ÉMEUTES, de Claude LUEZIOR, Éd. Cactus inébranlable (Belgique), 78 pages,
ISBN : 978-2-39049-054-8, 2022
« Émeutes » ? De quoi s’agit-il ?
« Ce bref recueil, pavé y en a marre, se lit comme un brûlot, avec incandescence. », nous dit l’auteur en guise de préliminaire. Voilà qui est bien vu. En une phrase se révèlent déjà son opinion sur le sujet, l’ironie dont il use avec subtilité et son incroyable habileté à faire parler les mots.
Mais attention, dans ce petit recueil de poche, il n’est pas question d’opinion politique. Si l’auteur « conteste parfois les contestataires » avec insolence, c’est parce qu’il n’y a « pas de syntaxe, mais des pavés que l’on descelle ». De même, « La rhétorique de pacotille éructée par un chef quasi-mussolinien... » suscite sa douce ironie mais aussi peut-être sa crainte face à des débordements, par exemple devant les Parlements allemands ou américains.
« Je déteste l’émeute » avoue Claude Luezior, tout en s’interrogeant « peut-être est-elle libératrice ? » Racontée à sa façon, pas de doute, le rire est thérapeutique, voire libérateur. L’auteur nous y invite, d'ailleurs : « Riez, braves gens ! »
Son humour n’exclut ni le jugement sur la nature des actes ni l’empathie pour la cause. Le ton de son de précédent livre : Un Ancien testament déluge de violence (Éditions LGR Paris), exprimait déjà le refus de cette violence.
Poète, médecin empathique, observateur de la société, de ses affres, de ses souffrances, en un mot de son Histoire…, Claude Luezior est bien fondamentalement tout cela à la fois comme en témoignent ses écrits ; « Émeutes », peut-être plus que jamais
Le tableau de l'artiste-peintre Philippe Tréfois en première de couverture est en belle synergie avec le texte déjanté de Luezior.
Poésie d'une société en désarroi, film doux-amer, pièce de théâtre de l'existence... Ce petit livre édité par l'éditeur wallon Cactus inébranlable pique mais tient chaud dans la poche...
Kathleen Hyden-David
https://cactusinebranlableeditions.com/produit/emeutes-vol-au-dessus-dun-nid-de-paves/
"Bonne feuille" :
En miroir, les gens d'armes, sombres bataillons dont la lippe inassouvie, emprisonnée par un casque, mâchonne on ne sait quelle pensée provisoire.
L'attaque est imminente contre la racaille en sursis car ces feux follets, ces vociférations bancales et leurs débris jetés à l'encan ne sauraient s'emboîter dans les murailles de hautes dynasties.
Puissance, impuissance.
Masques et boucliers derechef alignent d'avides gourdins, tandis que s'amassent manants et gueux en lamentable engeance.
Ébauche de danses mutuelles à la crête d'éboulis où se menacent, instinctifs, des mondes tiers, effilochant les valeurs d'un improbable credo.
Une femme en guenilles, lèvres ouvertes et poitrail au vent, brandissant son étendard de liberté, folle égérie née de la populace : on l'appelle Marianne.
Sous sa visière de jais, le gendarme suintant sa peur. Face à lui: sa propre chair.
Claude Luezior
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Recension : Claude Luezior – « EMEUTES vol au-dessus d’un nid de pavés. »
Liminaire de l’auteur.
Illustration de première couverture - Philippe Tréfois -
Cactus Inébranlable éditions - Printemps 2022 -
Format 10,5 X 18,5 – nombre de pages 78 –
Surprenant, percutant, voici un nouvel ouvrage de l’incontournable poète, essayiste, romancier et ami des arts Claude Luezior, qui, derechef annonce la couleur : dans son liminaire, il déteste « l’émeute » mais avoue d'emblée : « Peut-être est-elle libératrice ? » Cet opuscule est croustillant de dérision dans l’observation de certains troupeaux où paissent faiseurs de morale et fossoyeurs endimanchés de la nation.
Bienveillance et humour grinçant face à un système sociétal en déshérence ?
L’auteur n’est pas avare de recommandations. face aux nouvelles recrues de la « manif », aux élus et ténors de la contestation, aux vaillants moustachus biberonnés de syndicalisme. Preuve évidente d’une certaine expérience analytique (pas mal, pour un neurologue-poète !) sur le comportement des dynamiques de masses.
Ce recueil est un cri contre le crétinisme bon enfant d'une populace en marche. C’est un clin d’œil aux petits-enfants de Robespierre, victimes de leur propre engouement à casser du flic ou du bourgeois. « Rions un peu ! »
Notre poète joue, selon son habitude, du langage avec subtilité et intelligence ; pour les frères de François Villon, pitoyables gibiers de potences, la condamnation sera lourde pouvant aller jusqu’à « cent ans de démocratie ». Est-ce bien raisonnable ?
Nous sommes là, sur les pavés de la discorde, face à un recueil qui fleure bon le pneu brulé et le gaz lacrymogène. Dansons la Carmagnole ! Nous ferions facilement, de ce condensé, un livre de chevet tant il est pertinent. Le verbe y est raffiné dans son combat dénonciateur, il ouvre un espace de lumière lorsque l’esprit s’enténèbre.
Images à la Eugène Delacroix, lorsque les gueux lamentables se retrouvent devant les forces de la loi qui transpirent sous leurs casques et visières. Alors apparait Marianne, telle une guerrière salvatrice.
En bon révolutionnaire de substitution, Claude Luezior fait feu de tout bois: la Commune, mai 68, les gilets jaunes, les cégétistes, les trotskystes et autres produits de la panoplie contestataire. Sans oublier les saucisses, les idéaux échevelés et le picrate qui tache. La populace recolore le monde, surtout en rouge : couleur de la colère, de l’espoir international et de la soi-disant liberté. Déguisements pour un carnaval de l’insurrection.
Ce recueil « Emeutes, vol au-dessus d’un nid de pavés. » risque bien de faire grincer quelques chicots, tant il sonne vrai. Aveugle du pire celui qui ne veut pas voir. Sans doute y aura-t-il un Savonarole, un Robespierre ou un Danton pour contredire le bienveillant écrivain dans sa description de notre monde en proie aux idées partisanes.... Claude Luezior se surprend à découvrir du beau dans le « sfumato » des gaz lacrymogènes et des fumées en volutes des saucisses grillées. À qui sait la voir, la poésie est partout.
Certes, le souffle de la fraternité est bien mal mené et la mondialisation capitalisante n’est pas étrangère au chaos qui est de plus en plus prégnant, avec ses technologies nouvelles qui conduiront l’homme à l'aliénation et servitude. Et notez bien, face à l'émeute devant le parlement de Berlin : « N’oubliez pas le mot Reich, n’oubliez pas les chemises brunes et leurs sombres cohortes. »
Si la plume de Claude Luezior joue avec humour et dérision, elle sait aussi être grave, émouvante devant une telle misère qui se débat dans les filets d’une société infiniment blessée. Ici le poète revendique son droit au rêve, passage vers le pays de l’utopie : « les pavés s’envolent tels des oiseaux de paradis. »
Alors oui mon Frère : « Lève-toi avec vigueur et majesté contre le tyran, dresse tes piques mais que ton combat ait du corps et de l’audace chevaleresque ! »
Ce recueil impose le respect : quelques braillards en guenilles pourront se nourrir de ces fruits. Tout lecteur les trouvera pertinents et visionnaires.
Michel Bénard.
PS : Art brut ou art singulier, l’illustration en couverture, « Le couple » du peintre Philippe Tréfois, symbolise magnifiquement le côté dépareillé et fractionné de notre société en perte de valeurs.