Ce poème de Louis Delorme est extrêmement fort, puissant ! Je suis fier et heureux de pouvoir le publier sur mon blog et je ne sais comment remercier Mr Delorme pour sa confiance ! (Jean Dornac)
- LES HURLEMENTS - LXVII -
A Emmanuel D'ASTTER, le 12 février 1968.
Le cercle s'est bouclé pour une année encore,
La guerre a fait peau neuve, elle a trouvé du fric ;
Elle a changé de mode et gardé son folklore :
Acteurs médiocres, mais... nous sommes bon public !
Les engins font du bruit ; alors, des hommes tombent ;
On crèvera parce qu'il faut
Contre un seul épervier, dis, combien de colombes,
De mésanges pour un gerfaut ?
On crèvera pour que les promesses soient sauves,
Pour que les beaux discours soient pris au sérieux
Parce qu'il ne sied pas, même repus, aux fauves
De fuir sous les ruées du bélier furieux.
On crèvera parce qu'il faut trop de courage
Pour dire : « Nous faisons la paix ! »
Pour oser le premier des deux tourner la page,
Reconnaître qu'on se trompait.
Quand on est le plus fort, il est bien dur d'admettre
Que l’on n'a pas aussi davantage raison :
Nous traitons des héros d'assassins et de traîtres
Alors qu'au désespoir, c'est nous qui les poussons.
Massacrez tout un peuple et faites place nette,
Egorgez, tuez le Viêt-nam :
Des faibles il y en aura sur la planète,
Toujours, ad vitam æternam !
Quand vous aurez tué tous les hommes qui luttent,
De bonne volonté, de peine ou de couleur,
Pour assouvir encor vos bas instincts de brutes,
Vos frères vous prendrez comme souffre-douleur.
Dans quelque temps, contre eux, vous tournerez vos armes,
Vous sacrifierez vos amis
Et vous arracherez à vos mères des larmes
Répandues sur vos ennemis.
La Terre est donc à vous, peut-être aussi la Lune !
Dommage que là-haut n'y ait que des cailloux,
Point d'êtres à meurtrir, pas de sang à la une,
Personne à qui chercher dans la paille des poux.
S'il se trouvait jamais des mondes dans l'espace
Qui soient dans votre champ de tir,
Des peuples de robots à qui donner la chasse,
Des monstres à faire pâtir,
Vous nous auriez fiché la paix sur cette terre,
Vous nous auriez laissé profiter du soleil,
Attraper nos poissons, replanter nos rizières,
Rendu la liberté, le rêve et le sommeil.
Le jour où dans vos champs on portera la guerre,
Sur vos villes, sur vos maisons,
Vous comprendrez alors ce que c'est la misère,
La gangrène et sa déraison..
Vous verrez vos buildings plus que châteaux de sable
Crouler de peur comme si la terre tremblait ;
Vous saurez que l'enfer quand on n'est plus le diable
Perd tous les charmes dont il nous ensorcelait.
Vous verrez vos enfants courir comme des dingues,
Vos femmes se tordre d'horreur,
Lorsque, du fond du ciel, fondront sur vous les zingues
Comme des oiseaux de malheur.
Vous saurez ce que c'est que les feux d'artifice, L'absurde au goût du jour, la mort se rebiffant, Les atrocités qui laissent des cicatrices Sur les petits-enfants de vos petits-enfants.
Vous ne nous vaincrez pas, quel que soit le déluge Que vous fassiez pleuvoir sur nous ; II restera toujours quelqu'un dans un refuge Pour ne pas se mettre à genoux.
Qu'on m'arrache la langue, elle n'a rien su dire ! Qu'on me crève les yeux qui n'ont pas accusé, Qu'on me coupe les mains qui n'ont pas su qu'écrire : Elles voulaient se battre, elles n'ont pas osé !
Qu'on me crève le cœur, qu'on m'arrose d'essence ! J'y mettrai moi-même le feu. Celui qui ne combat qu'à grands coups de silence, Je crois, n'en mérite pas mieux.
Les enfants de demain contre nous crient vengeance : Êtes-vous sourds que vous n'entendiez pas leurs cris ? Ils viennent témoigner contre vos expériences, Ils plaignent leur forêt, pleurent leurs champs de riz ;
Ils vous montrent leurs plaies sur leurs bras et leurs jambes Du napalm ils ont hérité ! Cette chair, cette peau qui se tord et qui flambe Est peut-être l'humanité !
C'est vous qui les avez estropiés par mégarde,
En frappant ceux qui leur donneront vie un jour.
Tous ces pauvres enfants que vos avions bombardent
Verront bientôt les leurs infirmes à leur tour.
Est-ce le goût du mal, le besoin de carnage
Ou la soif de domination
Qui pousse l'homme au meurtre avec autant de rage,
Depuis tant de générations ?
Est-ce peur ou folie/ n'est-ce que l'insouciance,
Le doigt dans l'engrenage, est-ce la contagion,
Qui des êtres les plus doués d'intelligence
A fait les plus abjects de la création ?
Dans cent millions d'années, s'il reste encor des êtres
Qui sait ! descendront-ils de ce gosse brûlé
Qui porte pour ses fils, nos espoirs de renaître
De revoir, par leurs yeux, l'univers constellé,
De vivre par leurs sens, de sentir par leur âme, D'encore respirer les fleurs, D'être dans leur mémoire une petite flamme Qui leur fait vaciller le cœur,
Notre chance d'aimer, d'admirer notre terre, D'avoir des joies, du rire et des larmes encor Dans vingt mille ans, de trouver belle la lumière, Le sentiment de n'être pas tout à fait morts.
S'il porte, ce petit, l'humanité future, Laissons-lui toute sa santé ! Et n'empêchons pas d'être, pour lui, la nature Ce que pour nous elle a été.
Habillée de rêves et d'un voile de brume, elle inventait sa vie au fil des heures, au fil des jours.
L'archet de son âme vibrait sur le violon du vent. Une musique limpide jaillissait alors et s'égouttait, câline, dans un pré, parmi l'éclairette et la menthe sauvage. Tout en écoutant ronronner les ombres, elle tournoyait, légère dans l'air frais du matin jusqu'à perdre le souffle dans les bras d'un vieux chêne. Son écriture-étamine, seul l'oiseau la déchiffrait. La lecture du ciel lui était familière.
Elle disparut un jour dans un champ de bruyère. Personne ne la revit, pas même l'oiseau de lune qui nichait, solitaire, dans les clochettes mauves.
Mais cet être mystérieux avait eu le temps de transmettre à la terre, une graine, une graine vivante, une graine d'espoir qui, bientôt, germerait et s'épanouirait en une fleur précieuse : la fleur de la paix durable...
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...