Proposé par Sonia Elvireanu que je remercie
Hier peut-être. Photographies : François Ducobu. Textes : Michel Ducobu. Projet graphique : Click Click Graphics. Taille aux Joncs, 2022.
Je ne saurais cesser d’exprimer mon étonnement face à cet engendrement inouï entre image et parole. Et cela depuis la première de couverture, où, devant l’immensité bleue de la mer, un « point » d’homme aux cheveux blanchis par l’âge, vu de dos, assis sur une chaise, les pieds reposant sur une plage sableuse, contemple. Sur la ligne où l’horizon rencontre la mer, en lettres blanches, je lis Hier peut-être et, haut dans le ciel, deux noms : François Ducobu, réalisateur des photographies, et Michel Ducobu, auteur des textes. Père et fils se rencontrent à la confluence de deux générations. C’est comme si le fils aurait voulu comprendre la génération du père et, pour ce faire, avait choisi de le provoquer ou de l’encourager par des images. Quel autre dialogue possible entre deux artistes ?
À cela s’ajoute, sans aucun doute, la troisième paire d’yeux et une troisième âme, celle du lecteur. Lecteur d’images et de paroles, engendrées. Une poésie qui peut être vécue par celui qui aura acquis une certaine expérience de vie, qui devrait être, à son tour, un peu poète. C’est devant la simplicité et le naturel que l’âme est émue, qu’elle parvient à atteindre des brins d’ineffable, comme dans une sculpture de Brancusi.
Les pages ouvrent sur un jeu dialogué, jeu-réflexion sur le titre, jeu qui inclut le troisième participant par le refrain « Oh I believe in yesterday ». Suivent des images sur la page impaire, chacune secondée par une cogitation. La mise en page témoigne à son tour de ce dialogue par le positionnement même de l’image en haut de page et des paroles, du côté gauche, en bas de page. En regardant tout droit, le lecteur a devant soi l’image qu’il peut intégrer attentivement, tandis que le blanc dessous l’invite à rajouter du charme à sa propre réflexion. Les pages ferment sur un poème placé du côté droit, avec une page blanche à gauche, suivi par une image qui occupe deux pages et surprend une feuille séchée blanchies par la mousse avec, à côté, un petit oiseau dont on ne distingue que la tête, les deux formant une tâche blanchâtre perdue dans l’immensité bleue de la mer.
Entre les images du quotidien citadin avec ses immeubles géants, ses décombres et ses voitures, c’est la nature, dans tous ses âges, qui gagne, c’est elle qui attire le regard, c’est elle qui donne le souffle, qui encourage LA VIE. L’antithèse est évidente. C’est la nature qui, par l’image du goéland qui nous regarde en son vol, suscite au dialogue : « Tu me suis toujours ? / - Ne vas pas trop vite. Ni trop haut. On n’a plus vingt ans. / - Mais on est toujours dans le vent. / - Dans les nuages plutôt. / - Les nuages qui passent…là-bas…là-bas…les merveilleux nuages ! ».
Ce n’est pas un album qui peut être raconté, c’est un album qui doit être gardé devant soi, sur une chaise longue, devant la mer ou au milieu de la nature, dans des moments de silence, de détachement : « - Une chaise longue à mourir d’envie. / - Une envie longue de vivre dans une chaise. ». C’est un album qui parle de la vie en invitant à la goûter avec sagesse, l’âme ouverte, l’âme vivante et qui me fait penser aux Correspondances de Baudelaire. Car c’est dans la poésie pure que se cache le secret de la vie. Et, comme les pages ne sont pas numérotées, on peut commencer n’importe où. C’est sans doute la preuve que la sensibilité humaine est un don de l’universalité, suggéré par la présence, en mots d’ouverture de l’album, de vers appartenant à Yves Bonnefoy (France) et Sonia Elvireanu (Roumanie).
© Rodica Gabriela Chira
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