As-tu songé à lui dire que le monde attend
Qu’il pose son regard
Sur cette île divaguant
Comme une barque démâtée
Entre deux Amériques
Lui as-tu raconté les villes qui ont soif
Chaque fois qu’elles deviennent
De boueux réceptacles,
Lui as-tu dit la faim qui élit domicile
Dans chaque maisonnée
Sait-il que les miséreux
Regardant les enfants
Qui jouent à la marelle
N’ont que la Providence pour salut
A travers la nuit où s’abîment les rêves
Dieu voit seulement
Les semences d’étoiles
Dont tu as fécondé le jardin d’Eden
Au soleil dérobé.
Toute la maisonnée jadis
Fut éveillée en pleine nuit !
Mes yeux d’enfant paisible
Virent au ciel une féerie,
Des draperies ocres et roses,
De lourdes tentures cramoisies.
Le spectacle éternisait, funeste,
Ses rutilances de cinabre :
Braises froides aux franges de cendre
Qui présagèrent le temps des sabres.
De musiques inconnues
Vous avez fait vibrer la nature,
Chanté l’amour,
Tremblé vos émois,
Crié vos vaines révoltes,
Votre dégoût à l’intolérance
Vomi sur la bassesse des petits
Et la cupidité des nantis,
Vous avez réveillé les consciences assoupies
Interpellé la lâcheté des tyrans,
N’avez pas hurlé avec la meute abêtie,
De couleurs vous avez
D’espoir, de beauté, de paix,
Peint les mots.
Sans jamais avoir
Croisé votre chemin
J’ai eu le bonheur de vous rencontrer
Vous êtes partis, ailleurs,
Au Pays de l’imaginaire, recréer
Un autre Monde, loin des maux
Et des larmes
Nous laissant avec vos rimes
Raisons d’aimer, d’espérer,
De rêver…
et toujours ce lieu
que tu ouvres d’un poing blanc
l’attouchement sacré de la paume
et de la pierre
son cri d’herbe égratignée
dans une débandade de blocs
son poids de terre
son poids de ciel et de mystères
la fragilité que tu caresses
à la limite de l’air et des sens
le champ des bravades là-haut
orienté soudaine vers l’évidence
être pour soi-même l’étreinte
et le noyau solaire
la matrice sans écart d’une plénitude
atteinte
la vie sans plan et le perchoir
d’un seul oiseau
J'ai demandé à la mer de me bercer,
Elle a dit mon enfant je risque de te noyer.
J'ai demandé à la montagne de le faire
Elle a dit tu tomberais brutalement à terre.
J'ai demandé au soleil de me laisser l'approcher,
Il a dit malheureuse je te brulerai !
J'ai alors prié le ciel de m'héberger,
" Si tu vas voir la mer, la montagne et le soleil,
Jusqu'à moi ils te mèneraient"... le ciel.
nos morts ne sont que des nombres inoubliables
des mots raccourcis,
des cris gelés d'une maladie banale, absconse
nos morts sont les rêves inventés par des mères
la définition parfaite de la souffrance
nos morts lointaines sont
leurs paumes atteintes d'une maladie méconnue
où les caresses sont interdites
les larmes égorgées, les yeux vides
nos morts s'attardent sur un tableau muet, caduc,
des chiffres d'une guerre froide qui absorbe nos existences
et nous plonge dans les abîmes
nos morts feront naître d'autres morts
jusqu'à la fin des siècles,
l’ombre de leurs visages aura passé subtilement,
tel un fil muet, dans l’abysse de l’oubli
extrait du recueil La blessure de l'amphore, paru aux editions Neuma, octobre 2022
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...