmes et les enfants à marée basse. Les femmes chargeaient sur une charrette les paniers d’huîtres appelés « mannequins », d’un poids de 50 kg, en vue de l’expédition, notamment vers Paris.
Il est intéressant de développer la sexualité et le mode de reproduction de l’huître qui est hermaphrodite, alternativement et successivement femelle et mâle. En été, durant les mois sans R, c’est la période de reproduction avec 3 pontes de juin à juillet, soit plusieurs centaines de millions d’œufs qui attendent la semence mâle qui peut être celle de l’huître elle-même ou celle de la voisine car devenue mâle, elle disperse sa semence à l’extérieur dans le milieu marin.
A la fois père et mère, l’huître accomplit jusqu’au bout sa double mission parentale et porte les œufs fécondés durant une dizaine de jours jusqu’à ce que, devenus larves (naissain), ils soient expulsés.
Pourvu de cils vibratiles, le naissain a 2 semaines pour chercher un support (exemple un rocher) pour se fixer, grandir, aimer et se reproduire.
Le grand art de l’ostréiculteur est de piéger le naissain pour ensuite l’élever.
L’huître, si elle échappe aux nombreux prédateurs (étoile de mer, bigorneau, huîtrier pie, goéland argenté - violent courant de tempête - mazoutée par un bateau pollueur ou enfin être mangée par d’élégants bipèdes), peut atteindre l’âge de 50 ans, sachant que les huîtres ne sont plus si délicieuses au-delà de 5 ans.
Le goût de l’huître tient au climat, à la salinité des eaux, à la nature des fonds marins, du plancton et aussi aux gestes qui président à son élevage.
L’affinage se fait en eau claire dans des bassins, eau constamment renouvelée où l’huître va prendre ce goût de noisette et sa couleur ardoise grâce à la présence d’une algue, la navicule bleue.
Le premier affinage se fit à Belon, d’où le nom de l’huître.
LE VIN : La fameuse Coulée de Serrant
AU XIIème siècle, Henri II Plantagenêt, Comte d’Anjou devenu roi d’Angleterre, fait servir les vins d’Anjou à sa cour.
L’Anjou est une vaste région viticole qui part de Nantes et longe la Loire jusqu’à Saumur et Angers.
Il existe un triangle magique formé de trois communes : Savennières, Bouchemaine et La Possonnière.
Arrêtons nous au lieu-dit La Coulée de Serrant. Le vignoble regarde passer la Loire. Au fil des jours se tresse ce lien qui unit l’homme, le terroir et la vigne. Le chenin, son cépage unique, est ancré sur des coteaux traversés de veines schisteuses avec un fond de sables.
Curnonsky, prince des gastronomes, classait La Coulée de Serrant au même rang qu’un Château-Chalon ou encore le mythique Montrachet.
Il en découle cet aimable conseil : Fin gourmet, vivez glorieusement dans le péché et Dieu reconnaîtra les siens.
C’est la blessure première,
Réfléchie par les lames duelles
De la Vie.
Captive de l’onde immobile
C’est la fissure du miroir céleste
Sabrant les eaux du silence
Dans l’espérance de l’envolée
Qui libère.
A l’aplomb des meurtrissures, sous le grand pommier, ma bouche festoie au balcon d’une fontaine carnivore.
Peaux écartelées, noyées, dénouées de spasmes, les langues brûlent dans le naufrage des sucs.
Graphies sur velours secrets, corps en regard.
Faisant connaissance avec la saveur de mes débordas, parcourant mes pentes, le serpent perd souffle. Il ondule dans mes incendies, tremble dans l’abécédaire des caresses, siffle sous les bourrasques d’effleurements, ensauvagement.
j’erre entre deux rives
la vague passe par moi comme à travers une coquille
parfois c'est difficile d'écouter mes pensées
surtout pendant la tempête
alors je ne peux plus contrôler le tangage
les pensées hurlent et l'eau
l'eau se jette sur moi comme une sentence
l’abysse me fouette violemment
un fil de sang s'est mis à couler de mon oreille
ce n’est que la façon intelligente de rester en vie
je n’en ai trop peur
il n' y a pas que des tempêtes ici
je me miroite aussi dans des eaux calmes
j'y trouve une sorte d'équilibre en flottant
et même si l'eau rentre dans mes oreilles
je reste toujours à la surface
entre deux vagues captive
j’ai appris à écouter le silence
Au loin, dans la déperdition des cieux
tous les astres s'amenuisent
Sur terre s'amoncellent les cendres
et au coin vivant des derniers fruits
s'éteignent les ors, émeraudes et rubis
Le vent, lui, joue de ferveur
à disperser brumes et brouillards
véritables mousses d'après lessive
qui noie les cœurs des fleurs
On croit en la moindre trêve
sorte de long arrêt sur image
accalmie de douleur et de fièvre
alors que la terre est en nage
Et puis, le temps déborde
Il pleut, comme de bien entendu
à petits crépitements au début
et puis à nouveau de longues cordes
Tous les chemins perdent la foi
en Rome, en l'avenir, en la lumière
Plein d'âmes tombées aux puits du silence
Il semble que l'on veuille noyer
la prégnante trace des hommes
Seule gagnante qui court gaie, jeune et verte
la rivière qui va vers les bras de la mer
Y aurait-il une raison à toutes ces pluies
qui nous font oublier de la paix le fruit ?
Au loin dans la déperdition des cieux
tous les astres s'amenuisent
Quelle lumière devraient déclencher les dieux
pour que d'amour la terre s'électrise ?
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...