EBAN – « Hommage 100 peintures. » Annie Roth éditeur. 3 ème trimestre 2015. (28x23 – 103 pages)
« C’est l’enfance qui retient la mémoire de l’homme. » MB
EBAN est un artiste dont la démarche n’est en rien anodine. Elle plonge profondément ses racines dans l’humus de la mémoire, des sources originelles, étirant ses ramifications entre une Asie que l’on a quelque peu oubliée aujourd’hui et une vieille Europe qui parvient difficilement à protéger son identité face aux turbulences venues d’une mondialisation effrénée. Faut-il s’en réjouir ? Probablement pas, c’est pourquoi EBAN au travers des multiples facettes de son art poursuit son objectif d’éveilleur et d’humaniste C’est toute l’expérience et le parcours d’un jubilé créateur que nous propose EBAN. Son œuvre contient l’image d’une ancienne Indochine qui s’est déjà sublimée et qu’il effleure du bout du pinceau avec toutes les couleurs du ciel et de la terre déposées sur la palette. Depuis son enfance en terre vietnamienne jusqu’à l’aboutissement d’un principe et d’un art révélateur maîtrisé, socle sur lequel s’érige toute une vie.
« N’oublie pas d’où tu viens ! » (1)
Une œuvre où il grave de la coulée d’un pinceau de soie les empreintes et les nuances de ses rêves. Le grand écrivain et prix Nobel, Gao Xingjian, ne dit-il pas : « Ton pays est dans ta mémoire, il est une source dans les ténèbres. »
En effet, EBAN est intimement convaincu que « La mémoire est source d’énergie » et que « Seule la mort peut l’envahir. » (2)
Ainsi son dernier ouvrage « Hommages 100 peintures. » est un engagement en ce sens, sorte d’hymne et appel aux racines. Une nécessité viscérale de faire ressurgir les souvenirs du passé, particulièrement ceux de l’enfance qui se déroule à l’ombre d’une grand-mère protectrice et bienveillante.
Les chemins de l’existence s’effacent peu à peu avec le temps, une vie c’est à la fois beaucoup et bien peu de chose et le meilleur moyen que possède EBAN pour pérenniser cette réalité du rêve et du temporel, est son extrême et sensible talent de peintre.
Une coulée d’encre canalisera sa colère, une goutte de couleur ouvrira son âme.
« Seule la colère silencieuse peut se déverser sur le papier blanc. » (3)
Son pèlerinage mémoriel, sorte de parcours informel commence à la pointe du pinceau, où l’enfance est là rassemblant ses songes aux lueurs d’un lampion en papier de riz, l’image d’une grand-mère tendre et attentive revient fidèlement. Mais avant de poursuivre le chemin un arrêt s’impose en mémoire et « Hommage » à cette femme pour en admirer le magnifique portrait annamite au regard profond et déterminé, visage que porte cette beauté patinée des êtres marqués par l’âpreté de la vie, visage aguerri à l’adversité, au charisme pénétrant et encore plus engagé, plus armé pour ce combat humain permanent. Ce n’est plus de la vie dont il s’agit, mais de survie ! Ainsi dans son sillage exemplaire nous pouvons poursuivre notre voyage.
Un village s’endort sous un ciel rose et pourpre, une branche de bambou ploie sous la caresse du vent. Le regard plonge sur les paysages flottants de la Chine. L’enfant est prêt pour un voyage sur la jonque au milieu de la baie de Ha Long.
Les géants minéraux et végétaux se découpent dans les brumes poétiques. Une barque de pêcheur glisse sur l’une des plus belles baies du monde. Quel artiste n’a pas rêvé de lui lancer un défit de la maîtriser sur le grain du papier à dessin ?
Da Nang apparaît soudain, puis Hué avec sa rivière aux parfums et sa pagode céleste. Ninh Binh est là, toute embellie de fleurs et de lotus, le ciel devient mauve, les images s’effacent.
Hanoï ouvre la porte de son Temple de la littérature où se consument les bâtonnets d’encens, de son palais d’été, la cathédrale a résisté au souffle de l’histoire, elle est toujours là.
Puis soudain se dessine la maison des origines, celle du peuple des Êdes où un regard et un sourire sont toujours présents en « Hommage » à l’ainée bien aimée.
La route de Buon Ma Thuot est longue et variée, lac, bambous, pagodes oubliées, ciel tourmenté, plantations de café. Ho Chi Minh ville sera le terme de ce voyage au cœur des arbres centenaires et des marchés flottants de Can Tho.
A ce stade nous ne sommes pas dans l’illusion, mais dans les réalités d’une expérience raisonnée. Dans les nuances colorées et le graphisme d’un paysage se déroulent tous les souvenirs d’une vie.
Un signe, une tache, une ligne résument chaque élément du puzzle de l’existence. Ce sont des fragments de lumière qui s’ouvrent sur le monde. Le réveil d’une source endormie, l’envol d’oiseaux migrateurs s’orientant vers le Nord, un arbre qui s’enracine dans le passé.
Sous le pinceau d’EBAN les paysages livrent leurs essences, présentent toutes leurs densités.
Notre artiste force l’admiration par sa maîtrise graphique, l’encre, le pigment, la nuance, vont à l’essentiel. Des signes calligraphiques vibrent sur les clairs obscurs, la poésie résonne en complémentarité, sorte d’enchainement de l’impression à la narration esthétique.
L’œuvre toute épurée qu’elle soit résume l’acte créateur !
« Des pensées et des images qui ont traversé mes rêves…/... » (4)
« La peinture est rentrée au cœur de mon monde…/… » (5)
EBAN tente de restituer une vie à ses sujets, de les habiller d’une âme.
Peindre les paysages de son enfance d’une manière parfois abstraite est aussi une manière de cautériser ses blessures en mémoire de ce si beau pays qui a tant souffert par l’avide folie incontrôlée des hommes.
Mais pour EBAN la notion de beauté redevient vite une nécessité naturelle.
Quant à être artiste ou poète pour lui, c’est déjà revendiquer son besoin d’amour, d’humanisme et d’oser encore croire en l’homme, c’est tendre tout entier vers son devenir, loin des aveuglements de l’extrême, des fanatismes régressifs et des ignorances obscurantistes.
L’art est un long chemin de silence qui donne à l’homme les clés d’accès à sa métamorphose.
©Michel Bénard
Lauréat de l’Académie française.
(1) Extrait de – Par Chemins – 2009.
(2 & 3) Extraits de – Hommage- 2015.
(4 & 5) Extraits de – Empreintes de rêves- 2008.
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