Ragnarök, recueil de Dana Shishmanian, 94 pages, éditions L’Harmattan, coll. Accent Tonique, avril 2024, Paris, ISBN : 978-2-336-45748-2
Souffrance d’une poétesse face aux mondes d’injustices, de trahisons, d’indifférences, meurtres et conspirations. Voilà ce que suggère dans un premier temps ce brûlot.
Dana Shishmanian, que l’on connaît par ailleurs pour sa courtoisie et son ouverture d’esprit en son site littéraire Francopolis - Francosemailles, monte ici au créneau, fustige les crimes actuels et ceux de l’Histoire, se hérisse, scande sa prose à la verticale, implore Dieu et les dieux. On est dans un indicible Guernica, dans un Cri de Munch, dans un bouleversement des perspectives, des consciences et des cœurs. Comme le dit l’autrice, le poète (…) devient un apprenti chaman aspirant à la maîtrise des éléments et du vol par-dessus les nuages.
C’est à coup de mots, de verbes endiablés, de mises à la ligne surprenantes, de rythmes, de répétitions voulues et dénudées de toute ponctuation, d’incandescences, d’images au goût de sang et de sueur que l’écrivaine exprime sa révolte envers tout système de pouvoir et de cruauté, qu’il soit communiste, capitaliste, théocratique ou même anarchiste. Elle va plus loin dans sa quête : je crois que le politiquement correct déconstruit l’humain et ronge les démocraties tel un ver empoisonné, ce dont les dictatures profitent pour faire de la tradition un nouveau dogme totalitaire.
On est cependant loin d’une démonstration politique, sociologique ou philosophique. Ces mots sont ceux d’un pinceau jeté sur la toile, brûlants d’un feu tout à la fois intérieur, instinctif et profond.
Dans la deuxième partie de ce livre, Shishmanian fait place à une écriture davantage onirique, évoquant Ragnarök, bataille finale dans la mythologie germanique et, en quelque sorte crépuscule des dieux. Ah, chaman, quand tu nous tiens !
Qu’en est-il d’une solution, d’une issue pour notre triste humanité, peut-être ? Je crois que la beauté ne sauvera pas le monde mais, qu’alliée à la vérité, elle peut aider quelques âmes à se sauver du monde.
Mais s’il lit attentivement cette jetée de braises jusqu’à la fin, le lecteur survivant trouvera, malgré tout, des signes d’espérance dans l’un des ultimes textes, Une larme d’amour :
Croire jusqu’à la trame
et jusqu’à la déchirure de la trame
et au-delà de la désolation et du désarroi (…)
sans point d’appui dans l’abîme
juste une larme vive toujours brûlante
luisant dans le noir – une larme d’amour
inextinguible
Oui !
©Claude Luezior
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