En ces temps si singuliers où la tourmente s’invite au printemps, Roméo et Juliette pourront-ils s’aimer sur la musique de Sergueï Prokofiev?
Poudrée, fardée, lèvres cerclées d’un rouge coquelicot, juchée sur de longues jambes enroulées de bas pour un mardi-gras, elle déambule quai Voltaire.
Le regard haut perché, à quoi peut donc bien penser cette cigogne élancée toute de rouge vêtue.
Son goût immodéré pour les arts la conduit à la galerie des Petits Pas, sanctuaire des poètes de la peinture.
Elle s’arrête longuement devant La Folle, une toile de Chaïm Soutine, peinte vers 1921.
Dans ce portrait saisissant, le regard est celui d’une victime sans défense, vouée à un inexorable destin.
Sa robe rouge et son chapeau vert soulignent l’intensité expressive, délire pictural profondément ancré dans les sentiments.
Le pinceau du peintre est celui d’un forcené qui a connu les tourments et la souffrance.
A travers cette œuvre, toute la peinture de Soutine pourrait tenir dans ce vers de Baudelaire :
« Je sais que la douleur est la noblesse unique…»
Toute pétrie du cri de Chaïm Soutine, la femme en rouge quitte la galerie.
Elle chemine le long du quai de Conti.
Ses pensées sont ailleurs ; elles s’en vont vers l’Ukraine, terre qui rougeoie sous les feux de la haine.
Elle se rappelle les sonorités du poète russe Mandelstan :
« … De ce monde confus de cendres et de flammes
J’ose en tremblant franchir la brume et les confins
Et respirer les fleurs immortelles d’une âme,
Ces poèmes éclos en des enfers humains. »
Au Pont-Neuf, la Seine déroule son ruban jaune et bleu, couleurs d’un peuple opprimé.
Sous l’aile d’un songe, peintres et poètes jettent leurs dernières forces pour offrir les flammes vives de leurs cœurs.
Le chant d’Orphée suffira-t-il ?
Le rouge vermillon de Soutine fera-t-il taire le feu d’un féroce dictateur ?
La femme en rouge a disparu.
Seule demeure l’espérance.
©Roland Souchon
vendredi onze mars 2022
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