Quelle chance d’avoir Jeanne parmi mes poètes et abonnés, ce jour, elle nous propose son roman avec la 4ème de couverture signée Claude Luezior et deux recensions :
Recension de Louis Delorme en 2017
et recension de Michel Lagrange POUR LA RÉÉDITION de ce livre en 2022
UN TRAIN POUR ODESSA-Jeanne Champel Grenier
Lecture de Louis Delorme
Comme le dit Michel Lagrange dans sa lettre adressée à Jeanne Champel Grenier, on ne distingue pas ce qui est vrai de ce qui est imaginé, parce que tout est vérité dans ce livre émouvant !
Tout y est : la culture russe, les détails de la vie, la simplicité du quotidien, l'authenticité des personnages divisés en pro-ukrainiens et pro-russes, les horreurs du ''soviétisme''. Une documentation riche et précise nous permet de recréer les scènes, de suivre l'itinéraire de cette européenne : Anne, originaire du sud de la France et, qui, par ce voyage d'agrément en Russie, va au-devant de son destin comme si celui-ci était tracé de toute éternité.
L'auteur est sous-jacente dans le personnage car elle y a mis beaucoup d'elle-même, de ses connaissances sur l'art, de ses propres activités de peintre et de poète. Mais elle a reconstitué à merveille l'atmosphère de la vie russe et des conditions d'existence dans un milieu où la liberté est loin d'aller de soi. L'histoire est bouleversante. L'amour profond d'Anne et de Nikholaï nous touche jusqu'aux larmes. Leur scène d'amour, page 51, est un morceau d'anthologie, d'une délicatesse inégalée, d'un érotisme poétique de la meilleure facture. C'est Anne, l'héroïne, qui raconte ;
« des mots russes passaient furtivement comme le lièvre des neiges sur ma peau et je sentais la chaleur de son haleine qui faisait courir des frissons de désir dans tout mon corps, et puis ce fut la suite haletante, la traque du saumon sauvage entre les pierres des cascades, la fuite malicieuse de la zibeline au creux secret des steppes et l'extase enfin oû nous nous retrouvions tremblants et couverts de sueur en plein cœur de notre feu intime dont les flammes baissaient un peu et dont les braises allaient couver jusqu'à la prochaine étincelle. »
Comme cela est sobrement dit !
On se passionne pour cette équipe d'artistes : hommes et femmes qui ont voué leur vie au chant et à la musique et qui s'en vont donner des concerts de ville en ville. On les suit dans leurs tournées. On rêve avec eux devant la beauté du pays ; on se réchauffe à leur amitié. On tremble lorsque l'histoire tourne au cauchemar, à cause du régime totalitaire dont les prétendues investigations cherchent à faire un coupable idéal d'un innocent qui déplaît pour son sens élevé de la liberté de pensée et de parole. Le procès de Vichinsky ne date pas d'hier. Le goulag est, et demeure l'épée de Damoclès de ce pays.
Avant même les évènements que l'on sait à ce jour en 2017, l'auteur a eu la prémonition de ce qui attendait l'Ukraine dès 2014, date de l'écriture de ce roman.
Cette histoire se lit d'une traite ; on ne se résout pas à en détacher ses yeux avant d'atteindre le point final ; et elle nous laisse une impression de plénitude, d'accomplissement, avec son dénouement imprévu. Un roman qui met en exergue la force de l'amour, celle de la liberté, celle aussi de la résilience. Un livre où la poésie ne perd jamais ses droits : les poèmes que Nikholaï écrit à destination d'Anne semblent avoir été traduits du russe. Une telle histoire pourrait très bien avoir fait la une des journaux, tant sa réalité est prégnante.
« Un train pour Odessa » de Jeanne Champel Grenier : un livre à lire absolument.
Louis Delorme (05 mai 2017)
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Un train pour Odessa - Jeanne Champel Grenier
Livre édité en 2015, réédité en avril 2022 en rapport avec la guerre en Ukraine
ISBN 9 782382 682302- Edition France Libris - Prix 9 euros
en faveur de
La Voix de l'Enfant -URGENCE UKRAINE
BP 301-75464 Paris cedex 10- CCP 15 301 75 P Paris
Lecture de Michel Lagrange
Le titre de ce livre : ''Un train pour Odessa'' prend aujourd'hui une actualité brûlante autant que tragique. Ce titre fait penser, allez savoir pourquoi, au ''Docteur Jivago''. Il y a des mots qui portent en eux une lumière et une aura non seulement géographique mais spirituelle. Et ce visage tendu sur la couverture du livre, aux yeux fermés, est d'une tension merveilleuse. Avant de lire ce livre, on est impatients, fébriles, comme si l'on embarquait sur le quai du Destin. On sait que ce sera de ces voyages qui changent le voyageur, et que l'on sera ''voyagé'' comme me le disait le peintre Soulages, plus qu'on ne voyagera....
Je viens de redescendre du train pour Odessa. Ce fut un beau voyage atout cœur. Il y a des livres qui ont des intuitions qui échappent à leur auteur. Qui lèvent comme des fleurs prématurées alors que la neige épuise ses dernières blancheurs. Ce ''Train pour Odessa '' est l'un de ceux-là. L'histoire lui a donné, non pas un train d'avance selon un jeu de mots facile, mais une longueur d'avance, celle de l'intuition qui visite les vrais créateurs.
Lire ce livre aujourd'hui lui confère une plénitude qui était en germe dans ses lignes. J'ai ''découvert'' ce livre cette fois-ci avec grande émotion. J'ai voyagé dans la ''longue fermeture éclair noire'' de l'enfilade des wagons, j'ai été associé à la bonne humeur affectueuse de mes compagnons de route ferroviaire, j'ai trinqué avec eux. Le bruit des rails et leur psalmodie géniale : ''Tolstoï Dostoïevski, Tolstoï Dostoïevski...'' je la garde au cœur encore et encore...Je pense à la Prose du Transsibérien'' de Blaise Cendras, musicalement parlant. Car la musique n'est jamais absente de ces phrases si sensibles, si tendres.
Il y a dans l'oeuvre d'un écrivain un voyage qui paraît surpasser les autres, parce que les conditions sont réunies pour que le mot ''chef d'oeuvre'' vienne aux lèvres. Et de cela l'artiste n'est pas forcément conscient, je dirais même responsable. L'oeuvre lui échappe. Il y a une sorte de coïncidence épatante entre le projet, les moyens mis en œuvre, et le but envisagé. Celà me paraît le cas avec cet ouvrage de prose et de poésie mêlées comme les eaux d'une rivière généreuse.
Les images s'envolent par les fenêtres mal jointes du train, celle, entre autres, de ces ''oiseaux...buvant la neige de leurs plumes''...Que de belles images, dont la beauté paraît naturelle, naïve au bon sens du mot ! Ou celle-ci, dans une remarquable scène amoureuse : ''il parlait dans mes cheveux''...On ne peut qu'admirer la justesse, la sainte simplicité de cette vision, de cette musique.
L'incarcération due au sadisme politique d'un univers infernal est douloureusement ressentie par le lecteur. Quand le cerveau innocent lutte pour survivre et devient ''machine de guerre'', on est dans la résistance et cela fait se lever dans nos mémoires de nombreux témoignages russes et étrangers, ou français. Résistance, ce que l'on voit, ce que l'on vit aujourd'hui dans une Ukraine martyrisée.
La fin inattendue de cette histoire ajoute l'horreur à l'horreur d'un régime inhumain jusqu'à l'extrême.
Un sincère '' spassiva '' à l'auteur pour ce grand petit livre.
Michel Lagrange
Lauréat de l'Académie Française