Nous les avons connus dans la force de l’âge :
Qu’avons-nous fait pour les empêcher de vieillir ?
Reconnaissons que nous n’avons guère été sages,
Que nous n’aimions pas obéir !
Ils ne nous ont donné que le meilleur d’eux-mêmes,
Ce qu’ils avaient mûri de rêve et d’idéal
Mais nous considérions comme tarte à la crème
Leur parler franc et proverbial.
Nous étions rebutés par leur lente démarche,
Leurs manières à eux de mépriser le temps
Et nous n’avons pas su retenir de leur arche
Le sable pour argent comptant.
Nous ne nous souvenons plus que de quelques bribes
Parmi le lot, si fourni de leur testament ;
Nous regrettons qu’ils n’aient pas eu l’âme de scribes
Pour tout conserver noir sur blanc
Les cerises sauvées comme pendants d’oreilles,
« L’os du bonheur », vite détaché du poulet,
Les coupas frappés sur les verres et les bouteilles
Jusqu’à ce que tombe un soufflet !
De ce festin nous n’avons qu’épargné les miettes :
Les muscles du géant gonflés à pleins poumons,
Une bouffée dérobée à sa cigarette
Avant d’être hissé au plafond.
Tous ces trésors que les moissons de notre enfance
Avaient, jour après jour lentement amassés
Nous les avons, sous prétexte de délivrance,
Au hasard des mues dispersés.
« Ils » nous ont bien des fois remercié d’un sourire
En croisant leur enfance au coin d’un de nos jeux ;
Vers les plus hauts sommets ils voulaient nous conduire,
Loin de tout sentier périlleux ;
Mais nous ne comprenons cette sollicitude
Que bien longtemps après qu’elle nous fait défaut
Quand vient pour nous le temps de la décrépitude,
Quand souffle le vent de la faux ;
Et nos enfants nous rendent notre indifférence :
Notre froideur d’alors est payée de retour
Et c’est du bout du coeur que leur exubérance
Répond à nos marques d’amour !
©Louis Delorme
Extrait du recueil « La Criée – Les Vagissements » de 1974. Recueil imprimé et gravé par l’Auteur sur sa presse artisanale.
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