de Sonia ELVIREANU. traduction de Giuliano LADOLFI
Éd. Ladolfi, 264 pages, couverture d'Irina Petraş, 2022, Italie, ISBN: 9788866446217
Peindre les mots : l'expression est connue et a été employée en particulier par l'écrivain suisse Jacques Chessex. De plus, celui qui sait exactement d'avance ce qu'il va peindre est-il vraiment un artiste ? Celui qui connaît précisément ce qu'il va écrire en renvoyant les muses accrochées à ses lignes est-il poète ?
Lire Elvireanu, c'est s'immerger dans un monde onirique qui nous fait penser à celui de Claude Monet, comme nous l'avons déjà noté dans notre recension de son recueil, Le souffle du ciel. Monde enchanté où l'on picore les miettes de la couleur, des ensoleillements où chantent espaces et quiétudes...
Ne t'en vas pas, Lecteur : prends la pause sur le pont japonais du génial impressionniste : écoute la poétesse, susurre, psalmodie ses lignes au goût de miel. En français qu'Elvireanu maîtrise avec une aisance déconcertante, mais ici également en italien, la langue des anges que nous propose avec élégance son traducteur, préfacier et éditeur Giuliano Ladolfi.
Idiomes peints par des créateurs, au-delà du descriptif, propres au rêve, tout à la fois profanes et sacrés, intimistes et fantastiques, dans un au-delà de la texture grammaticale, dans un dépassement de soi.
Dans le brouillard (p.56)
Une brume bleuâtre
enveloppe l'argile au crépuscule,
le murmure d'un bourgeon
meurtri,
sous l'écorce,
le frémissement du silence,
l'iris de l'épanouissement
esseulé.
Nella nebbia (p.57)
Una nebbia azzurrina
al crepuscolo avvolge l'argilla,
il mormorio di una gemma
straziata
sotto la corteccia,
il sussulto del silenzio,
l'iris della fioritura
solitaria.
Brouillard, teintes bleuâtres, murmures, sous l'écorce, touches verbales mais aussi fascination transculturelle d'une écrivaine roumaine nous prenant par la rétine, avec, en miroir, les sonorités transalpines si riches de leurs voyelles! Les nymphéas de Monet en frémissent d'aise... Déambulation délicate, sécrétions de pétales et de mots en un silence feutré...
La poésie, telle la peinture, est souvent faite de surprises, d'émotions, d'inconscient à la marge du narratif : j'ai l'impression d'être dans l'attente du mystère / avec son pouvoir de te prendre aux tréfonds / pour te faire sentir la vie, aux mille visages / s'émerveillant de ses mots, de ton image (p. 106).
On se rapproche du passage entre le formel et le non-figuratif. L'académicien Henri Troyat ne disait-il que, même dans un roman, les personnages prennent le pouvoir ? Ici, c'est l'âme qui, dans l'éclat / de l'argile / céleste (p. 210), occupe toute la scène.
Peintre des mots : Sonia Elvireanu serait-elle un auteur impressionniste ?
Claude LUEZIOR
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