Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 novembre 2023 7 05 /11 /novembre /2023 07:30

Illustration : Roland Souchon

 

 
En livrée d’ébène et d’ivoire, trois grands cormorans célèbrent l’aurore sur l’île des Landes.
La baie du Mont Saint-Michel déploie son éventail aux sept couleurs du vent.
 
Deux amis cheminent sur le chemin de ronde dominant le port de la Houle à Cancale.


Briac, ornithologue, recherche les corniches où, dans les fissures des parois abruptes, il reconnaît les œufs bleutés du cormoran sur un nid fait d’algues et de branchettes.


Gwenola, libraire à Saint-Malo, aime partager ses envies d’évasion sur les landes et les côtes bretonnes.


Malo, pêcheur à pied, doit les rejoindre en fin de matinée.


Tous les trois ont une passion commune pour les saveurs culinaires et les plaisirs raffinés du palais.


 
Au gré des marées, la mer s’en va et revient, nappe de soie moirée, frangée d’écume où s’amusent les bleus de l’azur.


Ici, l’esprit des hommes et des femmes est absorbé par la mer.


Le trésor de Cancale, c’est l’huître.


A marée basse, les parcs à huîtres tressent la baie, maillage où miroitent le ciel, le soleil, la pluie et le vent.


Sur le sol de sable vaseux, installées dans des poches, perchées sur leurs étals, les huîtres grandissent à chaque marée et acquièrent ce goût de noisette, fin et délicat, renommée de l’huître de Cancale.


 
Crochets, épuisette et haveneau au repos dans sa cabane de pêcheur, Malo rejoint Briac et Gwenola à la cale de l’Epi.


Construite en 1837 au port de la Houle, cette jetée dite cale de l’Epi , est un ouvrage remarquable du patrimoine maritime breton.


Ses vingt et une arches en forme d’escaliers laissent passer les courants chargés d’alluvions, et permettent aux marins cancalais de débarquer leurs pêches.


Malo, sexagénaire buriné, a les joues creusées d’ornières décelant d’irréparables fatigues le long des grèves et sur les récifs de la baie où il ramasse coques, bigorneaux, crevettes, étrilles, crabes, homards et huîtres sauvages.


Aujourd’hui, il a délaissé bottes et ciré pour retrouver ses amis, un foulard bleu azur au triangle de l’encolure de sa vareuse.


Ardent mystique, son imagination fleurit à chaque phrase.


La baie du Mont Saint-Michel lui a offert, au fil du temps, cet art consommé de la narration. Une jeunesse inouïe chante en lui.


Son regard un peu lointain laisse toujours la place à l’émerveillement lors du passage d’une natte blonde.


 
Malo tire de sa besace six douzaines d’huîtres sauvages ramassées ce matin, jour de marée d’équinoxe au fort coefficient.


Briac s’est chargé d’assurer une ample provision pour rafraîchir les gosiers.


Gwenola apporte tendresse et sourire : fusion où son charme se multiplie.


 
Dans ce décor marin commence la dégustation des huîtres, fraîches ouvertes, souriantes dans leurs coquilles de nacre.


Les huîtres glissent sur la voûte du palais et les papilles de l’imagination dessinent le chant des goélands.


A l’unisson, les trois amis aspirent, à même la coquille, la bonne eau salée qui vient étoiler une bouchée de pain de seigle beurré.


La première douzaine envoyée au paradis, Briac débouche son ambroisie :
La Coulée de Serrant, 2005 de Nicolas Joly –  vin servi frais, à la même température que les huîtres.


Discret et réservé aux premiers instants, ce blanc sec a eu la sagesse de patienter en cave pour délivrer aujourd’hui son florilège d’arômes où dominent les fruits jaunes juteux comme la mirabelle. Sa longue caudalie s’appuie sur une texture ferme, d’une élégante amertume avec une tonalité saline.


 
Eole revient en arabesques de sable et d’embruns.


La ripaille continue ; l’occasion pour Gwenola de faire l’éloge de la gourmandise.


L’huître, c’est à la fois le prélude et l’extase, une volupté sensuelle, une délicatesse veloutée, un plaisir à conjuguer au masculin et au féminin, un feu insoupçonné qui jaillit en vous.


Oui, oui , encore une belle charnue, fraîche à souhait, élégante avec sa collerette de dentelle.


 
Bruissant de coquillages, le jusant répond à l’appel des sirènes.


Maintenant, les vagues ramènent le parfum couleur ardoise des îles Chausey, puis vient le visage d’une Muse, ourlée d’écume sur l’estran de leurs rêves.
 
Au son des biniou et bombarde, Gwenola, Briac et Malo déclament en cœur :
 
Fleurs d’équinoxe sur l’étrave de la vague


Affleurement d’ailes à la godille de l’esquif


Sur l’hélice du nautile s’enroule la bonne aventure.
 
                                                           Kenavo
 

©Roland Souchon
2023
www.rolandsouchon.com          
 
 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits          
 
 
SOURCES :


- Histoire de la nourriture de Maguelonne Toussaint-Samat chez Larousse
- Gens de Bretagne de Christian Bougeard aux Editions du Chêne
- Le grand Larousse du vin
 
L’HUÎTRE :


La conchyliculture est l’élevage des huîtres, moules et coquillages, dont l’ostréiculture pour les huîtres et la mytiliculture pour les moules.


En France, l’ostréiculture se fonde sur l’élevage de deux espèces d’huîtres : la plus ancienne, la « plate » ou Ostrea edulis, renommée de Cancale , et la « creuse » ou Crassostrea gigas, importée fortuitement des Indes jusqu’à l’estuaire du Tage au XVème siècle par des navires  de commerce portugais dont la coque a servi de collecteur naturel.


A travers le monde, en eau salée, douce ou saumâtre, on compte une bonne centaine d’espèces d’huîtres.


Au siècle dernier, les bisquines, typiques bateaux de Cancale, remontaient les dragues utilisées pour prélever les huîtres sauvages sur les bancs situés en eau profonde ; ensuite les huîtres étaient élevées dans des parcs.


Cette pêche était autorisée un mois par an en avril. C’était la fameuse « caravane » si bien racontée par Roger Vercel ; celle-ci rassemblait 425 bateaux et 2323 marins en 1884. La pêche était débarquée sur les grèves à marée haute, puis triée par les femmes et les enfants à marée basse. Les femmes chargeaient sur une charrette les paniers d’huîtres appelés « mannequins », d’un poids de 50 kg, en vue de l’expédition, notamment vers Paris.
 
Il est intéressant de développer la sexualité et le mode de reproduction de l’huître qui est hermaphrodite, alternativement et successivement femelle et mâle. En été, durant les mois sans R, c’est la période de reproduction avec 3 pontes de juin à juillet, soit plusieurs centaines de millions d’œufs qui attendent la semence mâle qui peut être celle de l’huître elle-même ou celle de la voisine car devenue mâle, elle disperse sa semence à l’extérieur dans le milieu marin.


A la fois père et mère, l’huître accomplit jusqu’au bout sa double mission parentale et porte les œufs fécondés durant une dizaine de jours jusqu’à ce que, devenus larves (naissain), ils soient expulsés.


Pourvu de cils vibratiles, le naissain a 2 semaines pour chercher un support (exemple un rocher) pour se fixer, grandir, aimer et se reproduire.


Le grand art de l’ostréiculteur est de piéger le naissain pour ensuite l’élever.


L’huître, si elle échappe aux nombreux prédateurs (étoile de mer, bigorneau, huîtrier pie, goéland argenté - violent courant de tempête - mazoutée par un bateau pollueur ou enfin être mangée par d’élégants bipèdes), peut atteindre l’âge de 50 ans, sachant que les huîtres ne sont plus si délicieuses au-delà de 5 ans.


Le goût de l’huître tient au climat, à la salinité des eaux, à la nature des fonds marins, du plancton et aussi aux gestes qui président à son élevage.


L’affinage se fait en eau claire dans des bassins, eau constamment renouvelée où l’huître va prendre ce goût de noisette et sa couleur ardoise grâce à la présence d’une algue, la navicule bleue.


Le premier affinage se fit à Belon, d’où le nom de l’huître.


 
LE VIN : La fameuse Coulée de Serrant


AU XIIème siècle, Henri II Plantagenêt, Comte d’Anjou devenu roi d’Angleterre, fait servir les vins d’Anjou à sa cour.


L’Anjou est une vaste région viticole qui part de Nantes et longe la Loire jusqu’à Saumur et Angers.


Il existe un triangle magique formé de trois communes : Savennières, Bouchemaine et La Possonnière.


Arrêtons nous au lieu-dit La Coulée de Serrant. Le vignoble regarde passer la Loire. Au fil des jours se tresse ce lien qui unit l’homme, le terroir et la vigne. Le chenin, son cépage unique, est ancré sur des coteaux traversés de veines schisteuses avec un fond de sables.


Curnonsky, prince des gastronomes, classait La Coulée de Serrant au même rang qu’un Château-Chalon ou encore le mythique Montrachet.


Il en découle cet aimable conseil : Fin gourmet, vivez glorieusement dans le péché et Dieu reconnaîtra les siens.

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2023 6 04 /11 /novembre /2023 07:44

Photo Denis Portay

 

C’est la blessure première,
Réfléchie par les lames duelles
De la Vie.
Captive de l’onde immobile
C’est la fissure du miroir céleste
Sabrant les eaux du silence
Dans l’espérance de l’envolée
Qui libère.

 

©Nicole Portay    

 Nicole Portay a été honorée de la distinction d’Ambassadeur de la Paix.

 

 
 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
3 novembre 2023 5 03 /11 /novembre /2023 07:50


 


    A l’aplomb des meurtrissures, sous le grand pommier, ma bouche festoie au balcon d’une fontaine carnivore.
Peaux écartelées, noyées, dénouées de spasmes, les langues brûlent dans le naufrage des sucs.

    Graphies sur velours secrets, corps en regard.

    Faisant connaissance avec la saveur de mes débordas, parcourant mes pentes, le serpent perd souffle. Il ondule dans mes incendies, tremble dans l’abécédaire des caresses, siffle sous les bourrasques d’effleurements, ensauvagement.

    Sorcière-Sorcière-sourcière.A


©Nicole Hardouin

Extrait du recueil « Lilith, l’amour d’une maudite » aux éditions L.G.R Paris                        
 
 
 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
2 novembre 2023 4 02 /11 /novembre /2023 10:01


 
j’erre entre deux rives
la vague passe par moi comme à travers une coquille
parfois c'est difficile d'écouter mes pensées
surtout pendant la tempête
alors je ne peux plus contrôler le tangage
les pensées hurlent et l'eau
l'eau se jette sur moi comme une sentence
l’abysse me fouette violemment
un fil de sang s'est mis à couler de mon oreille
ce n’est que la façon intelligente de rester en vie

je n’en ai trop peur
il n' y a pas que des tempêtes ici
je me miroite aussi dans des eaux calmes
j'y trouve une sorte d'équilibre en flottant
et même si l'eau rentre dans mes oreilles
je reste toujours à la surface
entre deux vagues captive
j’ai appris à écouter le silence


© Elina Adam                                                                       
Extrait du recueil « La Blessure de l’Amphore » Éditions Neuma, 2022
     
 
 

 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
1 novembre 2023 3 01 /11 /novembre /2023 07:54

oeuvre d’Alphonse Mucha

 

C'est un cadeau du ciel
Occupe toi de son éveil

Ne la laisse pas s'endormir
Dans l'ardeur de tes seuls désirs

Laisse la s'exprimer
Qu'elle ne se réduise pas à exister

Laisse la vivre ses rêves
Expression de son âme qui s'élève

Elle n'est pas femme fatale
Son âme est beaucoup trop belle

Elle n'est pas élégance parfaite
Celui qui la mérite sait de quoi elle est faite

Penses-tu pouvoir tout redessiner
Si un jour elle s'effaçait?

Penses-tu qu'en s'effaçant
Elle te permettrait de demeurer vivant ?

Elle te tuerait avec elle!

En dénigrant ce de quoi elle est faite
Tu as cru lui donner ton image parfaite

©Djida Cherfi  
 24/11/2020

         

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits...

Partager cet article
Repost0
31 octobre 2023 2 31 /10 /octobre /2023 07:39



Au loin, dans la déperdition des cieux
tous les astres s'amenuisent
Sur terre s'amoncellent les cendres
et au coin vivant des derniers fruits
s'éteignent les ors, émeraudes et rubis

Le vent, lui, joue de ferveur
à disperser brumes et brouillards
véritables mousses d'après lessive
qui noie les cœurs des fleurs

On croit en la moindre trêve
sorte de long arrêt sur image
accalmie de douleur et de fièvre
alors que la terre est en nage

Et puis, le temps déborde
Il pleut, comme de bien entendu
à petits crépitements au début
et puis à nouveau de longues cordes

Tous les chemins perdent la foi
en Rome, en l'avenir, en la lumière
Plein d'âmes tombées aux puits du silence
Il semble que l'on veuille noyer
la prégnante trace des hommes

Seule gagnante qui court gaie, jeune et verte
la rivière qui va vers les bras de la mer
Y aurait-il une raison à toutes ces pluies
qui nous font oublier de la paix le fruit ?

Au loin dans la déperdition des cieux
tous les astres s'amenuisent
Quelle lumière devraient déclencher les dieux
pour que d'amour la terre s'électrise ?    

 

© Jeanne CHAMPEL GRENIER                    
 
 
 

 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
30 octobre 2023 1 30 /10 /octobre /2023 05:20

               
 
 
 
 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
29 octobre 2023 7 29 /10 /octobre /2023 07:32

 

 

Déjà la croisière capiteuse

des ramiers lasse l’acacia

 

L’arbre doit se défaire

de sa boulimie d’oiseaux

quand se flétrissent les fleurs.

 

Chaque corolle ouverte a livré

un trésor de sève, s’en est fatiguée

Sa robe profanée gît au sol.

 

Toute orgie apaisée,

que reste-t-il à l’escadre

de bourdons aspirant au relais ?

 

L’insecte devra-t-il se contenter de restes?

Mai est ce contrebandier pillant calles

et secrets des « galères capitanes » *

 

Délesté de panache désormais inutile

à la sobre nature, l’arbre mieux s’y fond.

En guise de jouir lui demeurent

quelques feuilles rutilant après pluies

 

Pas de dimanche sans soleil

 

* Victor Hugo

 

 

©Jeannine DION-GUERIN                
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits
Partager cet article
Repost0
28 octobre 2023 6 28 /10 /octobre /2023 06:38

Photo Ellen Renneboog©

 

La poésie n’est pas une catharsis
C’est l’action d’extraire un diamant
Après un long parcours de cristallisation.

 

©Ellen Renneboog
Extrait du recueil « Poèmes pour P. » disponible chez Amazon.                                       
 
 

 

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0
27 octobre 2023 5 27 /10 /octobre /2023 06:34

à Robert Simonnet, ingénieur et psychologue breton,

                                                                                 dans le souvenir de Denise Simonnet-Guyot

                                                                            psychologue et  grande résistante 1940 - 1945

 

 

Charles Lindbergh et la naissance d’une collaboration

                                   

C’est en 1930 que Carrel est approché par Charles Lindbergh, le célébrissime aviateur de la première traversée de l’Atlantique, les 20 et 21 mai 1927. C’est que le héros du ciel est marié depuis l’année précédente avec Anne-Spencer Morrow, la fille de l’ambassadeur US au Mexique, dont la sœur souffre d’une pathologie cardiaque sans issue et pour laquelle Lindbergh espère avoir trouvé le sauveur potentiel. La démarche est donc généreuse envers celle, brillante aînée, qu’avait apparemment supplanté sa cadette Anne, poétesse à ses heures et bientôt pilote affranchie à son tour. Cette belle-sœur de l’aviateur décèdera finalement en 1943.

Quand Lindbergh constata combien rudimentaire était le modèle de pompe à perfusion de Carrel, qu’on assimila un peu vite à un cœur artificiel, il s’offrit à en perfectionner le prototype. La collaboration proprement dite deviendra effective en 1931 : une association improbable, comme l’ont qualifiée bien des commentateurs, en oubliant trop souvent d’y ajouter féconde et profondément humaine.

Car on connaît la terrible épreuve morale traversée par les Lindbergh en mars 1932 lorsque leur premier fils, âgé d’à peine quelques mois, se fera kidnapper par un sinistre personnage s’en prenant à la fortune (dans toutes les acceptions de ce mot) du héros de l’aviation ! L’enfant sera retrouvé mort deux mois plus tard. Cet épisode laisse le couple désemparé et écoeuré au point de les pousser à quitter l’Amérique pour Londres. C’est de cette façon que les Lindbergh seront accueillis, dès la fin de l’année, à Saint-Gildas, en recherche d’estime et d’objectifs réparateurs. Ils y seront reçus encore bien des fois, en 1936 et 1937, alors qu’une collaboration scientifique étroite se sera instaurée, aboutissant à la fameuse « pompe à perfusion » de Nième génération, qui était une étape dans la perspective de possibles transplantations d’organes ; aboutissant en outre à la publication plus tardive du livre, écrit en commun, La culture des organes (1938). Difficile, par conséquent, de complètement séparer l’évocation des protagonistes en présence, tant leurs liens en Bretagne et aux USA se confondent désormais. C’est en 1938 également que Lindbergh acquiert à son tour la petite île d’Illiec, toute voisine de Saint-Gildas, à dix minutes de bateau (**).                                                  

A la veille de l’entrée en Guerre des Etats-Unis, Lindbergh défend âprement le maintien hors conflit de son pays en tant que leader du comité « America first », un slogan bien antérieur à Donald Trump comme on le voit.

Il s’impose, à ce stade, de citer quelques rétroactes pour éclairer certaines prises de position.

Invité par son gouvernement à se rendre en Allemagne pour rendre compte de la puissance de la Luftwaffe, Lindbergh avait rencontré Willy Messerschmitt et son âme de pilote s’en trouva fascinée au point de prendre le pas sur son sens critique et sa moralité politiques. Ayant été décoré par Göring en personne en 1936, il refusera, cinq ans plus tard, de renvoyer, comme l’ordonnait Roosevelt, cette « médaille de la honte », en fait celle de l’Ordre de l’Aigle allemand. Pour comble, Lindbergh préféra renoncer à son grade de colonel de l’US Army.

Toutefois, à la suite de l’attaque de Pearl Harbor, Il modifiera totalement son point de vue en accomplissant en six mois, mais à titre civil, une cinquantaine de missions.  Les pilotes de l’USAF (United States Air Force) et des US Marines saluent dès lors son engagement au combat et son patriotisme ; il se voit réhabilité dans l’armée comme général de brigade. Sa visite, en juin 1945, du camp de concentration de Dora qui recèle en souterrain les ateliers de fabrication des V2, aura achevé de remodeler ses convictions à propos d’Hitler qu’il avait qualifié de « grand homme ». A présent, il dira tout haut son dégoût de voir une humanité atteindre un tel degré d’abaissement.

Après la guerre, il sera consultant auprès des constructeurs aéronautiques mais prendra à nouveau ses distances par rapport aux vols supersoniques, jugés trop destructeurs. Il en viendra même à douter de l’utilité de l’aviation face au devoir de conservation de la nature et des populations primitives pour laquelle il milite toujours davantage. Il connaîtra, en 1968, le lancement d’Apollo 8 depuis le cap Kennedy, toujours aussi passionné de techniques de pointe bien comprises.

Lindbergh achèvera sa destinée tumultueuse, et qui le fut aussi au plan affectif, en choisissant à nouveau une île, celle de Maui (Hawaï), pour sa résidence qui sera aussi sa dernière, en 1974.

 

Des conceptions socio-politiques partagées

 

Autant l’idéologie de l’Arcouest pouvait être gauchisante, athée, antiraciste, dreyfusarde, autant l’entente entre les deux collaborateurs présents régulièrement au large (si large il y a !) de Penvénan les aura dirigés vers des conceptions de droite et même d’extrême droite, teintée parfois de convictions héritées d’une foi austère insufflée dans l’enfance, et très comparable pour nos deux bretons d’adoption.

L’orientation politique commune mènera sans doute à un renforcement de l’amitié mais donc aussi à quelques outrances dont les traces ont, malheureusement, entaché les deux carrières en dépit du redressement héroïque mais tardif des attitudes de chacun face aux thèses nationales-socialistes. Ce sujet demande une analyse approfondie mais nous n’en citons que d’infimes éléments en vue de profiler les sources de la mésestime radicale qui s’est attachée peu à peu aux noms des deux personnalités.

Ces deux figures majeures du XXe siècle, déjà si exceptionnellement réunies malgré des compétences à première vue très éloignées, se retrouvèrent ainsi de par leurs conceptions philosophiques hasardeuses mais heureusement reniées au gré de leurs errements et des souffrances de fin de vie. Il serait bienvenu, à cet égard, d’adopter à notre tour le regard bienveillant qui est celui du Père, pour lequel on ne tombe jamais si bas qu’on ne puisse se relever de ses écarts, et ceux-ci furent à l’image de leur gloire, intense et semeuse d’indignation. Or, Carrel fut pour Lindbergh ce père, cette fois sans majuscule, dont la disparition le laissa dévasté et dont il se jura de rétablir les mérites aussi longtemps qu’il lui survivrait ; sans doute ce combat avait-il valeur de rédemption pour lui-même, mais on ne saurait pour autant déprécier cette croisade pour l’absent qui motiva ce héros si différent de son Mentor. L’avenir emboîtera-t-il généreusement le pas à cette double réhabilitation, en se souvenant de ne pas piétiner le bon grain qui demeure sous l’ivraie ?

                                                    

Un passé définitivement révolu ?

 

Pour fugitifs qu’aient été les séjours passés par tous ces Prix Nobel et autres savants en Bretagne, ils furent en soi révélateurs des pages essentielles de l’histoire du début du XXe siècle. Certes, ce fait-divers n’impressionne plus beaucoup les foules, à bien des années de distance, et ne rivalisera pas avec l’aura des héros, réels ou fictifs, que campe notre actualité à grand renfort de scoops assourdissants. C’est que la côte bretonne offrait précisément cette retraite hautement bénéfique, voire mystique, à la méditation et à la contemplation que nous appelons désormais tous de nos vœux pour la planète et ses survivants: et à cet égard comme à tant d’autres, ces résidents d’un genre unique furent en avance, ô combien, sur notre temps.

                                              ------------------------  

 

 (*) A propos de religion, d’ailleurs, on ne saurait passer sous silence l’épisode du voyage à Lourdes (1902) où le Dr Carrel accompagne un contingent de pélerins en tant que médecin, nullement en tant que croyant : il a renoncé à la foi depuis des années. Il est frappé par le cas d’une malade condamnée, scientifiquement parlant, par une péritonite tuberculeuse, et en phase terminale. Devant sa guérison qui interviendra cependant, le jeune médecin reconnaît devoir s’incliner comme il s’y était engagé face à l’hypothèse de ce qu’il fallait bien appeler un miracle : ce sera le retour à la foi.

(**) un « caillou » qui avait appartenu au musicien Ambroise Thomas, l’auteur de Mignon, l’opéra qui fut composé en ces lieux, que les nouveaux occupants écoutaient, dit-on, avec ravissement.

(***) L’article très fouillé d’Etienne Lepicard (Histoire des Sciences médicales, XLVI, n° 1, 1912) attribue une bonne part du succès de l’ouvrage au contexte historique déterminant au fond la lecture et la réceptivité d’un écrit : il souhaite que soient reconstitués les horizons d’attente qui ont vu naître une œuvre aux fins d’en évaluer la conformité ou l’écart par rapport aux normes instituées. Citant pour référence la théorie de la réception appelée « response theory » de H. R. Jauss, il préconise la comparaison de diverses lectures. De fait, la perception que nous avons actuellement peut différer très sensiblement de celle prévalant dans certains milieux de l’époque. Cette analyse permet de proposer de voir dans l’Homme, cet inconnu, « une réponse élitiste, savante, à la crise économique » des années 1930. Or, pareil essai d’objectivation des jugements émane méritoirement d’un membre (médecin, historien) du comité de bioéthique de l’Université hébraïque de Jérusalem, quand on sait les tendances antisémites dont a fait preuve le Dr Carrel.

Un article bien antérieur, écrit peu après le décès de Carrel, par le Dr Spaey dans la Revue Nouvelle, indique sagement « nous ne jugerons pas les raisons qui ont poussé un homme de Science à sortir du cadre qu’il s’était tracé, pour jouer, à une époque troublée, un rôle dans la vie publique ; néanmoins, il est plus qu’étonnant de lire qu’ « il attend d’une eugénique, hélas très matérielle, la rénovation morale et sociale de nos sociétés » et de passer sous silence le souhait d’élimination pure et simple des criminels, voire des individus susceptibles de nuisance du fait de déséquilibre mental.

 

Références

Drouard A., Alexis Carrel (1873-1944). De la mémoire à l’histoire. L’Harmattan, Paris, 1995.

Hertog S., Anne Morrow Lindbergh - her life First Anchor Books Ed., nov 2000

Jauss H.R., Pour une Esthétique de la réception, Gallimard, Paris 1990.https://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/12/22/21752-longue-marche-lassistance-cardiaque

Launet Ed., Sorbonne Plage, Ed. Stock, Paris 2016

Lepicard E., Une réponse bio-médicale à la crise des années 1930 : La construction de L’homme, cet  Inconnu d’Alexis Carrel. Thèse de Ph. D. Université hébraïque de Jérusalem, 2002 (en hébreu).

Lepicard E., La première réception de L’homme, cet inconnu, d’Alexis Carrel, Histoire des Sciences médicales, XLVI, n° 1, 1912.

Mallinin T.I., Remembering Alexis Carrel and Charles Lindbergh, Texas Heart Inst. J., 23 (1), 1996

Marck B., Lindbergh l’ange noir, L’Archipel, 2006

Soupault R., Alexis Carrel, 1873-1944, Les sept Couleurs, Paris, 1972

 


©Pierre Guérande


       
 
             

 

 

 

Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Couleurs Poésies 2
  • : Ce blog est dédié à la poésie actuelle, aux poètes connus ou inconnus et vivants.
  • Contact

  • jdor
  • Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...
  • Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...

Recherche