Les grappes odorantes d’une blanche glycine ornent la façade cossue rue Raynouard.
La porte est entrouverte.
Précédé d’une élégante aux gants corail et ombrelle au manche d’ivoire, j’entre dans la cour ensoleillée.
Cette demeure est sertie dans un écrin de verdure où chaque feuille devient satin.
Nappes brodées et vin blanc carafé attendent les dames de la colline de Passy en ce jour de vernissage.
L’ampleur arrogante d’un chapeau fleuri, l’audace d’un regard fouetté de mascara donnent le ton.
Dans un frisson d’impatience, quelques mèches rousses, légères et folles, s’enroulent sur l’exquise distorsion d’une nuque.
La beauté exalte et délivre dans ce décor suranné.
Pour l’occasion, le bow-window sert d’écrin à deux chevalets : à gauche, une muse dont l’audacieuse tendresse à la commissure des lèvres invite à suivre son désir ; à droite, une amazone pétrie de grâce orientale.
Sous la verrière, bouffie de suffisance, une prétentieuse obèse transpire sous ses dentelles tandis qu’une coquette avec ses rangs de perles semble s’étourdir dans ce vertige d’apparences.
Un peu à l’écart de ce jeu de dupes, deux peintres devisent sur « Caresser et Mordre », deux mots calligraphiés sur l’en-tête de l’invitation, deux mots clef, sésame promis pour cette après-midi :
Le premier, grand, mince, rouquin aux mains meurtries par les huiles et les pigments, toujours guidé par son refus d’allégeance, décrit le bleu dont il a habillé le Pont Mirabeau.
Le second, petit et râblé, cadogan rouge retenant une longue chevelure noire de jais, évoque sa quête de la couleur jaune, éclair qui éveille, lumière qui poudroie.
Une clochette tintinnabule plusieurs fois pour annoncer Tania, poétesse slave, égérie d’un Cercle lettré des bords de Seine.
Avec talent, elle déclame la magie de L’oiseau de feu, immortalisé par le faune, éternelle étoile androgyne.
Aux quatre coins du salon, les parfums enivrent comme la valse des roses de Chiraz, tandis que, ignorant un solitaire brillant de mille feux, s’échappe un sonnet de Musset.
Les regards caressants fusent de tous côtés.
D’un quatrain à un tercet, le désir ne s’éteint jamais.
Accompagnant ce besoin de beauté, le soleil descend.
Tout devient lilas, souffle de joie.
L’infini affleure ; rimes, lignes et couleurs brodent l’heure bleue.
©Roland Souchon
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