La lettre A ouvre le bal.
Qu’évoque-t-elle pour vous ?
L’Amour certainement, mais aussi peut-être Alexandrin, ce vers de douze syllabes qui vient inventer une voix sur les mots.
B, c’est forcément la beauté avec Zéno BIANU, le berger des roses qui danse avec son alphabet.
C, pour acclamer le génie de Jean COCTEAU.
Ce magicien à qui l’on demandait un jour :
Jean, si votre maison brûlait, qu’emporteriez-vous de plus cher ?
et Jean Cocteau de répondre : J’emporterai le feu.
D, pour un rondeau avec Charles D’ORLEANS.
Il est le chant d’une source vive lorsque Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie
Et s’est vêtu de broderie
De soleil luisant, clair et beau
E, soyez le bienvenu Paul ELUARD
Avec son lyrisme naturel, il a chanté l’amour fou.
Sur ses chiffons d’azur, il a écrit LIBERTE :
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
LIBERTE
F, de pommier en cerisier court Paul FORT, ce conteur de ballades.
Il voyait la grenouille bleue, complice du beau temps. Amante du ciel pur, elle réfléchissait l’azur.
Avec ce poète, le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Il va filer.
G, dans un conciliabule d’hirondelles s’envole un poème ciselé de Théophile GAUTIER.
Qu’il fait bon près du basin des Tuileries déclamer sa Fantaisie d’hiver :
Les vases ont des fleurs de givre
Sous la charmille aux blancs réseaux ;
Et sur la neige on voit se suivre
Les pas étoilés des oiseaux.
H, c’est l’incontournable Victor HUGO.
Toutes les cordes résonnent dans son œuvre : les Feuilles d’Automne, les Chants du Crépuscule, les Voix Intérieures, les Châtiments, les Contemplations, la Légende des Siècles.
et puis, voici ses vers…
Les nuages, ces solitudes
Où passent en mille attitudes
Les groupes sonores du vent…
encore : demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne
Je partirai
et encore : J’ai dans l’âme une fleur que nul ne peut cueillir !
I, c’est la voix infinie du poète, celui qui, d’un trait de plume, nous offre le chant du loriot et le parfum des fougères.
J, voici le vers libre de Francis JAMMES.
Avec son parapluie bleu, il part au bras de Clara d’Ellébeuse…
Viens, viens
Aimons-nous encore
Je n’aime qu’elle, et je sens sur mon cœur la lumière bleue de sa gorge blanche.
La lettre K se pose sur la palette de Wassily KANDINSKY, peintre-poète.
Animée d’un souffle spirituel, chacune de ses couleurs met l’âme en vibration. Le bleu s’élève jusqu’à l’arc céleste des prophètes.
Avec son tableau IMPROVISATION N°19, Kandinsky nous ouvre la porte du jardin d’Eden.
L, arrive le fabuliste Jean de La Fontaine qui, avec sa virtuosité de prosateur-poète, nous invite à un ballet de cour.
Dansez sur l’Hymne à la volupté :
« Ô douce Volupté…
Ne me dédaigne pas, viens-t’en loger chez moi,
J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique
Viens donc ; ô douce Volupté…
M, comme Alfred de Musset.
Il a su mettre de la poésie où Voltaire et Boileau n’ont su mettre que de l’esprit ou de la raison.
C’est le poète d’amour le plus vrai avec LA NUIT DE MAI :
Le poète :
Pourquoi mon cœur bat- il si vite ?
Qu’ai-je donc en moi qui s’agite
Qui vient ? Qui m’appelle ?
La muse :
Poète, prend ton luth ; c’est moi, ton immortelle. Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu.
N, à la rencontre de NORGE.
Ce belge assoiffé de lumière a toujours la main tendue dans la joie ou l’ennui.
Il nous offre une chanson pour chaque moment de notre vie.
RENGAINE
La pluie avait mille ans
Sur cette ville en plomb.
Mille ans, c’est long, c’est lent.
Il pleuvait tant et tant
Que sur les habitants
Pesait immensément
Un ciel bas de plafond.
Alors comment, comment
Sous le plomb, sous la pluie
Montait si follement
Leur âme resplendie ?
O,
Ô Arbre, accueille-moi !
Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
P, avec le vers libre de Prévert.
Fantaisie surréaliste et humble réalité familière sont les deux creusets de la poésie de Jacques Prévert.
Ecoutons sa tendresse, sa spontanéité et sa verve avec
SABLES MOUVANTS
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s’est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant…
Q, en compagnie de Raymond QUENEAU, ami de PREVERT. Membre de l’Académie Goncourt, sa poésie burlesque lui vaut le succès, en 1959, avec Zazie dans le métro.
Pour- L’Instant fatal-, il écrit- Si tu t’imagines- qui sera chanté par Juliette Gréco :
Si tu t’imagines
Si tu t’imagines
fillette fillette
Si tu t’imagines
xa va xa va xa
va durer toujours
la saison des za
la saison des za
saison des amours
ce que tu te goures
fillette fillette
ce que tu te goures…
R, avec une chanson de geste, première œuvre poétique
Un poète anonyme a composé, vers 1100, LA CHANSON DE ROLAND
Entendez-vous sonner les décasyllabes avec la mort de la belle Aude :
…L’empereur Charles est revenu d’Espagne.
Il vient à Aix, le meilleur lieu de France,
Monte au palais, arrive dans la salle.
Aude est venue, la belle demoiselle,
Qui dit au roi : « Où est Roland, le capitaine,
Qui me jura de me prendre pour femme ? »
Charles en a grande douleur et peine,
Pleure des yeux, tire sa barbe blanche :
« Sœur, chère amie, d’un mort tu me demandes.
Je t’en ferai un valeureux échange,
Ce sera Louis, meilleur n’en sais en France.
Il est mon fils, et il tiendra mes marches. »
Aude répond : « Un tel mot m’est étrange.
Ne plaise à Dieu, à ses saints, à ses anges,
Qu’après Roland je demeure vivante ! »
Elle perd ses couleurs, elle tombe aux pieds de Charles :
Tout soudain elle meurt.
S, partons avec le grand voyageur SAINT-JOHN PERSE.
Prix Nobel de littérature en 1960.
Laissons-nous emporter par VENTS :
C’étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,
Qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l’an de paille sur leur erre… Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
T, avec les strophes malicieuses et musicales de Paul-Jean TOULET. Promenons-nous sur un chemin crayeux de Provence avec ses trois châtes qui s’en vont d’un pas qui danse :
… Une enseigne, au bord de la route,
-Azur et jaune d’œuf-,
Annonçait : Vin de Châteauneuf,
Tonnelles, Casse-croûte.
Et, tandis que les suit trois fois
Leur ombre violette
C’était trois châtes de Provence,
Des oliviers poudreux,
Et le mistral brûlant aux yeux
Dans un azur immense.
U, c’est l’Union de la peinture et de la poésie.
de Louis Aragon le poète et de Marc Chagall qui a peint le plafond de l’Opéra de Paris.
… Et l’Opéra s’emplit du chant pur des cigales
Vers cet azur d’abord ouvert à Debussy
Où l’enfant à l’enfant enseigne l’art égal
De l’être et du désir et sous ta main voici Chagall.
Madrigal pour un plafond -Louis Aragon
V, remontant à la source jaillissante des vocables, voici Paul VERLAINE.
A l’âge de dix-huit ans, il compose le poème Chanson d’automne.
Reconnu par les symbolistes comme un artiste immense, il est élu prince des poètes en 1894, lors de la disparition de Leconte de Lisle.
Le déplacement de la césure, l’atténuation de la rime par les enjambements, l’emploi insolite de l’hendécasyllabe conduisent ce maître de l’harmonie du vers aux Fêtes galantes.
Verlaine sanglote d’extase quand la lune blanche luit dans les bois :
… Ô bien-aimée
Rêvons, c’est l’heure
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise…
C’est l’heure exquise.
La Bonne Chanson, VI
L’alphabet allait se refermer quand WX,YZ sont arrivées deux par deux enlacées, fières de garder l’irréel intact.
Elles sont venues chanter la poésie, ce cœur nomade sans cesse disponible aux appels des oiseaux et du vent.
©Roland Souchon
www.rolandsouchon.com
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