Photo Gérard Leyzieux
Après je suis allé voir le grand magasin, « Goum », qui fait face au tombeau de Lénine et, derrière lui, au Kremlin. Profusion de richesses, déferlement de produits manufacturés principalement importés ; les grandes marques internationales sont là avec leurs vitrines alléchantes et aucun prix affiché. Qui aurait le culot de demander le prix ici ? Quel provincial médocain irait acheter quelque chose dans ces magasins de luxe. Richesse, luxe et pouvoir : face à cette immense accumulation de richesses vestimentaires, le pouvoir veille, le pouvoir surveille. Pas de vague, pas de remous, « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, / luxe, calme et volupté » ! Les mots de Baudelaire ont toujours résonné en moi depuis l’école mais ici « l’ordre » c’est celui du KGB (1), de l’ordre pour permettre à la beauté des richesses de proliférer.
Ce n’est pas pour moi cet ordre qui privilégie les riches, qui bannit les pauvres, qui espionne continuellement et tue ses opposants. Que faire avec un Poutine qui n’a appris qu’à se défendre et attaquer ? Petit espion judoka devenu grand chef de clan grâce aux passe-droits et ententes en tous genres. Main de fer dans un gant de fer même pas recouvert d’un peu de velours. Décisions à appliquer sans délai, révocations pour insoumission, prisons pleines de prisonniers d’opinions, disparitions inexpliquées, meurtres en tous genres et en tous lieux : du centre de Moscou (2) à la Grande-Bretagne (3) ! Partout ! Pour tous ceux qui n’écoutent pas, qui ne l’écoutent pas !
Le Tsar règne sur son peuple qui se soigne à la vodka ou au « samogon » ! Le concierge de mon hôtel, qui parlait étrangement bien le français, m’a expliqué que les russes distillent eux-mêmes leur alcool ; c’est ce que veut dire « samogon » : « bouilli par soi-même ». Alors, il m’a dit : « Souvent ça marche et parfois tu t’en relèves pas ! » Et pendant ce temps le dernier Petit Père des Peuples en date règne ; contre tout ennemi il règne ; il décide et fait exécuter…, pendre…, noyer…, empoisonner… Et le grand peuple obéit ; il obéit car c’est le chef, il a le pouvoir, il doit être respecté. Un jour, sans doute, on le tuera comme la famille royale, en 1918, comme les opposants communistes, comme ceux qui ne sentent pas le vent tourner, comme Raspoutine et autres Trotski, anarchistes ou mencheviks.
Je pars ! J’ai visité un peu la ville aussi. C’est lourd, c’est grand, c’est m’as-tu-vu, c’est, comme à Paris, les riches au milieu les pauvres ailleurs, c’est absolument pas pour moi. C’est une ville tout en muscles avec des flics visibles ou virtuels à chaque coin de rue. Fuir ! Mais avant ça, j’ai des cartes postales à envoyer ; le collectionneur que je suis ne peut s’en empêcher. Pour la petite histoire, j’ai trouvé une carte de Basile le Bienheureux enneigé. C’est fabuleux ! C’est tout blanc et comme le ciel est à la neige, il est blanchâtre lui aussi ; reste le bas des bulbes dont la couleur ressort sous un dôme recouvert de neige. Seuls quelques rares arbres sans feuille au bas de l’église et la barrière du trottoir apportent une couleur noire à ce paysage hivernal. Fuir ! Quoi qu’il en soit fuir ! Partir et ne plus revenir.
(1) Le KGB, soit « Comité pour la Sécurité de l’État », est le service soviétique de surveillance extérieure et intérieure. Redouté de tout citoyen russe, le KGB est l’artisan de toutes les opérations de police politique. Vladimir Poutine a été agent du KGB. En 1991, ce service a été remplacé, au sein de la Fédération de Russie, par le FSB, « Service Fédéral de Sécurité ».
(2) Boris Efimovitch Nemtsov, homme politique et opposant notoire à Vladimir Poutine, est assassiné de quatre balles tirées d’une voiture, dans la nuit du 27 au 28 février 2015 en plein centre de Moscou, à quelques pas du Kremlin, alors qu'il se promenait avec sa compagne.
(3) Sergeï Viktorovitch Skripal, ancien agent double russe, et sa fille Yulia ont été la cible d’un empoisonnement chimique à Salisbury en Grande-Bretagne, en mars 2018, après que des agents russes ont enduit de Novichok, produit chimique mortel, la poignée de leur porte d’entrée.
Extrait du roman « Basile n’est pas heureux » (écrit début 2021) à paraître aux éditions Stellamaris.
©Gérard Leyzieux
Voir en fin de page d'accueil du blog, la protection des droits