Racines vagabondes / Jeanne Champel Grenier
France Libris 2023.
C’est un véritable manifeste pour la beauté et la tolérance que nous offre Jeanne Champel Grenier avec Racines vagabondes.
Le recueil s’ouvre sur ces mots d’une grande poétesse chez qui le thème de l’exil est tout aussi majeur : Andrée Chédid.
« La poésie nous pousse à ruiner nos citadelles, à détruire l’enclos, à reconnaître que nous vivons d’un même cœur, mourrons d’une mort semblable.
Cette mort plus affranchie que nous qui sait que nous sommes fils d’un même exil. »
Et nous suivons Jeanne Champel Grenier dans chacun des lieux qui ont fait d’elle ce qu’elle est. Une femme dont la générosité sait si bien habiter le mot et la vie dans ce qu’elle a de plus charnel et pour qui la fraternité serait le nom d’une fleur des champs.
C’est l’Ardèche que la poétesse célèbre tout d’abord, son pays de cœur, son lieu de vie :
« Je suis de ce pays entre Rhône et Ardèche qui accueille l’Ailleurs et qui tatoue la France sur la peau et le cœur de l’humble voyageur » p8.
Les pages 9, 10 et 11 nous plongent, comme un instant suspendu dans la vie quotidienne de nos ancêtres de la grotte Chauvet. Des scènes de vie tout à fait splendides s’y succèdent :
« Les enfants barbouillés de myrtilles et de lait étaient allongés sous les fourrures et les peaux nouvelles. Au sein de cette odeur rassurante et familière de graisse rance, de miel sauvage et de lait caillé, ils dormaient. »
Il y a de Colette chez Jeanne Champel Grenier. (Elle est pour moi l’éternelle joie de vivre pieds nus dans les violettes.) Elle en a en commun l’amour et la parfaite connaissance de la nature qui l’entoure mais cette sororité se poursuit jusque dans les figures tutélaires, des femmes presque toujours qui hantent –mais devrais-je sans doute dire qui illuminent sa poésie.
Sa mère d’abord, « émigrée sans tambour ni trompettes du pays catalan » dont elle a hérité du sens de la danse
Puis sa grand-mère avec laquelle nous allons au bois, « Nem el bosc », celle qui est :
« Partout et nulle part
Debout au four et au moulin »
Et nous dénouons avec Jeanne les racines vagabondes, les racines familiales qui nous mènent en Espagne majoritairement. Partout y résonnent le timbre et l’ambiance :
« Un écrasant soleil de sang
Pèse de tout son poids de feu
Sur les grenades éclatées
Il faut à tâtons chercher l’ombre
Comme un aveugle sa pitance »
(Souvenirs de Burgos, p54)
Ou encore :
« Seul dans un corps en feu
Danse un cœur Carmen
Et son éventail qui vibre
Au filigrane orgueilleux
Du dangereux équilibre
Entre olé et Amen »
(Chaleur hispanique. P50)
Y plane aussi la lumière de chers amis disparus, magnifiques déracinés eux aussi, dont un magnifique hommage à l’ami poète Miloud Keddar, « L’ami de l’infini, poète migrant, homme du désert touareg venu à pied en France en contournant la méditerranée » p81.
Et de nomades magnifiques, gitans, manouches, roms dont les beaux portraits tissent le beau et puissant réseau de l’humanité.
A noter que le recueil est illustré de six portraits peints par notre poétesse qui a reçu nombreux talents en héritage. C’est cela avoir un pays.
La poésie de Jeanne Champel Grenier est lumineuse, toujours animée de sentiments nobles et de lucidité. Elle est sourire et bienveillance posés sur le monde.
Refermant ce merveilleux recueil, j’ai eu envie de danser, me sentant de nulle part et de partout à la fois ;
Gratitude à Jeanne Champel Grenier.
© Barbara Auzou.